Lundi 23 décembre 2024

Société

Lettre à Jean

25/08/2016 17

Comme tous les 22 de chaque mois, on se souvient que Jean Bigirimana , notre collègue disparaissait. Antoine Kaburahe, lui avait écrit.

pour johnCher Jean

Tu remarqueras que nous sommes entre nous, entre collègues de travail. Nous n’avons pas voulu associer ta famille, tes proches, car ces paroles risqueraient de sonner comme une oraison funèbre.

Nous avons été voir ta famille, les enfants vont bien, Don Douglas n’était pas là, il était parti jouer au football, il joue au numéro 9, à l’attaque. Timmy se porte bien et Gode essaie de tenir. Elle espère toujours que tu vas revenir.

Tu sais, comme elle on se prend parfois à rêver que tu es quelque part et que tu vas nous revenir… Mais comme disait un de ces hérauts : « Je crains le pire. »

Jean, on nous a signalé que tu as été aperçu pour la dernière fois à Bugarama.

Nous avons monté des collines, descendu des vallées de Muramvya. Nous avons arpenté les contreforts de la Kibira et longé la Mubarazi.

C’est d’ailleurs là que nous sommes tombés sur ces deux corps suppliciés.

Nous ne savons même pas formellement que tu ne fais pas partie de ces deux citoyens livrés à la rivière. Les deux corps ont été enterrés vite fait. S’ils sont lents à chercher, ils sont rapides pour enterrer.

Aujourd’hui, nous n’avons que des questions

Jean, qu’as-tu fait pour disparaître ainsi ?
Qu’as-tu dit  pour que l’on ne te donne même pas la possibilité de t’expliquer ?

J’ai beau fouiller, mais je ne trouve pas.

En fait, et c’est grave, on t’a reproché d’exister, puisqu’on t’a fait disparaître.
Car si on t’ avait reproché d’autres méfaits, on t’aurait mis en accusation.

Mais ton départ encore inexpliqué nous aura au moins permis de compter, de faire le tri des amis. C’est le seul avantage dans ce malheur.

Durant notre quête, il y en a qui nous ont aidés, nous ont soutenu discrètement ou publiquement. Il y en a qui faisaient semblant de nous aider. Certains nous ont même reproché de te chercher, de nous « acharner ».

Mais de nombreux citoyens, anonymes, au péril de leur vie nous ont parlé et d’autres nous parleront.
C’est d’ailleurs grâce à eux que nous sommes arrivés sur ce lieu maudit où nous avons découvert ces deux corps.

Cher Jean nous sommes tellement impuissants face à ceux qui ont fait de la mort leur spécialité.

Non seulement ils ôtent les vies, mais prennent aussi les corps. Ils veulent effacer toute trace.

Cher Jean, aujourd’hui, nous avons déposé une plainte en Justice contre « X ».

Cela semble bien sûr dérisoire, car ceux qui t’ont pris, ou te détiennent, pensent avoir gagné. Ils contrôlent la Justice et ont le sentiment d’être les maîtres du monde.

Cher Jean tout ce mal qu’ils font sera retenu contre eux. Un jour une Justice s’appliquera. Celle de Dieu certainement, mais aussi, nous y croyons fort, celle du tribunal des hommes.

Cher Jean, nous voici donc réunis autour de ta photo, grâce à elle, tu vas rester parmi nous.

Tu nous vois les yeux secs, mais nous avons les coeurs lourds. Nous ne voulons pas pleurer, car ils auront gagné.

Et dans notre tradition, « les larmes d’un vrai homme coulent à l’intérieur ».

Nous n’avons pas le temps de haïr et nous allons continuer le travail. Si nous arrêtons, ils auront gagné.

Aujourd’hui nous n’avons que des mots.
Mais les mots sont plus forts que la mort.

Jean, ils ne gagneront pas !

Il y a Don Douglas et John Timmy, à travers eux tu vis.

Tes garçons grandiront, ils sauront la vérité, cela prendra le temps qu’il faut, mais nous la découvrirons.

Nous écrirons ton histoire, ce qui s’est passé, comment Papa est parti, à 37 ans, propre.

Au contraire de ceux qui t’ont pris la vie, tes enfants seront fiers de porter ton nom. Bigirimana : Bigira-Imana. Ton nom à lui seul est un message. C’est Dieu qui fait. En effet.

Salut, Jean !

Forum des lecteurs d'Iwacu

17 réactions
  1. vyizigiro

    un jour, le soleil se levera et le burundi verra la justice qu’auparavant.

  2. matayo

    Faire disparaître une personne comme ça alors que l’on a aussi des petits enfants, c’est sauvage, c’est insupportable! Pourtant, ces sanguinaires sont tous les week-ends agenouillés dans les églises un peu comme si ils priaient, un peu comme s’ils espéraient que Dieu va les écouter!

