Lundi 23 décembre 2024

Culture

« C’est la nuit qu’il faut croire à la lumière »

17/06/2015 Commentaires fermés sur « C’est la nuit qu’il faut croire à la lumière »

Avec les menaces accrues contre Iwacu, le directeur, Antoine Kaburahe, oscille entre résignation et détermination. Entretien.

Antoine Kaburahe, Directeur du Groupe de Presse iwacu
Antoine Kaburahe, Directeur du Groupe de Presse iwacu

Comment avez-vous vécu les dernières menaces directes contre les journalistes d’Iwacu ?

Je pense qu’il faut poser la question autrement et simplement. Jusque quand pourrons-nous exercer notre métier ? Parce que de plus en plus je m’interroge.

C’est à ce point ?

Oui. Il y a une hostilité ouverte, et surtout couverte. Quand un policier tourne sa Kalachnikov vers un journaliste et menace d’ouvrir le feu et que son supérieur présent ne dit rien, ça fait vraiment peur…

Les relations entre les médias et la police n’ont jamais été bonnes…

Nous faisons un travail sérieux. Toutes nos infos sont vérifiées, assumées, tous nos article signés. On n’a jamais eu aucun procès pour diffamation ou manipulation de l’information. En général, Iwacu est respecté. En sept ans de présence sur terrain, nous n’avions jamais rencontré pareille hostilité. Quatre menaces directes et sérieuses contre nos journalistes en quelques jours, ça fait beaucoup.

A quoi attribuez-vous cette hostilité ?

On sent que l’on gêne. Je crois que la destruction des autres médias y est pour quelque chose. Apparemment, certains souhaitent le blackout total sur la situation. Un petit exemple : des journalistes d’Iwacu ont pris les photos d’une manifestation à Ijenda. Un Commissaire de police a donné au photographe l’ordre d’effacer toutes les photos prises ! Sinon, il menaçait de l’embarquer. Si un commissaire de police traite ainsi les journalistes que fera le simple policier ? L’exemple vient d’en haut.

Comment vit-on pareille situation ?

Très mal. J’angoisse, quand les journalistes vont sur le terrain. Bien sûr je leur dis d’obtempérer, de faire profil bas. Mais, c’est humiliant de faire son travail comme un voleur, en rasant les murs. Une fois nous avons été obligés de rentrer tard, sur un barrage de police, j’ai vu les journalistes dissimuler instinctivement leurs badges. Voyez jusqu’où va le traumatisme.

A votre avis, comment mettre fin à cette situation ?

Les autorités doivent dire et redire aux forces de l’ordre que les journalistes ne sont pas des ennemis du pays, qu’ils ont le droit de travailler, de dire, d’écrire même les choses qui ne plaisent pas nécessairement. Nous ne sommes pas des étrangers. Le Burundi c’est notre pays. Et les médias indépendants sont importants dans une démocratie. Ceci est un appel : laissez-nous exercer librement notre métier…

Est-ce que lwacu va pouvoir continuer à exercer?

(Silence) Nous allons continuer… jusqu’au jour où nous ne pourrons pas. Mais je dois reconnaître que cela devient très difficile. Et puis cet environnement ouvertement hostile s’ajoute à des problèmes de survie, nous avons perdu 85% des revenus publicitaires. Avec le ralentissement de la vie économique, les entreprises ne font plus de publicité.

Et sur le plan personnel comment gérez-vous cette situation ?

Au jour le jour. Il est très difficile de se projeter dans l’avenir. Pourtant, notre groupe de presse était bien parti. En sept ans, nous avions fait des progrès notables, le Groupe de Presse Iwacu (journal & imprimerie) emploie une quarantaine de personnes. Au mois de mai, Iwacu allait devenir le premier quotidien indépendant de l’histoire du Burundi. Des nouvelles machines sont là et toujours emballées. Tout cela est compromis.

Voyez-vous d’autres responsables des médias indépendants ?

Mais il ne reste presque plus que Muhozi. (Silence) Les autres ont dû fuir. Innocent je le vois souvent, on échange. Il prend les choses avec philosophie, c’est un type extraordinaire, courageux, il m’aide à ne pas lâcher. Mais c’est vrai, souvent on se sent un peu seuls, sans les autres…

Vous espérez une renaissance des médias libres au Burundi ?

C’est ce qui me pousse à continuer, à garder Iwacu, cette petite fenêtre de liberté. Il faut toujours espérer. Un ami, l’écrivain burundo-canadien Melchior Mbonimpa m’a dit quelque chose de très fort : «C’est la nuit qu’il faut croire à la lumière. » Rester debout. Malgré tout . C’est ainsi que je tiens. Jour après jour.

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