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CENI : le lapsus qui sème la confusion

05/05/2013 Commentaires fermés sur CENI : le lapsus qui sème la confusion

Au moment où l’opposition dénonce les contradictions entre les propos tenus par le président de la CENI, Commission électorale nationale indépendante, et son porte-parole sur le nombre de bulletins de vote commandé à la société MEX, une troisième voix, celle de la vice-présidente de cette institution, enfonce le clou.

<doc5480|right>Selon Mme Christine Ndayishimiye, il n’y a aucune contradiction entre le président de la CENI, l’ambassadeur Pierre-Claver Ndayicariye et son porte-parole, Prosper Ntahorwamiye, dans la mesure où le nombre total de bulletins de vote commandé à la société MEX s’élève à 24.000.

Il s’agit ici du chiffre avancé par le président de la CENI. « Le bon de commande et la facture y relative attestent la véracité de cette affirmation », tient à préciser la vice-présidente de la CENI exhibant les papiers justificatifs. Mais un petit détail cloche : la date du 3 juin 2010 marquée sur le bon de commande émis par la CENI est postérieure aux communales du lundi 24 mai 2010. « Il y avait urgence, quand on a constaté que quelques bulletins de vote manquaient ; on a contacté la société MEX et on a réglé le reste après », révèle la vice-présidente de la CENI.

D’après Mme Christine Ndayishimiye, M. Prosper Ntahorwamiye voulait donner les détails de cette commande, c’est-à-dire 6.000 bulletins de vote pour le candidat indépendant Pierre Habarugira et 18.000 bulletins de vote pour le parti PP, mais il a fait un lapsus linguae qui est en train d’être exploité par les médias et certains politiciens. 

Le porte-parole de la CENI a oublié un zéro

Pour la vice-présidente de la CENI, l’erreur du porte-parole de cette institution est humaine : « Ce n’est pas grave. Au lieu de dire 18.000 bulletins de vote du parti PP, il a dit 1.800, il s’est trompé d’un zéro. » Or, poursuit-elle, il est facile de comprendre que 6.000 bulletins de vote du candidat indépendant Pierre Habarugira additionnés aux 18.000 bulletins de vote du parti PP donnent un total de 24.000.

Selon Mme Ndayishimiye, les deux personnalités de la CENI, disposant des mêmes documents, « parlent un même langage ». Elle tente aussi de minimiser l’ampleur du problème : « Ces 24.000 bulletins de vote représentent 0,0526% dans la mesure où le nombre total de bulletin de vote utilisé était de 45.586.400. Le candidat indépendant Pierre Habarugira ne s’est présenté que dans une seule commune sur les 129 que compte le pays et le parti PP ne s’était présenté que dans 6 communes. » Et de conclure : « J’apporte ces clarifications pour venir au secours de mes collègues et parce que le peuple burundais a droit à la vérité », conclut la vice-présidente de la CENI.

Hic

La question légitime à se poser aujourd’hui est de savoir qui croire ou ne pas croire entre le président de la CENI, le porte-parole de la CENI et la vice-présidente de la CENI qui essaie de sauver la face de cette institution éclaboussée par les critiques de l’opposition. Cette dernière l’accuse – à tort ou à raison – d’avoir faussé tout le processus électoral de 2010.

<img5479|left>« La CENI n’a pas droit à l’erreur »

François Bizimana, porte-parole du parti CNDD, regrette que la vice-présidente de la CENI donne la troisième version des faits en enfonçant davantage son institution : « Cela démontre à suffisance que les élections de 2010 ont été organisées dans une véritable cacophonie. » Pour lui, la « pseudo » clarification de la situation n’en est pas une. Elle ajoute de la confusion à ce qui était déjà confus. Concernant le lapsus évoqué par Mme Ndayishimiye, M. Bizimana fait remarquer que c’est l’auteur du lapsus qui le constate lui-même, en fait la rectification dans l’immédiat et non une tierce personne. Le porte-parole du parti CNDD indique que la version de Prosper Ntahorwamiye a tenu une semaine sans qu’elle soit corrigée. Et même pendant la conférence de presse du président de la CENI, poursuit-il, ce lapsus n’a pas été signalé pour être levé.