  3. Mutana

    Vous dites clairement que ceux qui l’ont enlevé contrôlent la justice. Donc vous accusez le pouvoir en place. Soyez prudents. Je constate quil est difficile d’être neutre pour le journaliste burundais.On avait compte sur Iwacu mais vous êtes en train de décevoir car vous vous aligné sur le discours extremiste Sindumuja. Meme s’il était confirmé que c’est un agent de renseignements qui l’a arrêté rien ne prouve que c’est le gouvernement qui a ordonné cet acte. À votre place je serais prudent dans l’attribution des responsabilités. Au lieu de globaliser je demanderai au gouvernement d’enquêter et retrouver vite les auteurs. Montrer au moins que vous avez un minimum d’espoir dans les institutions. Si vou pensez qu’il n’y a plus d’espoir quant à l’avenir de l’ordre et la justice dans le pays alors fermer votre journal et faites autre chose ou aller en exile. Le fait d’être là signifie que vous croyez que petit à petit la situation va s’améliorer. Alors ne faites pas une chose et son contraire.

    • divine comédie

      @Mutana
      je ne suis pas ceux qui ont rédigé « la lettre à Jean » mais je confirme que ceux qui l’ont « fait disparaitre » contrôlent la justice . Mais je vais encore plus loin , ils controlent aussi l’armée et la police. Car , dans les conditions que lón connait Jean ne s’est pas suicidé , aucunne force non organisée n’aurait pu le faire disparaitre sans disposer de gros moyens , parvenir à le faire disparaitre comme cela ? Non . Mais j’ai conviction personnelle que certaines personnes savent ou se trouve Jean . Je leur demande de parler , même sans se faire connaitre pour que les siens aient au moins une preuve de la vie ou d’autre chose . Je me refuse même à prononcer ce que tout le monde redoute.
      Mr ou Mme Mutana vous demandez qu’on fasse des enquêtes , mais le site Iwacu l’avait demandé avant vous , vous n’y apportez aucune nouveauté. Cessez donc de remuer le couteau dans la plaie et taisez vous . Svp taisez vous et laissez sa famille , ses collègues , les amis du genre humain pleurer et souffrir. c’est la seule chose qui leur reste. Mais Dieu, le pus grand existe , il dira ce qui s’est passé et on saura.
      Je demanderais au site Iwacu de baptiser la salle de rédaction  » Salle Jean Bigirimana » . En attendant que; à Bujumbura il y ait un jour des rues « Bigirimana », Manirumva »,etc.
      Mr ou Mme Mutana vous ajoutez quelque chose de grave en ces termes « si vous pensez qu’il n’y a plus d’espoir quant à l’avenir de l’ordre et la justice dans le pays alors fermer votre journal et faites autre chose ou aller en exile » C’est déguelasse de dire cela . De demander à des citoyens burundais de « s’éxiler »parce qu’ils disent la vérité . Mais vous êtes déguellasse de chez déguellasse!
      Je vous Mr Mme Mutana de vivre trop longtemps , très longtemps et vivre la démocratie et la liberté que vous refusez aux autres , vous verrez la différence .

      • Karabona

        Pardon, je m’adressais à Divine Comédie et non à Mutana

    • Karabona

      Merci Mutana. Là est la solution, demander au gouvernement d’enquêter… et comme ils ne font rien depuis plus d’un an, vous pensez que ce serait une bonne idée de descendre dans la rue pour demander le début de l’enquête? Parce que ces temps-ci vous avez remarqué que les Burundais descendent régulièrement dans la rue, contre la Belgique, contre la CPI, contre les Nations Unies, c’est un peuple courageux, ne pensez-vous pas qu’il pourrait manifester pour demander justice pour un journaliste? Et vous, vous seriez d’accord de vous joindre au mouvement, parce que c’est le devoir de tout citoyen d’être vigilant quant à la sauvegarde des libertés fondamentales, n’est-ce-pas?

  4. sindumuja

    Réponse de Jean

    Merci chers collègues. Ce geste me va tout droit au coeur . .Mais au fond de la rivière où ils m’ont jeté je sais que vous aller écrire bcp de littérature, même mes assassins vont s’y mettre , même la communauté internationale va entrer dans la danse, et lorsque les riviéres deviendront rouge du sang des burundais, elle va s’excuser genre » on ne savait pas » . En choisissant le métier de journaliste je voulais offrir une vie meilleure à mes enfants, une vie des gens civilisés, capable d’affronter la vérité devant un tribunal, mais mes assassins sont de petits joueurs dangeureux qui continuent à se balader devant une multitude des gens normaux.

