Samedi 23 novembre 2024

Société

Cimetière de Mpanda : quand le développement déménage les morts

La RN5 est en cours d’élargissement. Au cimetière de Mpanda, les restes se trouvant dans un espace de dix mètres, côté droit de la route (Bujumbura-Nyamitanga), doivent être déplacées.

A Mpanda, certains ossements ont été déplacés

Un coup de massue pour les familles éprouvées. « C’est une aberration, une profanation, un sacrilège. La culture burundaise n’a plus de valeur », crie une septuagénaire, croisée tout près du cimetière de Mpanda. A la recherche du bois de chauffage, elle se rappelle que la tombe est sacrée. « Quand nous étions enfants, on nous interdisait d’aller déambuler dans un cimetière ou d’y faire paître les vaches.»

J.K., un habitant de Gihanga, affirme qu’il y a enterré son père, il y a une dizaine d’années. « On nous demande d’aller l’exhumer. Comment puis-je faire cela ? Où trouverai-je les moyens financiers ? » Ce père de famille préfère ne pas traumatiser ses enfants qui ne l’ont vu que sur une photo : « Comment oserai-je aller montrer à mes enfants les ossements de leur grand-père ? » Comme il s’agit de travaux de développement, cet homme propose que l’administration ou l’entreprise chargée d’exécuter ces travaux s’en charge. Sinon, les jeunes qui assisteront à ces scènes d’exhumation risquent d’être traumatisés.

Des cas s’observent déjà. Un samedi matin, des membres d’une famille sont venus exhumer leur grand-père. Une vingtaine de personnes est là. Des femmes, des jeunes filles pleuraient comme si le vieil homme était mort la veille. « Laissez-moi voir mon grand-père ! Lâchez-moi!», criait une jeune fille, la vingtaine. Deux jeunes hommes la tenaient à l’écart pour ne pas voir les ossements.

Sur cette tombe était inscrit qu’il avait été inhumé en 2000. Dans cette partie concernée par les travaux se trouvent d’autres tombes qui couvrent la période 1997-2012. Certaines ne sont même plus identifiables.

« Nous n’avons pas été informés officiellement que les exhumations ont commencé », se plaignent les familles des victimes. « Il y a un flou autour de ces activités », dénonce S.K, un habitant de Buringa. Pour lui, l’administration devrait d’abord informer les concernés. Et face à la cherté de la vie, plaide-t-il, le nouveau terrain devrait au moins être gratuit.

Une aubaine pour certains

Quant aux fossoyeurs, ils jubilent. Le coût de l’exhumation est fixé à 400 mille Fbu pour les tombes VIP. « C’est un travail très dur et comportant des risques », lâche un des fossoyeurs de Mpanda. Ils le font sans matériel approprié, comme des gants, des salopettes, des désinfectants, etc.

Des profanateurs ont pillé certaines tombes pour y récupérer des tôles, des fers à bétons, des carreaux et des croix en métal.

A quelques mètres du bureau de la zone Buringa, un particulier a déjà fabriqué plus de deux mille cercueils. Léopold Ndayisaba, administrateur de la commune Gihanga, assure que c’est une commande de l’Office des routes. « Ils seront utilisés pour inhumer ceux que les familles n’auront pas pu déplacer les leurs. »

Vincent Nibayubahe, directeur général de l’Office des routes, dément : « Nous n’avons fait aucune commande de cercueils. On le fera après avoir dénombré ceux qui n’ont pas été inhumés par les leurs. Et ce suivant les procédures légales de passation de marchés.» Nous privilégions, poursuit-il, que l’exhumation et l’inhumation soient faites par les familles concernées.

Léopold Ndayisaba : « Cela fait plus de quatre mois que des communiqués ont été lancés à travers les radios. »

L’administrateur de Gihanga juge que les lamentations des familles concernées ne sont pas fondées : « Cela fait plus de quatre mois que des communiqués ont été lancés à travers les radios appelant ceux qui ont enterré les leurs dans les 10 m de venir les déplacer.»

