Des cas de viols ne cessent d’augmenter dans le pays, des violences conjugales rapportées dans tout le pays, la faible représentativité des femmes dans les sphères de prises de décision, loi sur la succession encore dans les tiroirs, des revendications existent. Pour plusieurs observateurs, la journée du 8 mars n’est pas pour le folklore.
Par Jérémie Misago, Alexandrine Ndayishimiye, Emery Kwizera et Audrey Mariette Rigumye
Chaque 8 mars de chaque année, le Burundi se joint au reste du monde pour la célébration de la journée internationale des droits des femmes. Les cérémonies pour la célébration des riches en couleurs. Des acteurs dénoncent la manière dont la journée est célébrée. Ils ne déplorent que cette journée plus folklorique au lieu d’une occasion de revendication des droits.
Le chemin est encore long pour le respect des droits des femmes et l’égalité des sexes. Des droits les plus élémentaires des femmes sont bafoués, ignorés, gommés, il y a des abus perpétrés, des violences rapportées qui ne trouvent pas d’échos chez les plus militantes des défenseurs acharnés des droits des femmes.
Une des grandes revendications reste la promulgation de la loi sur les successions qui est dans les tiroirs depuis plus d’une décennie. La patience se moque du temps, dit-on. Ces organisations ont longtemps attendu, elles espèrent encore sa promulgation.
Si les violences basées sur le genre sont multiples, elles restent jusqu’ici peu visibles, voire tolérables, nonobstant ses diverses conséquences tant sur le plan économique que sociétal, interpellent. Des cas d’homicides conjugaux perpétrés dans les différentes régions du Burundi rappellent surtout la vulnérabilité de la femme vis-à-vis des violences conjugales, parfois banalisées par la société.
Des viols deviennent un fléau
Selon les chiffres de la Fédération Nationale des Associations engagées dans le Domaine de l’Enfance au Burundi, FENADEB 281 cas de violences sexuelles ont été enregistrés dans tout le pays en 2023 en janvier à octobre. Les chiffres de 2021 sont plus agaçants. 115 avaient été violées. Les cas de viols ne cessent d’augmenter dans le pays. Les provinces de Muramvya, Mwaro, Rumonge, Bujumbura et Ngozi ne sont pas à l’abri.
Sur la toile, chaque jour un cas est cité Kayanza, une petite fille de 3 ans a été violée par un homme de 30 ans le 21 novembre et le 22 une fille de 18 ans a subi un viol collectif par un groupe de jeunes garçons dans la ville de Rumonge. Le 12 décembre 2023, une petite fille de 6 ans de la commune et province de Muramvya.
A Kayanza, une petite fille de 3 ans a été violée par un homme de 30 ans le 21 novembre. Le 20, novembre, une fille de 12 ans a été violée par son employeur à Bukinanyana. A Rumonge, le 22 novembre, une fille de 18 ans a subi un viol par un groupe de jeunes garçons dans la ville de Rumonge.
Une jeune fille de 15 ans a été violée par un chauffeur de taxi en commune Kayokwe, province Mwaro le 29 février 2024. Le 27 février, une domestique a été violée par son patron qui a profité de l’absence de sa femme et de ses enfants en commune Mabanda. Une adolescente de 13 ans a été violée en commune Busiga, province Ngozi le 27 février.
A Buterere, en mairie de Bujumbura, une fillette de 5 ans a été violée et étranglée après avoir été violée ce 20 novembre. Pour l’instant, les présumés auteurs ont été arrêtés et sont dans la prison centrale de Mpimba. Sa mère, diane Nzocahinyeretse, était au parquet de Ntahahangwa le 7 mars 2024 pour faire le suivi du dossier qui, pour elle, n’avance pas. « Aujourd’hui, nous sommes le 7 mars, je suis venue au parquet pour rappeler et le parquet m’a envoyé écrire une lettre au président de la Cour d’appel de Ntahangwa et lui donner aussi mes plaintes pour lui demander le dédommagement, je ne sais même pas comment je vais le faire ».
Elle demande au gouvernement et aux ONG de défense des droits de l’homme et des femmes de l’aider pour avoir un avocat. « J’ai entendu des informations faisant état de la probable libération des violeurs de sa fillette. J’ai peur qu’ils soient libérés et revenir dans le quartier. Que la justice soit faite pour ma fille et que ces malfaiteurs soient punis ».
