Dans une société post-conflit, il arrive que de jeunes générations soient accusées pour des crimes commis dans le passé sans en être responsables. Les habitants de la colline Mwange, de la zone Kizuka en commune Rumonge trouvent injuste d’indexer les enfants pour des crimes commis avant même leur existence.
Rosate Ndayizeye, une habitante de Mwange, fait savoir que certains descendants des familles de gens accusés des crimes peuvent être attaqués à cause des agissements imputés à tort ou raison à leurs parents. « Des familles endeuillées les accusent d’être criminels alors qu’ils n’ont aucune responsabilité dans la douleur subie. Il y a même des enfants qui sont morts du seul fait que leurs parents auraient commis des crimes ».
Pour un autre habitant, le Burundi a connu des dates sombres dans son Histoire et les plaies des victimes restent béantes. « Le Burundi a connu des crises cycliques. Il y a la méfiance et des divisions dans la société. Certains Tutsi, s’ils voient un Hutu, ils l’accusent d’être un criminel et vice-versa. Tout cela trouve l’origine dans les crimes du passé et pour lesquels justice n’a pas été rendue ».
M.N. est un habitant de la colline Mwange. Il témoigne qu’au moment de la crise, il s’est rendu au chef-lieu de la commune Rumonge. « L’une des autorités l’a accusé d’avoir massacré des Tutsis, parents et enfants. Je lui ai dit que je ne l’ai pas fait. Il m’a giflé à trois reprises. J’ai été sauvé par un jeune tutsi qui lui a demander d’arrêter de me tabasser pour rien. N’eût été son intervention, je ne sais pas ce qui allait m’arriver. J’étais jeune. Je ne comprenais même pas ce dont il m’accusait ».
Pour une mère sexagénaire, c’est incompréhensible que des enfants ou les jeunes générations portent la responsabilité des crimes qu’ils n’ont pas commis. « Des Hutu sont morts et des Tutsi sont morts. C’est un fait. Comment les enfants peuvent être pointés du doigt pour des crimes qu’ils n’ont pas commis. C’est injuste ».
Ces habitants font savoir que cette attitude provoque la haine, la méfiance et les suspicions dans la communauté. L’unité et le développement sont mis en cause. Il faut un dialogue. Les enfants sont des anges. Ils appellent à une justice équitable pour établir les responsabilités sur les crimes du passé. Ils prônent également le dialogue et la réconciliation pour bâtir une société juste et prospère.
La responsabilité est individuelle
Rubin Bizimana, conseiller juridique du gouverneur de Rumonge reconnaît que de jeunes générations sont indexées pour les atrocités des dates sombres de l’Histoire du pays. Il s’agit de 1972, 1988 et 1993. Ils peuvent en être même des victimes. « Certains jeunes manquent des opportunités d’emploi ou tout autre service du fait qu’ils font partie d’un groupe donné ou qu’ils sont originaires d’un groupe donné. C’est de l’injuste si un enfant né en 2000 est accusé des crimes qu’il n’a même pas vus ».
Pour lui, les auteurs de ces messages ont plusieurs motivations. Certains ont des blessures psychologiques et veulent se défouler. D’autres veulent se venger pour affliger les descendants des éventuels bourreaux. « Dans tous les cas, ces messages créent la méfiance entre les Burundais et ils peuvent mener à des crises cycliques comme on n’en a connu. »
Cette autorité rappelle que la responsabilité criminelle est individuelle. Il trouve que les enfants ne doivent pas répondre des agissements négatifs de leurs parents ou des membres de leurs familles. « Dans toutes les réunions, nous rappelons la consolidation de la paix, de l’unité et du développement ».
Selon Chartier Niyungeko, expert en transformation et résolution des conflits, rejeter la responsabilité des crimes du passé sur les jeunes générations est une attitude de vengeance. C’est à cause des injustices subies et des problèmes non résolus qui refont surface. « Ils se disent, nous avons subi des injustices et il n’y a pas eu de réhabilitation. Il s’agit d’une mauvaise réaction, car on ne peut pas se venger sur un enfant qui n’a rien à voir avec ce qui s’est passé », explique-t-il.
Cet expert fait savoir que les conséquences sont multiples et fâcheuses. Des personnes indexées vont se sentir dans l’insécurité. Elles peuvent alors développer des mécanismes d’autodéfense. « C’est l’autoprotection et la violence. Ces enfants indexés à cause de leurs parents ou familles se posent des questions.
Ces comportements engendrent ce que l’on appelle « trauma transgénérationnel ». Il s’agit, dit-il, d’un trauma lié aux événements malheureux du passé qui continuent à influencer le comportement des individus et des communautés. « Ce qui est malheureux, c’est que ce comportement est susceptible de générer des cycles de violences ».
Chartier Niyungeko rappelle lui aussi que la responsabilité criminelle est individuelle. Il ne faut pas, prévient-il, rejeter la responsabilité des crimes sur les enfants ni globaliser selon leurs origines. « On doit changer pour qu’il y ait de bonnes interactions entre les individus, les communautés et entre groupes socio-politiques ».