Soins médicaux irréguliers, manque d’eau et d’électricité, de terrains de jeux et à cultiver, une alimentation insuffisante, tels sont quelques problèmes auxquels font face les ex-combattants handicapés de guerre du site de Karurama.
Lundi 20 janvier. 11h. Nous sommes sur la colline Karurama, commune Rugombo, province Cibitoke. C’est à 3 km du chef-lieu de la province et à un jet de pierre de la frontière burundo-congolaise. Sur cette colline se trouvent des logements construits pour 45 ménages des ex-combattants, handicapés de guerre, par la commission nationale de démobilisation, réinsertion et réintégration. Des maisons en matériaux durables, encore flambant neufs, chacune avec une dimension de 9m sur 8m, 3 chambres, un salon, une terrasse et une toilette intérieure à siège.
Des maisons entourées de petits champs de maïs, haricots, légumes et fruits variés. L’endroit est calme. Nous faisons un tour pour voir à qui parler. Une voix nous interpelle. « Qui cherchez-vous » ? C’est un homme, titubant, marchant à l’aide d’une canne anglaise dans un petit hangar. Il nous salue. L’objet de notre visite est vite annoncé. La carte de presse est exhibée. Oh, s’exclame-t-il, les voix pour les sans voix. « Nos problèmes seront désormais portés à la connaissance du public », confie Philippe Kazungu. 43ans, ancien rebelle du CNDD-FDD. Il rejoint la rébellion en 1995 et la quitte en 2005. Marié et père de 4 enfants, handicapé de guerre depuis 2001 à l’issue d’une bataille à Makamba. Il a un problème de vision, un handicap très sévère.
Quelques minutes après, trois autres ex-combattants nous rejoignent. Une brève présentation. Gérard Ntiruhungwa, 55 ans, a servi dans les forces armées burundaises (FAB). Il a un problème au niveau de la colonne vertébrale. De bonne humeur, malgré son handicap. Il reste assis dans une chaise roulante.
Joseph Nkenguburundi, 66 ans, un ex-FAB, marié et père de cinq enfants. Il est devenu malvoyant et a aussi un problème de nerfs. Chancelant, il utilise une canne pour marcher.
Jean Berchmans Congera, 53 ans, un ex-FAB, marié et père de deux enfants. Air détendu, il est dans une chaise roulante.
« Nous sommes arrivés dans ce site le 23 juillet 2014 en provenance de différentes provinces. Certains, en provenance des ex- forces armées burundaises, d’autres des anciens mouvements rebelles. Nous sommes au nombre de 45 ménages », racontent-ils. Et d’affirmer qu’ils mènent une bonne cohabitation entre eux d’une part, et la population environnante, d’autre part.
Des problèmes ne manquent pas
Outre leur situation d’handicap, les conditions de vie de ces ex-combattants se détériorent du jour au lendemain. Ils font savoir que cela fait un bout de temps qu’ils ne reçoivent plus de soins médicaux.
« Auparavant, on nous donnait des médicaments tous les trois mois. Nous avons reçu des médicaments en octobre 2018, depuis lors, nous n’avons reçu d’autres médicaments qu’en novembre 2019 ». Et de réclamer une assistance régulière. « Notre ministère devrait nous rendre visite régulièrement pour recueillir nos doléances. Nous réclamons des visites régulières des médecins ».
De son côté, Philippe Kazungu, ne cache pas son angoisse : « Faute de médicaments, j’ai des troubles de sommeil. Je passe des nuits blanches.»
Ces ex-combattants se réjouissent de la fourniture régulière de la ration alimentaire (haricot, riz, sel, huile). Un kg de riz et de haricot pour trois personnes par jour. Cependant, la ration alimentaire reste insuffisante vu que certains ménages se sont agrandis. Ils réclament l’augmentation de la ration alimentaire. « Ma famille compte 7 personnes alors qu’on me donne une ration pour 3 personnes », fait remarquer M. Kazungu.
Par ailleurs, ils évoquent le manque de terres cultivables pour ceux qui ont des femmes afin qu’ils puissent compléter et varier leur alimentation.
« Nos femmes restent assises à longueur de la journée alors qu’elles peuvent s’occuper avec des activités champêtres », déplorent-ils. Ils disent qu’ils ont déjà soumis cette question à l’autorité provinciale mais celle-ci leur a répondu qu’il n’y a pas de terres à distribuer.
En outre, le manque de terrains pour le divertissement ne les épargne pas. « Nous passons toute la journée assis dans les chaises roulantes. Nous avons adressé une lettre à qui de droit il y a de cela deux ans, mais on n’a pas encore de réponse », s’indignent ces ex-combattants.
Ce n’est pas tout. Les robinets d’eau ont tari. A notre arrivée, racontent-ils, l’eau coulait à longueur de journée. Pour le moment, plus d’eau dans les robinets. La ligne qui les approvionnait a été coupée, il y a de cela six mois. Ils en ignorent la raison. « Nous ne pouvons pas aller puiser de l’eau ailleurs vu notre situation d’handicap. Nous craignons les maladies des mains sales».
Le problème d’éclairage n’est pas en reste. Le site n’est pas pourvu en électricité. Les panneaux solaires ne fonctionnent plus. D’autres ont été volés. Ces ex-combattants craignent pour leur sécurité. « Nous dormons la peur au ventre. Si un voleur survient, nous sommes incapables de résister. Nous réclamons la sécurisation du site».
Ces handicapés de guerre réclament également les titres de propriété pour leurs maisons. « Nous avons peur que nous pouvons être chassés à tout moment ».
« Il faut une loi »
Les associations des ex-combattants handicapés reconnaissent les difficultés auxquelles les ex-combattants font face.
Léonard Nduwimana, de l’association pour le développement des militaires handicapés (Admh), estime que le nœud des difficultés est l’absence de la loi régissant les ex-combattants. Et d’insister : « Une loi nous aiderait à revendiquer nos droits.»
Jérôme Bahati, conseiller chargé des questions administratives et juridiques dans l’association nationale des anciens combattants handicapés (Anacoh), abonde dans le même sens. Pour lui, la vie des ex-combattants handicapés devient de plus en plus intenable. Il juge nécessaire une base légale pour réclamer certaines choses. « Toutes les correspondances adressées au ministère de la Défense et à l’Assemblée sont restées lettre morte, il y a huit ans ».
A propos des soins médicaux, les deux activistes des droits des ex-combattants handicapés suggèrent aux services concernés de faire des descentes régulières dans les sites. « Ils en profiteraient pour soigner aussi ceux qui ne sont pas hébergés dans les sites ».