François Bizimana est catégorique : « Un lapsus cache toujours quelque chose de vrai. Il ne peut pas être commis en deux langues : le Français et le Kirundi. M. Ntahorwamiye a juré que des documents qui attestent la véracité de sa déclaration existent. Cela signifie que c’était son intime conviction. »

Il constate que ces trois commissaires sont en train de construire une nouvelle tour de Babel: « Chacun y apporte du sien, probablement que si on interrogeait un quatrième commissaire, il donnerait une autre version. » En matière de chiffres, il estime que des gens surtout des membres de la CENI n’ont pas droit à l’erreur : « Imaginez que pendant la proclamation des résultats, la CENI déclare qu’un tel parti a eu un score de 2 millions de voix et une semaine après, elle avance 200 mille voix. Qui l’accepterait ? »

« La CENI n’est pas un champ d’expérimentation »

L’ex-député de la Communauté Est Africaine ne mâche pas ses mots : « Les différentes versions nous font croire que tout le processus électoral a été caractérisé par des lapsus. » Il soutient qu’une telle erreur peut produire des problèmes politiques qui conduisent à la déstabilisation du pays : « Le travail de la CENI est technique, mais avec des implications politiques. L’erreur commise par celle-ci est toujours irréparable. » Le député rappelle que la CENI n’est pas un champ d’expérimentation ou un organe composé de personnes qui se cherchent encore. Ses membres, martèle-t-il, doivent être des gens qui assurent et rassurent

« Ils font tout pour garder leurs postes »

Même son de cloche chez Léonce Ngendakumana, président du parti Sahwanya Frodebu : « Au lieu de persister dans des justifications non fondées, les trois commissaires de la CENI devraient présenter leurs excuses aux politiciens qui ont été lésés et au peuple burundais qui vit les conséquences de la « mascarade » électorale. »

Léonce Ngendakumana considère comme gênante cette minimisation des faits par la vice-présidente de la CENI : « Dire que 0,005% de l’électorat ne signifie pas grand-chose, n’est pas digne d’une autorité conséquente. Et c’est dangereux ! On se souvient du désordre que ces élections ont occasionné.» Sous d’autres cieux, continue M. Ngendakumana, ils auraient démissionné au lieu d’enclencher la dernière vitesse pour se maintenir. 

Pour lui, ces contradictions devraient servir de leçon au président de la République et au parlement qui veulent maintenir ces gens incapables d’assumer des erreurs qui ont conduit le pays dans un conflit sans précédent. « Qui va les croire ? », se demande M. Ngendakumana. Et il conclut que s’ils reviennent, la population comprendra que Pierre Nkurunziza les ramène parce qu’ils sont spécialisés dans le vol et le mensonge.

<img5482|right>« Il faut retenir la version de M. Ndayicariye »

Juvénal Gahungu, secrétaire général adjoint du parti Sahwanya Frodebu Iragi rya Ndadaye, conseille à la classe politique de ne pas polémiquer sur celui qui dit vrai ou pas. D’après lui, c’est Pierre Claver Ndayicariye, président de la CENI, qui détient toutes les données concernant son institution car il est le premier responsable. « Ce n’est pas pour rien qu’il a organisé cette sortie médiatique. Celle-ci est intervenue pour réagir et corriger les propos de son porte-parole même si il ne l’a pas déclaré publiquement », explique-t-il.

M. Gahungu estime qu’il faut laisser cette histoire de « fraude » électorale pour plutôt préparer les élections à venir. Il affirme que les noms des personnalités de la prochaine CENI importent peu : « Les familles politiques représentées à l’Assemblée nationale, les représentants de l’opposition extraparlementaire ainsi que les associations membres de la société civile doivent se consulter et trouver le consensus. »

« Le floue plane toujours »

Siméon Barumwete, politologue, explique que les hommes politiques sont des hommes qui peuvent confondre, se tromper, mais dans un contexte de crise comme celui du Burundi, l’opinion publique attend des politiques qu’ils disent des choses vérifiées. « Quand une erreur est commise, il faut la corriger le plus vite possible », conseille le professeur Barumwete.

D’après lui, le fait que deux personnalités de la CENI annoncent des chiffres contradictoires donne l’impression qu’elles ne seraient peut-être pas d’accord sur un chiffre donné, que cette institution ne serait pas capable aujourd’hui de donner la vraie version. « L’opinion publique peut finalement supposer qu’aucune des deux versions données par ces deux personnalités n’est vraie », fait remarquer le politologue Barumwete.

« Je ne vois pas comment une troisième personnalité relevant de la même institution viendrait balayer le floue semé par les deux premiers messages. Le président de la CENI est supposé détenir la même information que celle du commissaire à l’information, signale-t-il. Et de poursuivre : « Il est incompréhensible qu’une troisième personne dise qu’il y a eu lapsus, alors que l’émetteur du premier message supposé contenir des erreurs n’a pas fait de démenti. »

Il estime qu’il y a quelque chose qui cloche : « Le message est passé à la radio, il l’a écouté et réécouté, mais il n’a pas directement démenti, c’est-à-dire qu’il a validé l’information donnée. Pour le politologue Siméon Barumwete, ceci est déroutant.
« Il y a toujours un flou qui plane et nous restons dans nos inquiétudes, sans savoir la vérité et ceci alimente des critiques par rapport à ce qui a été dit sur les élections de 2010 », conclut-il.

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