  5. Leopold Hakizimana

    Dans ce Burundi ensanglanté depuis son indépendance, la lettre à Jean convenait aussi à Pierre, â Louis, et tous les X massacrés depuis notre soi disant indépendantce à nos jours. L’équipe d’Iwacu a droit de pleurer Jean parce qu’il est d’Iwacu , mais se focaliser sur lui et étendre vos actions contre le pouvoir actuel,vous risquez d’exposer votre journal sur la locomotive de l’opposition . Ce jean etait ou est un journaliste hutu, soyez prudent qu’il n’y ait aucune récupération politique. Les gens ne sont pas stupides et les profiteurs des malheurs des autres sont nombreux .. À Kaburahe, je vous dois un grand respect, je vous prie par ailleurs de réagir pour l’intérêt pécuniaire des enfants de ce Jean et et de sa femme, ce qui est une bonne chose. Permettez à ces amis et collègues de lui pleurer, Mais, évitez, ce qui pourrait apparaītre comme votre règlement de compte avec le pouvoir. Restez crédible et impartial. Et refusez toute recuperation de vos actes par ses extrémistes que je lis souvent dans votre journal. Ce n’est pas Jean ou sa femme qui me contredirez, le Burundi est plein de morts comme Jean, Soyez juste aussi pour les Xmorts, même s’ils n’était pas vos amis.
    Par ailleurs, si voulez partir de Jean pour rendre justice à Pierre et à Loius et à d’autres X tués sous d’autres régimes depuis notre independance, go ahead.

    • Burundi

      Hey Leopold

      Gushinyagurira cette famille et les amis en deuil ne ramenent pas les morts. Tu t’actives beaucoup pour intimider et faire peur les citoyens qui ont fait un geste appreciable. Meme s’il n’avaient rien fait, les gens comme toi diraient autre choses.

  6. Gihugu

    Iwacu, dans vos paroles réconfortants, aucun mot de haine. Vous êtes de grande valeur. Dans cette crise, j’aurai connu des grandes âmes, des références pour le Burundi futur. Une fierté nationale: les Journalistes dans l’ensemble et la société civile emmenée par la jeunesse et les femmes. Que Dieu vous bénisse.

  7. Mayisha Gashindi

    Cette lettre sera enseignée dans les anales de l’histoire d’une cole secondaire et non fondementale. Les fils de ces dictateurs qui nous oppriment auront le sentiment de ne pas etre dans leur propre pays

  8. Mayisha Gashindi

    S’ils sont lents à chercher, ils sont rapides pour enterrer.

  9. soleil VUGUKURI

    C’est malheureux cette disparition. Ceux qui devraient disparaître sont ces criminels de tout bord. Le Burundi guérira de cette maladie un jour. Il n’est pas condamné à vivre dans cette douleur quotidienne. Il s’affranchira de cette servitude un jour.

  10. natacha

    Et si seulement tous les employeurs agissaient ainsi! Merci Iwacu

  11. Elsie

    Vous êtes si courageux et sereins cher Journalistes!Restez ainsi et je suis convaincu que le mal ne triomphera jamais!

    • Mutekano

      Je pense qu’il ya des Burundais qui pensent être au delà des autres.Ceux qui donnent des « Iterabwoba »!!! Qui est le responsable de ces disparutions quotidiennes autre que le régime de Bujumbura!!! Diriger, gouverner, prier et encore tuer, torturer le peuple!!! Quel gouvernement est-il?Le dernier mot revient à Dieu!!! Le Dieu que le gvt bdais prie , se monterera un jour.Le Dieu de Joseph, d’Abraham celui que nous prions est VIVANT.

      • Idrissa Mustafara

        Iwacu, merci. Tu nous fais pleurer ! Oui, il est vivant- parmi nous- oui il est présent – le sang des criminels le ressent ! Oui, il nous attends, les criminels y pensent ! Oui il est vivant dans Don Douglas !! Je l’entendrais dans les herbes souffrant de Mahango – au plus haut sommet de Nyangembe et dans les méandres de la rivière de Save. Jean, Jean, Jean a été assassiné, broyé par ces mêmes, qui se disent défenseurs du système, ou par contre ses ennemis. Les criminels ne se pas trompés du cible car, avaient minutieusement préparé ce coup. A 37 ans, ses enfants deviennent orphelins- ces anges sont sans défense ni un miracle pour les sauver des ongles de l’aigle. Hélas, ils sont fatigués- si affamés et accroupis dans la solitude mais protégés par le Ciel. A 10 ans, ils seront habitués : à la vie et aux regrets ; vivre dans un pays aussi meurtrier que le Burundi. A 37 ans comme son père disparu, ils vont comprendre : un criminel n’a pas d’identité – il est toujours criminel. Aux criminels, le message est simple : « Maudit ! maudit ! maudit ! Un jour, cœur féroce, tu assassineras ton père et ta mère ! » Gustave Flaubert.

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