Il affirme s’être rendu sur les collines environnantes du cimetière pour sensibiliser les familles concernées. Pour ceux qui n’en ont pas les moyens pour le faire, il leur recommande de recourir à l’entraide mutuelle. A défaut, l’Office des routes s’en chargera.

« Une préparation psychologique d’abord »

« Dans la culture burundaise, cela ne se faisait jamais. Les cimetières ont toujours été des lieux sacrés, un lieu de recueillement », commente un psychologue. Il souligne que pour les personnes qui ont une faible tolérance, cela entraîne un état difficile à gérer. Dans de telles situations, les personnes concernées devraient d’abord subir une préparation psychologique. Ce psychologue fait remarquer que pour la famille endeuillée et les amis, le défunt est là même s’ils ne le voient pas : « Quand une personne meurt, nous disons qu’elle se repose. Donc, le cimetière devient un lieu de repos.» Néanmoins, il reconnaît que l’on est parfois obligé de se faire violence : « Une route plus large devient un besoin pour le développement.»

Forum des lecteurs d'Iwacu

11 réactions
  1. Mafero

    Peut-être que les personnes qui ont été enterrées dans ce cimetière n’avaient pas un statut important, selon les décideurs du pays qui ont opté de les déterrer et y faire passer une route. A Gitega, je sais qu’il ya un buste d’un Prince au milieu d’une route et ça n’a causé aucun problème jusqu’à présent. Pour le cas de cette RN5, il avait moyen de passer la route au dessus de ce cimétière (avec l’aide des Chinois et Russes: il en ont les moyens!) et laisser ces gens se reposer en paix. Tampis aux fossoyeurs parce que pour eux les marchés sont déjà inondés…

  2. Busorongo

    Est ce la première fois que ça se fait au Burundi? Ou est actuellent la cimetière de Nyabaranda? Qu’a t on fait des fausses communes identifiées comme terre à Kizuka ou Mwaro?
    Je me dits bien qu’il faut s’occuper de nos morts, leur rendre visite de temps en temps et les évacuer s’il le faut.
    Beaucoup s’egosillent pour dénoncer mais en réalité ils sont hantés parc qu’ils ne se souviennent pas où sont enterrés les leurs.

    • i

      … Le cimetière de Kanyosha et avant ceux à l’endroit où ont été construits l’hôtel Méridien et le Cotebu, la station d’épuration des eaux usées à Buterere, le bar Iwabonabantu à Kamenge sans oublier le nouveau quartier de Carama anciennement appelé Kidumbugwe … On dirait que les burundais ne voulons pas évoluer. Le drame est que les psychologues s’en mêlent.-

  3. Munyangeri

    Les violations de sépultures ont toujours provoqué une grande émotion dans l’opinion burundaise. Quels que soient les mobiles invoqués par l’Etat -agrandissement de routes ou construction de résidences – ces actes constituent une atteinte à un principe anthropologique essentiel dans toutes les civilisations à travers l’Histoire : le respect dû aux morts.

    Dans la littérature grecque, Sophocle nous le montre bien à travers son oeuvre Antigone. Celle-ci est la fille d’Oedipe, roi de Thèbes en Egypte vers 414 avant Jésus-Christ. Alors que ses frères Polynice et Etéocle se sont entretués pour prendre le pouvoir, le roi Créon autorise l’enterrement de Etéocle jugé bon car il défendait la ville et le refuse par contre à Polynice qualifié de méchant car lui attaquait la ville.

    Antigone explique pourquoi elle a bravé l’interdit posé par Créon d’ensevelir son frère : « …j’ai obéi à une loi, de ces lois que personne n’a écrites, qui existent on ne sait depuis quand et qui sont éternelles. Ces lois dictent aux êtres humains de traiter leurs semblables avec humanité et de ne pas bafouer leurs dépouilles mortelles. »

  4. Rurihose

    C est ça le Burundi sous la dictature DD
    Pire que les 7 plaies d Egypte
    Improvisations, mauvaise gouvernance.
    Il y aura évidemment des bikorane pour louer le paradis qu’est notre pays

    • i

      Qui manque d’arguments parle de dictatures DD ou autres comme si tous les cimetières délocalisés ou tout simplement supprimés, en ville comme dans nos campagnes auraient fait objet de cérémoniales.
      A-t-on invité quelqu’un lors de l’érection de l’hôtel Méridien au centre ville ou encore lors de la construction du Cotebu?

