Vendredi 22 novembre 2024

Société

Ces « cotisations forcées » qui enfoncent dans la précarité

02/08/2021 3
Ces « cotisations forcées » qui enfoncent dans la précarité
Jean Bosco Nyabenda : « Nous cotisons dans des syndicats auxquels nous n'avons pas adhéré.»

Des enseignants dénoncent des retenues syndicales indues opérées par des syndicats. Les responsables syndicaux interrogés indiquent qu’ils sont en train de résoudre ce problème.

Jean Bosco Nyabenda, enseignant au Lycée municipal de Buyenzi, confie avoir constaté qu’il cotise à son insu pour un syndicat nommé Syndicat du personnel enseignant du Burundi (Sypeb), depuis février 2021. « Nous sommes en train de nous organiser pour aller réclamer car nous cotisons dans des syndicats auxquels nous n’avons pas adhéré ». En fonction depuis janvier 2020, il confie qu’il partage la même situation avec d’autres enseignants de sa promotion. « Je n’ai pas l’accréditif sur moi, mais 1000 BIF sont retirés à la source», affirme-t-il. Jusqu’au lundi 26 juillet, raconte M. Nyabenda, 55 enseignants s’étaient consultés pour envisager une réclamation ensemble. « C’est pour demander aux syndicats de cesser ces retenues syndicales pour des enseignants non syndiqués et de remettre toutes les sommes déjà indûment retirées».

Christella Mukamusoni, enseignante avant de devenir bibliothécaire au Lycée Kirundo, affirme avoir découvert que le syndicat Synapep lui retire 1000 BIF par mois depuis avril 2021. « J’ai été surprise. Je ne connais même pas le représentant de ce syndicat». Elle fait savoir que cela lui a coûté cher car la banque a refusé de lui accorder toute la somme d’un crédit qu’elle avait demandé à cause des 1000 BIF qui manquent sur son salaire. Elle prévoit adresser une correspondance au représentant de Synapep pour lui demander de stopper cette retenue. « C’est cela que mes collègues m’ont suggéré, j’avais manqué à quel saint me vouer, certains me disaient que je dois écrire au ministre».

Désiré Niyongere, enseignant au Lycée communal de Kivogero, commune Bukeye en province Muramvya, regrette que les syndicats se soient arrogé le droit de gérer les comptes bancaires des enseignants. Selon lui, certains de ces syndicats sont même inconnus des enseignants. Il se demande pourquoi le ministère en charge de la Fonction publique leur autorise de prendre de l’argent à leur insu. « Ils ne nous ont même pas contactés, ni sensibilisés».

Non à l’adhésion forcée

Sur un accréditif d’un enseignant, on constate une cotisation dans Sipesbu et Synapep.

En allant chercher son accréditif en février 2021, Désiré Niyongere découvrira qu’un syndicat nommé Sypeb lui soutire une cotisation mensuelle. « Nous n’allons pas croiser les bras, nous connaissons ce que dit la loi, un travailleur cotise pour un syndicat dont il est membre », jure cet enseignant en fonction depuis fin 2019. Un autre enseignant recruté la même année à l’école fondamentale de Butazi, commune Ndava en province Mwaro, s’étonne du fait que des syndicats ont connu son numéro de compte et ceux de ses confrères.

D’après Diogène Habarugira, un enseignant au Lycée de la Comibu à Kayanza, les cotisations syndicales forcées suscitent des préoccupations chez les fonctionnaires. « Les retenues se font à 1500 BIF par mois et certains cotisent dans plusieurs syndicats », regrette Diogène dont l’épouse aussi enseignante est victime de ces cotisations forcées. Il assure que ce sont des sommes colossales cotisées sans consentement : « Imaginez si un enseignant cotise dans 2 ou 3 syndicats à hauteur de 1000 à 1500 BIF par mois pendant une année ǃ »

Sur les accréditifs des enseignants qui se disent victimes  de retenues syndicales forcées se remarquent des syndicats comme Sipesbu, Synapep, Conapes, Sepeduc…  Certains affichent des retenues doubles. Les enseignants interrogés ne décolèrent pas. Ils demandent au ministère en charge de la Fonction publique et ces syndicats des enseignants de les rétablir dans leur droit. Et de marteler : « Nous ne pouvons pas adhérer à des syndicats par force. »

« Un problème en train d’être résolu »

 

Emmanuel Mashandari : « Le processus de régularisation a commencé et continue. »

Interrogé, Emmanuel Mashandari, président du Syndicat national du personnel enseignant (Conapes) et vice-président de la Confédération des syndicats des enseignants (Cossesona), indique que le problème est connu : « Le processus de régularisation a commencé et continue. » Il fait savoir que plus de 8000 enseignants, à travers tout le pays, ont été rétablis dans leurs droits. Pour des enseignants membres de son syndicat ou sa confédération qui sont victimes de retenues doubles, M.Mashandari fait savoir qu’ils écrivent une lettre au syndicat qui leur retire des cotisations sans leur consentement. « Et puis notre syndicat collabore avec le syndicat concerné pour corriger».
Ce dernier regrette que ce soit surtout les nouveaux syndicats qui retiennent des cotisations sur les comptes des enseignants sans leur autorisation. Et d’évoquer un autre problème : «Certains enseignants adhèrent à un nouveau syndicat sans se désengager de l’ancien et cela crée souvent des problèmes au niveau des retenues.»

