Initiatives et Changement Grands Lacs a invité des politiques burundais à un renforcement des capacités sur le leadership à Caux en Suisse. Cette rencontre a suscité un espoir d’apaisement du climat politique. Un espoir très rapidement déçu.
<doc4208|right>Lundi, 28 mai 2012. Des représentants de presque toute la classe politique se retrouvent dans la salle Villa Maria du Centre de Conférences de Mountain House. C’est à Caux, entre Alpes et Préalpes, où l’ambiance est joyeuse pour ces 19 Burundais invités par l’ONG Initiatives et Changement Grands Lacs Africains. Des retrouvailles pour ceux de l’ADC Ikibiri qui viennent de passer presque deux ans à l’extérieur du pays. Dès leur arrivée, la veille, ils échangent et se rappellent la « mascarade » électorale de 2010.
Les grands ténors en exil dont Léonard Nyangoma, Pancrace Cimpaye, Alexis Sinduhije, Pascaline Kampayano, tous de l’ADC Ikibiri, sont arrivés parmi les premiers. Proximité oblige.
Deux anciens présidents Sylvestre Ntibantunganya et Domitien Ndayizeye n’ont pas manqué à ce grand rendez-vous. Même s’ils ont dirigé le pays, lâche un participant, ils ont encore besoin d’être formés. Cependant, quelques absences justifiées ou non seront enregistrées : les deux présidents Jean Baptiste Bagaza et Pierre Buyoya, Agathon Rwasa, président du parti FNL, Général-major Evariste Ndayishimiye, chef de cabinet militaire à la présidence de la République, Pascal Nyabenda, président du parti CNDD-FDD, Onésime Nduwimana, porte-parole de ce parti, etc.
Objectifs de Caux
Alors qu’une certaine confusion planait sur la nature de la rencontre, Frédéric Bamvuginyumvira, un des organisateurs de cette rencontre, a indiqué que l’idée date de janvier 2012. Selon lui, elle a été dictée par trois impératifs : le rassemblement des préparatifs des élections de 2015 pour éviter la répétition des crises postélectorales, la rencontre des leaders qui sont dans le pays et ceux qui résident à l’extérieur pour détendre l’atmosphère et comprendre leurs besoins et l’implication des leaders religieux. Raison pour laquelle, explique-t-il, l’ONG Initiatives et Changement a invité des personnalités sans considérer leur appartenance politique parce qu’ils pouvaient aider à faire avancer le débat.
Il tranquillise le gouvernement qui a presque boycotté la rencontre de Caux : « A partir du moment où des gens vont comprendre la nécessité d’organiser les élections, ils vont couper court aux négociations. Le pouvoir devrait être content.» Ce qui est important, ajoute M. Bamvuginyumvira, c’est d’accepter le jeu démocratique qui fait l’économie de l’usage des armes. « Il faut faire comprendre aux gens comment accéder au pouvoir à travers un programme bien identifié par la population », explique-t-il. Pour lui, Il faut libérer le peuple de la crainte, de la pauvreté, de l’ignorance pour qu’il soit en mesure d’opérer un changement librement. Et de demander aux deux représentants du peuple du CNDD-FDD présents à Caux, Aimé Nkurunziza et Jérémie Kekenwa, d’être leur porte-parole auprès du gouvernement.
Caux : une réussite
Aimé Nkurunziza, député du CNDD-FDD, a aussi estimé que cette formation en leadership personnel a été une réussite parce qu’elle lui a permis d’avoir des connaissances en la matière. « C’est quelque chose qu’il faut apprécier positivement », indique-t-il.
En outre, il fait savoir que Caux a facilité un échange entre Burundais de l’intérieur et de l’extérieur, a dissipé les peurs et a éclairé l’opinion de ceux qui sont à l’extérieur sur la situation qui prévaut au pays. « Nous ne sommes pas en enfer, nous ne sommes pas non plus au paradis, mais nous marquons des points », précise-t-il. D’après lui, l’essentiel est de faire encore mieux lors des élections de 2015. « On doit analyser toutes les stratégies pour que 2015 soit aussi une réussite comme Caux », insiste-t-il.
Les participants à la formation de Caux souhaitent que la prochaine rencontre ait lieu au Burundi. Le député Nkurunziza n’y voit aucun inconvénient. « Il y a lieu d’être optimiste, demain ou après demain, ils peuvent être là », conclut-il.
<doc4209|right>Un petit pas en avant à Caux, un saut en arrière au Burundi…
Cette rencontre de Caux a permis le rapprochement des acteurs antagonistes à travers une « ruse » de formation à laquelle les différents leaders ont répondu. Dans la logique d’un atelier de formation, il doit y avoir un document final – même si ce n’est pas obligatoire -, contenant les recommandations issues de la formation.
Et à Caux, il y a eu un document de clôture et tous les participants ont voulu qu’il soit lu. Mais ils ont butté sur certains termes, comme la définition d’un prisonnier politique et son identification.
Les formateurs ont voulu initier un processus, via une stratégie de formation, pour réduire les animosités interpersonnelles ou partisanes.
C’est une diplomatie de couloir, non officielle, où les formateurs, mais aussi d’autres personnes, viennent échanger avec les invités. C’est une ouverture politique pour démystifier le problème burundais en le rendant plus normal, puisqu’ « il n’y a pas de société sans conflit », dixit Max Weber.
Un espoir de lendemains meilleurs
Le choix du lieu, éloigné de la capitale, a également eu son importance, en permettant aux participants d’avoir une plus grande concentration. « C’est également une stratégie de proximité qui a poussé les invités burundais, bon gré malgré, à plus de contact. Ils ont fini par se fréquenter et ont sûrement discuté de leur pays », pense le politologue Jean Salathiel Muntunutwiwe. Dans l’émission Kabizi de ce mercredi, Aimé Nkurunziza a dit que les invités ont discuté autour d’un verre.
Dans le contexte global du Burundi, sursaturé de tensions, cette rencontre se voulait être une stratégie de désamorçage. C’est un prélude à une activité plus importante qui se conclura par la normalisation de la situation. Car, quoi qu’on en dise, la rencontre de Caux ressemble à celles de San Egidio et Mwanza qui étaient interprétées différemment par les participants. Sans oublier que cette rencontre est intervenue au moment où on parlait de recrudescence des bandits ou des groupes armés, de chasse à l’homme et de persécution des opposants.
Mais le doute persiste…
Malgré cette ambiance bon enfant qui aurait régné en Suisse, les logiques sont restées les mêmes, si pas pires, au Burundi. Les violations des droits humains et politiques ont provoqué des condamnations du pouvoir par certains invités à Caux. Où il avait été évoqué la tenue de la prochaine rencontre au Burundi, ainsi que l’éventuel retour d’exil de certains leaders politiques. Mais, après la dernière déclaration d’Alexis Sinduhije, on peut en douter. Et il ne serait pas étonnant que la conférence de presse, prévue le 9 juin en Belgique, par Léonce Ngendakumana et Chevineau Mugwengezo, n’éteigne la lueur d’espoir furtivement aperçue à Caux.