  5. ntsimbiyabandi

    Dernièrement quelqu’un a voulu savoir la signification du mot « intatemwa ». Serait-il un mausolée, un cimetière ou une tombe? Etymologiquement c’est un endroit interdit au défrichage. Cela me rappelle que les cimetières étaient laissés à l’abandon, que les gens avaient peur de passer près d’eux surtout la nuit. Quoi de normal, surtout que les Barundi avaient peur de la mort! Pour eux, les cimetières ne sont que l’habitat des mauvais esprits. C’est, je suppose, avec l’arrivée du christianisme que les cimetières sont accessibles, surtout avec la liturgie des morts du 2 novembre. Inutile de tromper les gens que les cimetières sont traditionnellement des lieux de recueillement pour les Barundi. Combien d’histoires invraisemblables se racontent-elles sur le cimetière de Kanyosha alors que dans le temps il était entouré des habitations notamment le Petit Séminaire de Kanyosha et l’Ecole Suédoise de Bujumbura ? A Mpanda, il doit y avoir encore plus surtout que ce n’est pas loin de la réserve naturelle de la Rukoko.

    • Jambo

      Ntsimbiyabandi,
      Vous avez raison de souligner que cette pratique de recueillement est venue avec le christianisme (église catholique en particulier ) et ne ressemble en rien à la tradition burundaise. D’ailleurs, la bible, référence du christianisme, interdit ce genre de pratique considéré comme une idolâtrie. Même la tombe de Jésus n’a jamais été un lieu de recueillement ou de pèlerinage puisque Il est vivant en ayant vaincu la mort. Les gens devraient se rappeler la parole du Seigneur : suivez moi et laissez les morts enterrer les morts. Un adage kirundi le confirme si bien :agapfuye kabazw’ivu. Malheureusement,le monde est lent à comprendre !

  6. Nduwayo Christine

    Honnêtement je suis sidérée par ce tout ce flou autour de quelque chose de sacrée comme une tombe, nous les supposés concernés c’est comme si nos morts mourraient pour la 2ème fois mais sans le respect du mort, de sa famille en deuil et des traditions.
    J’ai entendu pour la 1ère fois cette nouvelle via le web de Iwacu, je vis en dehors du Burundi depuis plus de 20 ans et mon papa est mort assassiné, ma famille et moi nous ressentons cela comme si notre père, frère et grand-père était assassiné pour une 2ème fois. Dès que nous avons appris la nouvelle nous avons demandé à nos amis restés au pays d’aller s’enquérir de la situation à la commune…et les réponses sont contradictoires en fonction du fonctionnaire qui est là…
    La tombe est à plus de 40 m de la route mais on dit qu’il faut l’exhumer alors que dans le news l’administrateur a parlé de 10 m, dès qu’on parle de 10 m l’un répond qu’on doit aller au delà pour le parking des entreprises des pompes funèbres, et un autre vient dire qu’on va y mettre un chantier pour l’entreprise française Atom qui va construire la route….
    Je suis désespérée et desemparée, que faire ? prendre l’avion pour me rendre compte que finalement la tombe de mon papa ne fait pas partie de celles qui doivent être déplacées.
    Iwacu ntabara ugerageze pour de plus amples info pour nous aussi qui sont loin du Burundi…je ne l’aurais même jamais su si je ne suivais pas vos nouvelles régulièrement…
    Et toute personne qui peut kunyunganire please j’apprécierais beaucoup.

  7. Ramazani

    Izo mva zizohumira abantu bamwe bamwe batacubaha uburuhukiro Bwanyuma.

    • Micombero

      Tu es dépassé vraiment.

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