Pour elle, la journée internationale des droits de la femme doit être une occasion de défendre les femmes qui subissent des violences de tout genre. « Les femmes doivent connaître leurs droits. Les hommes doivent également savoir ce qu’il faut pour la femme ».
Réactions
Médiatrice Niyokwizigira : « Ça devrait être plutôt une journée de réflexion, d’évaluer ensemble les avancées. »
Médiatrice Niyokwizigira, représentante légale de l’Association pour la promotion des droits de la femme, APFB, il y a des défis à relever pour les femmes. Elle parle de l’inégalité de sexe, discrimination faite aux femmes, les violences basées sur le genre et de viol.
La représentante légale de APFB rajoute aussi les difficultés de bénéficier des crédits auprès des banques, ce qui freine l’autonomisation de la femme et jeune fille burundaise. « Beaucoup de femmes ont élaboré de bons projets de développement. La mise en œuvre est bloquée par l’inaccessibilité au crédit. Il faut une hypothèque, ce qui n’est pas possible alors que la femme ne peut hériter ni chez elle ».
Pour cette présidente de l’APFB, la journée mondiale de la femme devrait être outre que porter les pagnes et faire des folklores. « Ça devrait être plutôt une journée de réflexion, d’évaluer ensemble les avancées déjà acquises et quelles stratégies pour relever les défis persistants pour atteindre le développement de la femme », confie-t-elle.
Pour rendre plus enrichissant la journée, elle insiste sur l’importance d’impliquer les hommes dans ces journées de réflexion. « Les hommes eux aussi doivent s’évaluer, analyser ensemble leurs actions menées en vue de favoriser le développement de la femme, là où ils ont été défaillants, et quels engagements prendre pour accompagner les femmes dans son développement », explique Mme Niyokwizigira.
Cependant, elle regrette que ce folklore soit aussi remarqué dans des institutions où des femmes ne bénéficient pas de congé de maternité et d’autres inégalités entre sexes au travail. « Porter de jolis pagnes, ou prendre de jolies photos n’était pas mauvais, mais cela devrait venir après ces journées de réflexion »
La représentante légale de l’APFB trouve qu’il reste encore du pain sur la planche en matière de la promotion de la femme burundaise malgré quelques avancées.
Elle cite la sous-représentation des femmes dans des postes techniques et le retard de loi sur la succession pour les femmes. « La femme ne peut pas hériter chez elle ni chez son mari. Il faut que les législateurs accélèrent ce processus d’adoption » lance-t-elle.
Et d’encourager les femmes à s’engager parce qu’elles sont compétentes et non pas pour remplir les 30%. « Mais aussi longtemps que les journées ne porteront pas sur des réflexions, la réalisation des droits de la femme est loin d’être atteinte malgré les sensibilisations qui ne cessent d’être faites », conclut-elle.
Kadhiatou Nzojibwami : « Le 8 mars n’est pas une journée de fête, mais de revendication »
« La célébration de la Journée Internationale de la Femme constitue une occasion de réfléchir sur le statut et la condition de la femme ; de faire un regard rétrospectif des actes de courage et de détermination accomplis par les femmes ordinaires qui jouent une partition extraordinaire dans la construction et l’organisation de la vie sociale, politique et économique du pays. Et d’analyser le pouvoir et le potentiel des femmes et des filles, leur courage, leur résilience et leur leadership », explique Kadhiatou Nzojibwami, représentante des femmes « lionnes » du parti de la Démocratie et la Réconciliation, Sangwe-PADER.
Pour cette femme politique, il y a énormément des défis auxquels les femmes et filles burundaises font face. « La plupart nos sœurs paysannes en grande majorité analphabètes ignorent leurs droits et libertés. L’accès des filles à l’héritage reste un tabou et la participation des femmes en politique demeure assez limitée. Il y a aussi une insuffisance des moyens financiers pour agir en faveur de l’autonomisation économique du sexe féminin. Il y a certaines femmes et filles qui sont souvent elles-mêmes actrices de leur exclusion. »
Elle donne un exemple d’une loi adoptée en 2016 sur la prévention, la protection des victimes et la répression des violences sexuelles basées sur le genre, mais qui reste pratiquement inappliquée. « C’est un grand pas franchi, mais en même temps, force est de constater que cette loi est assez loin d’être mise en application dans la mesure où on voit que certaines victimes ne sont pas prises en charge et les auteurs ne sont pas appréhendés. »
Face à tous ces défis, Kadhiatou Nzojibwami considère que la journée du 8 mars n’est pas une fête ! Elle est entièrement dédiée à l’évaluation des étapes franchies en matière de respect des droits des femmes et d’égalité hommes-femmes. Mais également à la mise en exergue des obstacles dressés sur le chemin de l’autopromotion socioéconomique de la femme afin de les soumettre aux autorités concernées pour y répondre.