Thierry Hategekimana, président du Syndicat libre des enseignants du Burundi (Sleb), reconnaît que dans le passé certains responsables des syndicats avaient inscrit massivement des enseignants sur la liste des membres sans que les concernés ne soient consultés. Mais il souligne qu’ils ont été punis et remplacés.
M. Hategekimana annonce aux enseignants que cela est en train d’être corrigé au niveau de son syndicat : « C’est ce travail qui m’a occupé toute cette journée. » M. Hategekimana demande à ces enseignants qui veulent se désengager d’écrire une lettre au président du syndicat avec un accréditif en annexe : « Nous n’attendons que leurs lettres. C’est un travail que nous avons promis au ministère en charge de la Fonction publique. »

Gérard Niyongabo, président du Syndicat des Enseignants professionnels de l’Education (Sepeduc), quant à lui, fait savoir que son syndicat n’est pas impliqué dans cette affaire de cotisations syndicales forcées. « Quand il y aura des enseignants qui formulent des reproches à Sepeduc, nous leur montrerons les fiches d’adhésion qu’ils ont signées. S’ils veulent quitter notre syndicat, c’est leur droit aussi.»

Depuis plusieurs jours, il reconnaît qu’il y a des remous sans réponse contre les retenues syndicales indues opérées par certains syndicats du secteur de l’éducation : « Les enseignants se lamentent partout. »

Pour Gérard Niyongabo, ils manquent d’une procédure de réclamation ou ont peur de dénoncer ces abus. Ainsi, ce représentant syndical précise que son syndicat a lancé une campagne d’inscription d’enseignants victimes de retenues indues : « Le concerné va présenter un accréditif ou un autre document qui atteste ces retenues et une lettre de demande pour y mettre un terme tout en précisant le syndicat visé.» Et de préciser que le dossier sera transmis au ministère en charge de la Fonction publique pour analyse et traitement.

Contacté au téléphone, la porte-parole du ministère en charge de la Fonction publique demande aux enseignants de présenter leurs doléances au ministère : « Nous ne sommes pas encore au courant de ces lamentations. »

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Gacece

    Il manque une information essentielle à cet article : à quelle étape ces cotisations sont-elles retirées du salaire? Avant le dépôt du salaire à la banque ou à partir du compte une fois le salaire déjà déposé?

    Si ces cotisations sont prélevées avant le dépôt au compte du syndiqué, le problème doit être résolu par l’employeur (le ministère). Le syndiqué doit le signaler à se employeur parce que ce dernier ne peut pas corriger un problème dont il n’est pas au courant.

    Dans le cas où les prélèvements se font à partir du compte du syndiqué, le problème doit être réglé par le syndicat après le signalement du syndiqué… à sa banque. En effet, le compte appartient à son titulaire. Si ce dernier avise la banque qu’une opération qu’il n’a pas autorisée se fait sur son compte, la banque doit arrêter ces prélèvements et exiger du syndicat qu’il produise des preuves qui ont autorisé ces prélèvements. L’ultime choix du syndiqué pourrait aller jusqu’à fermer le compte et ouvrir un autre à la même banque ou ailleurs.

    À chacun de faire ses devoirs.

  2. Nshimirimana

    Si je comprend bien le propos de M. Emmanuel Mashandari, il faut créer une nouvelle jurisprudence qui consiste à dire: «je commets un délit, si je ne suis pas pris la main dans le sac, ça passe et si je suis rattrapé, je rembourse». Le cas me parait grave et Reta Mvyeyi ikaba na Reta Nkozi doit s’en saisir. En effet, de quel droit on viole les droits des enseignants en les enrôlant de force dans des syndicats? De quel droit, un chef syndicaliste s’arroge-t-il les prérogatives de procéder au retenu sur salaire de quelqu’un qu’il n’emploie pas? Et quid de ce fonctionnaire de la fonction public qui a procédé aux retenus de ces cotisations illégales? Nous avons assisté ces derniers temps à des réactions sévères de la part de nos autorités face aux manquements de certains fonctionnaires de l’Etat et là, l’on est en face à des cas graves qui méritent aussi des réactions en conséquence…
    A vous les enseignants lésés, l’essentiel n’est pas de récupérer les 1000 fbu que vous avez cotisé mais de comprendre d’où sont venus les décisions illégales qui vous ont lésé…
    C’est comme ça que l’État de droit triomphera!

    • Yan

      « De quel droit, un chef syndicaliste s’arroge-t-il les prérogatives de procéder au retenu sur salaire de quelqu’un qu’il n’emploie pas? »

      Un tiers peut-il se permettre de toucher sur un salaire de quelqu’un à part les prélèvements obligatoires ou alors par une décision d’un juge?
      Je ne peux pas m’imaginer qu’un syndicaliste puisse donner un ordre de ponctionner un salaire de quelqu’un au comptable d’une organisation qui emploie quelqu’un. Il doit y avoir un souci dans la procédure. Personne, en principe ne peut toucher au salaire de quelqu’un en dehors des prélèvements obligatoires (impôt, cotisations sociales, etc.) relevant de la loi, ou alors une décision du tribunal (en cas d’apurement de dettes dues), sans l’accord du titulaire.

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