Au moins 69 victimes du trafic des êtres humains ont été déjà assistées par le centre « Mpore Mwana » depuis le mois d’avril 2018. Certaines d’entre elles se disent satisfaites par les services offerts par ce centre à Makamba.
Des bâtiments flambant neufs. Le centre est juché en haut de la colline Makamba. A quelques 800 mètres du chef-lieu de la province Makamba, au sud du Burundi. L’endroit est calme. Il ressemble à un lieu de retraite. A l’entrée, deux affiches. Leurs messages interpellent : « Burundais, levons-nous comme un seul homme pour lutter contre la traite des êtres humains », ou encore « La jeune fille au centre du développement du Burundi ».
Il est 12 h 30. Un planton me reçoit dans une salle d’accueil. Sur les quatre murs, un seul message. « Luttons contre la traite ». Toujours ce calme. Personne, à part le planton. « Le reste du personnel est parti pour le repas de midi et le directeur est sur terrain dans la commune de Mabanda », dit le planton.
Un appel téléphonique au directeur du centre. « Je vous rejoins dans 20 minutes », répond-t-il. Il arrive à moto, en tenue de sport. Les présentations sont chaleureuses. Il s’appelle Juma Kagoma. Nous allons directement dans son bureau. Ce dernier est un peu large. Pas beaucoup de dossiers sur la table.
Une visite du centre est décidée. Les bâtiments ne sont pas imposants. Un bureau d’écoute et d’orientation et une chambre d’hébergement. « Elle a une capacité d’accueil de 20 personnes », indique le directeur.
« Où sont les victimes ? » Le directeur répond qu’il faut se rendre sur terrain.
Le centre salué par les victimes
«De mon retour d’Oman où je suis restée deux mois, j’ai été accueillie et assistée par le centre Mpore Mwana », témoigne S.Z. Cette jeune femme d’une vingtaine d’années habite au quartier Rugarama au chef-lieu de la province Makamba. Elle est très dynamique. Elle ne reste pas en place. Poussée par la pauvreté, elle quitte Makamba en juin 2017. Elle laisse son mari et ses quatre enfants. A Oman, elle fait les travaux ménagers. Après quelques jours dans ce pays, elle a le mal du pays. Ses enfants lui manquent. Elle décide de rentrer.
N.S, 25 ans et mariée, part elle aussi en juin 2017 en Arabie Saoudite. Elle est femme de ménage. En sanglotant, elle raconte son calvaire. « Je travaillais jour et nuit avec trois heures de repos par jour. ». Elle percevait une somme dérisoire de 70 Riyal saoudien (environ 18,66$). Elle n’a pas pu tenir deux mois. « Je suis rentrée sans un sou. Le centre m’a hébergée pendant quelques jours et m’a aidée à oublier les sévices que j’ai subis ».
D’autres victimes indiquent qu’elles ont été trompées par les trafiquants qui leur faisaient miroiter une vie meilleure dans les pays du Golfe. « Nous avons été déçues » Celles qui ont pu passer dans les mailles du filet dénoncent les mauvais traitements dont elles ont été victimes. Travaux durs, sans repos, salaire maigre,…Tel est le calvaire quotidien qu’elles ont enduré.
Elles saluent les services offerts par ledit centre. « Nous remercions le centre qui nous a d’abord hébergées et nous a aidées à regagner nos familles. Nous n’avions pas de moyens de regagner nos domiciles. »
Ces victimes plaident pour la multiplication de ces centres car les victimes deviennent de plus en plus nombreuses.
Des chiffres qui font froid au dos
«A cause de la pauvreté et le chômage, de jeunes filles et femmes burundaises gagnent les pays du Golfe via le Kenya et la Tanzanie », explique Juma Kagoma, directeur du centre. Le phénomène prend de l’ampleur ces derniers jours.
Selon M. Kagoma, les victimes sont essentiellement des femmes et jeunes filles issues des familles pauvres. Certaines femmes, tient-il à préciser, n’hésitent pas à abandonner leurs maris et leurs enfants pour partir à l’aventure. Elles espèrent trouver un eldorado, souligne M. Kagoma, mais la vérité est tout autre.
Selon le directeur, les chiffres ne cessent de gonfler. Parmi les victimes déjà reçues, 15 cas relèvent du trafic humain à l’intérieur du Burundi. 23 ont été « vendues » dans les pays du Golfe et 13 cas d’expulsées de la Tanzanie. 18 victimes ont été interceptées en cours de route vers la Tanzanie et le Kenya.
Le centre « Mpore Mwana » atteste avoir assisté 20 victimes de la traite externe depuis avril 2018. « Elles ont été maltraitées, battues, torturées en Oman et Arabie Saoudite puis renvoyées manu militari sans être payées. Certaines ont failli y laisser la vie », affirme Juma Kagoma
Démunies, raconte ce responsable, elles ont du mal à arriver à destination. Tantôt, elles dorment dans les mosquées et y quémandent les moyens de déplacement pour retourner chez elles. D’autres s’adonnent à la prostitution pour avoir de quoi mettre sous la dent.
Des réseaux de trafiquants sévissent
Selon ce même directeur, il existe un réseau de trafiquants très actif et lucratif dans l’Afrique de l’Est (Burundi, Tanzanie, Kenya et Ouganda) avec des complicités établies dans les pays du Golfe.
Par ailleurs, d’autres sources sous couvert d’anonymat, indiquent que ce trafic d’êtres humains se fait à des fins de prostitution, de pornographie et de trafic d’organes.
« Certaines victimes n’osent pas raconter le calvaire qu’elles subissent. D’autres n’osent pas pointer du doigt les trafiquants », affirme M Kagoma. Du coup, il est difficile d’identifier les trafiquants et de démanteler ces réseaux.
Par ailleurs, regrette-t-il, il y a des complicités tant au niveau des pays d’origine que dans les pays de destination. Complicité qui est aussi décriée par un des activistes de la société civile dans la province de Makamba. «Les trafiquants se la coulent douce.»
M. Kagoma interpelle la police locale : « Il faut qu’elle collabore avec l’Interpol dans les enquêtes et dans les poursuites des auteurs de ce commerce illicite ». Et de marteler : « Les auteurs doivent être traduits en justice pour mettre fin à l’impunité ». Il rappelle que l’Etat a l’obligation de protéger et de faire protéger ses citoyens n’importe où ils sont.