Ainsi, Kadhiatou interpelle les décideurs politiques d’assurer le respect du cadre légal déjà en vigueur en matière de promotion et de protection des droits des femmes. Elle appelle le gouvernement à développer un programme d’alphabétisation fonctionnelle à l’endroit des femmes victimes de la discrimination scolaire. Mais surtout à contribuer à promouvoir un accès assez considérable des femmes aux postes décisionnels.
Mme Nzojibwami encourage ensuite les femmes à combattre les préjugés sexistes dès le bas âge. Et lance un appel vibrant aux hommes à plus d’actions en faveur de la réalisation tant attendue de l’égalité entre les hommes et les femmes.
Selon elle, ces actions viseraient notamment à aider les femmes à bien maîtriser leur santé sexuelle et reproductive tout en les impliquant de façon effective dans les politiques de l’inclusion financière en soutenant leurs initiatives d’activités génératrices de revenus.
Eulalie Nibizi : « La célébration serait une occasion de dialogue pour exprimer les défis devant les autorités »
Selon Eulalie Nibizi, activiste des droits de l’homme et en particulier ceux des femmes, la journée internationale des droits des femmes est plus folklorique. « Au Burundi, sa célébration est moins focalisée sur la reconnaissance de son rôle clé dans la vie de la nation, et encore moins orientée vers la résolution des problèmes qui bloquent son épanouissement économique et sa participation à parts égales avec les hommes dans la gestion de nation en tant que reproductrice- productrice et protectrice, majorité dans la catégorie des contribuables et des bénéficiaires des programmes politiques ».
Mme Nibizi trouve que les autorités utilisent des budgets pour communiquer sur les bonnes intentions contenues dans les plans d’action jamais mis en œuvre.
Elle pointe le ministère même en charge du genre et des droits humains, qui est le moins financé au niveau du budget général de l’Etat. On ne fait pas de bilan du soutien que le gouvernement aurait apporté à la femme pour faire avancer sa cause et évaluer des progrès au courant de l’année.
Eulalie Nibizi dénonce les différentes humiliations que la femme endure à travers les violences sexuelles et basées sur le genre dans les écoles, les ménages, dans les services étatiques, paraétatiques et privés. Pour elle, tout cela se fait sous l’œil indifférent et complice des instances étatiques et l’inaction du système judiciaire.
D’après elle, les femmes défenseuses des droits humains et femmes médiatrices au niveau communautaire ne sont pas du tout associées. Elle parle de la détermination du thème et l’élaboration des messages qui doivent être communiqués à cette occasion. « Les femmes défenseuses devraient jouer une part active dans la préparation et la coordination des activités afin que les revendications d’autres femmes soient soumises aux autorités comme des projets de plan d’action qui devraient être évalués l’année suivante ».
Cette activiste précise que la célébration devrait comprendre des activités de dialogue au niveau communautaire et national où les femmes s’expriment librement devant les autorités sans peur de représailles. « Cet évènement devrait être des occasions ou les autorités rendent compte de la mise en œuvre des politiques et l’annonce de réformes pour l’égalité des genres, l’autonomisation économique, la participation à la gestion de la chose publique et la protection de sa dignité ».
Selon Eulalie Nibizi, chaque célébration devrait également traiter des activités d’éducation et sensibilisation sur l’importance de l’égalité des sexes. En plus, le rôle que jouent les femmes dans le monde et au Burundi.
Enfin, elle parle des actions de reconnaissance et de publicité des performances des femmes pour encourager celles qui excellent dans les domaines de science, politique, l’art, le sport, etc.
Éclairage
Sœur Dr Rosette Minani : « La fête, oui, mais il ne faut pas se limiter aux apparences »
Votre Regard sur la célébration de la journée de la femme au Burundi ?
D’abord, la célébration est liée à la victoire parce que les premières femmes leaders avaient revendiqué leurs droits au travail, à la parole… Célébrer, c’est éprouver cette joie de la victoire. Mais pour une Burundaise, je pourrais me demander : est-ce qu’une femme burundaise connaît la victoire ? Si on considère l’objectif principal et les origines de la fête, est-ce qu’il y a une victoire pour une femme burundaise ? Au travail, est-ce que la femme burundaise a accès aux activités politiques, sociologiques, économiques… ? A-t-elle la parole ou le pouvoir de prendre des décisions au niveau du pouvoir et de la famille par exemple ? Ce sont des questions que l’on peut se poser.
La femme burundaise a-t-elle réellement une victoire à célébrer actuellement ?
D’une part, la femme burundaise a été intégrée dans le gouvernement. Des femmes leaders sont présentes dans des associations… Des femmes font des affaires. Ce n’était pas toujours le cas. C’est une partie de la victoire que la femme burundaise peut célébrer. Mais, le pourcentage reste encore minime. Il reste un long chemin à parcourir, car tout cela concerne les femmes qui ont eu la chance d’aller à l’école.
Les autres subissent des violences. C’est une situation à analyser et à voir comment y remédier. Si l’on se focalise sur l’idéal de la fête. Cette journée est aussi l’occasion de célébrer son rôle de pilier au sein de la famille.
Elle peut se rassembler avec les autres pour partager la joie. Il serait préférable, avant de célébrer, de se rassembler et d’étudier les problématiques qui existent dans cette société très masculine, et de voir comment aider la femme burundaise à se développer.
Votre appréciation de la façon dont la fête est célébrée au Burundi ?
Être ensemble avec d’autres femmes est positif. Mais il ne faut pas se limiter à cela. Non. C’est un aspect. Il faut aller plus loin. Aller au cœur de la fête, à l’objectif. Se demander ce que nous voulons promouvoir. Quels sont les projets que nous, femmes, pouvons porter pour développer notre pays, notre société.
Nous sommes dans un pays marqué par de nombreux conflits. En tant que femme, il faut envisager les projets que nous pouvons mettre en avant pour apporter la paix dans les familles.
Pourquoi ?
Parce que les violences familiales, les violences sexuelles qui existent ici au Burundi, sont des signes montrant que le pays n’est pas encore sorti des conflits. C’est un signe qu’il n’y a pas de paix.
Les femmes peuvent y réfléchir, car si la paix est consolidée dans les familles, c’est tout le pays qui sera en paix. Donc, oui, célébrons, mais ne nous limitons pas aux apparences. Non seulement revendiquons nos droits, mais il y a aussi les devoirs des femmes.
Si nous nous limitons au folklore, l’économie familiale diminue. Mais si nous pensons aussi aux projets, cela apporte une valeur ajoutée à la famille.
Les femmes leaders ne devraient-elles pas profiter de cette occasion pour formuler des revendications pour le respect de leurs droits ?
Pas seulement les femmes leaders. Mais chaque femme devrait élever la voix pour revendiquer le respect et se respecter elle-même, car les femmes seront respectées si elles se font respecter et se respectent.
Origines de la journée
Cette journée spéciale puise ses racines dans diverses manifestations de femmes, dont les luttes ouvrières pour le suffrage universel féminin, en Amérique du Nord et en Europe au tout début du 20e siècle. À cette époque, le monde industrialisé connaît de grands changements, notamment sur les plans de la croissance démographique et des idéologies radicales.
La Charte des Nations Unies, adoptée en 1945, a été le premier instrument international à affirmer le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes. Au fil des ans, l’ONU et ses institutions spécialisées ont favorisé la participation des femmes, en tant que partenaires égales des hommes, à la réalisation du développement durable, de la paix, de la sécurité et au plein respect des droits de l’homme. Favoriser l’autonomie des femmes continue d’être un élément au cœur des efforts entrepris par l’ONU en vue de relever les défis sociaux, économiques et politiques dans le monde.
Officialisée en 1977 par les Nations Unies, et dans la foulée de l’Année internationale de la femme (1975) proclamée par l’Assemblée générale de l’ONU. Depuis, la journée du 8 mars est le rendez-vous incontournable des féministes pour rappeler que le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes est loin d’être atteint.
Le 8 mars est la journée internationale des droits des femmes est une journée de manifestations à travers le monde : l’occasion de faire un bilan sur la situation des femmes dans la société et de revendiquer plus d’égalité en droits. Traditionnellement, les groupes et associations de femmes militantes préparent des manifestations partout dans le monde, pour faire aboutir leurs revendications, améliorer la condition féminine, fêter les victoires et les avancées.