Alors que la Communauté Est-africaine (CEA) cherche à renforcer son intégration économique, l’instabilité chronique à l’est de la République démocratique du Congo (RDC) constitue un obstacle majeur. Pays aux nombreuses opportunités d’affaires pour la Communauté, comment cette crise affecte-t-elle les échanges commerciaux, les investissements et la coopération régionale ? Face à ce conflit et à la montée du discours va-t-en-guerre, la CEA survivra-t-elle ? Analyse
« L’adhésion de la RDC à la CEA entraînera une augmentation significative du volume du commerce intrarégional, en raison de la taille et du potentiel économique de la RDC qui peut agir comme un important moteur de croissance pour les pays membres ». En mars 2022, les espoirs étaient particulièrement nombreux.
Ces espoirs sont en réalité faciles à comprendre : les atouts de la RDC sont séduisants. C’est le deuxième pays le plus vaste du continent. La RDC partage ses frontières avec cinq des États membres de la Communauté : le Burundi, le Rwanda, l’Ouganda, la Tanzanie et le Soudan du Sud. Cette taille géographique (avec un accès vers l’océan atlantique) permet à la CEA de s’étendre entre Océans indien et l’océan atlantique.
Ce pays est également réputé pour être un « scandale » géologique avec un sous-sol riche à couper le souffle. Diamant, or, cuivre, cobalt, coltan, la liste de ses ressources minières n’est pas exhaustive.
Ajouter à cela son poids démographique (près 100 millions d’habitants) qui constitue un marché important d’investissement et d’écoulement. D’ailleurs, l’est de la RDC est une région charnière pour les échanges commerciaux avec l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie. Avec ses forêts et ses terres arables, ce pays a une potentielle énergie hydroélectrique et des ressources agricoles énormes.
Aujourd’hui, avec cette crise qui secoue l’est de la RDC, les espoirs sont douchés. Les réalités sécuritaires dans cette partie du pays semblent sans nul doute plomber les efforts d’intégration économique.
La RDC dans la CEA : une boîte de Pandore ?
« Risque d’une troisième guerre au Congo, crise humanitaire et diplomatique, risque d’embrasement régional du conflit… », les langues se délient. Les plus pessimistes estiment que l’adhésion de la RDC à la CEA est une « une boîte de Pandore » visiblement ouverte à la Communauté.
Cette triste réalité est bien sûr à relativiser. Dans les pays membres de la CEA, les efforts semblent aller en s’intensifiant. Un économiste rappelle par exemple une décision de suspension de la mesure portant sur la restriction des importations entre le Burundi et la République démocratique du Congo prise conjointement, en octobre 2024, par les ministres du Commerce du Burundi et de la RDC. « C’est une initiative régionale de très grande importance pour améliorer les relations commerciales entre la RDC et qui assurera aussi l’intégration économique régionale », a tenu à souligner le gouverneur de la province Bujumbura, frontalière avec la RDC lors du lancement de cette initiative.
C’est bien pour le commerce transfrontalier.
Mais, ces efforts ne sont pas sans entraves. Le nouveau venu dans la CEA a apporté également, dans ses bagages son lot d’insécurité, essentiellement à l’est du pays. Plusieurs groupes rebelles, dont le M23, opèrent dans cette partie du pays. Ces derniers temps, une escalade des affrontements qui s’accompagne d’une aggravation de la situation humanitaire a fait impliquer des Etats membres de la CEA et d’autres acteurs régionaux.
La guerre à l’est de la RDC a déjà entrainé des manques à gagner pour les populations de la région. Depuis la reprise des hostilités, les commerçants et cultivateurs de la zone Gatumba dans la commune Mutimbuzi, exerçant leurs métiers dans la République démocratique du Congo en empruntant la frontière Gatumba-Kavimvira, se retrouvent sans emploi. Au Sud du Burundi, l’insécurité en RDC est ressentie. Des échanges commerciaux entre la province de Rumonge et les différentes localités du sud Kivu sont aujourd’hui à l’arrêt.
Certaines agences de transport, à cause de l’insécurité à l’est de la RDC, sont contraintes de changer d’itinéraire. C’est le cas d’Agence Ansima Express qui assure le transport entre Bujumbura et l’est de la RDC. Elle a annoncé, ce 24 février 2025, avoir changé d’itinéraire à cause de l’insécurité à l’est de la RDC. Cela entraine du même coup les modifications de la structure du coût de transport.
La RDC a décidé, le 17 février 2025, de fermer son espace aérien à « tous les avions civils et d’État enregistrés ou basés au Rwanda », suite justement à ses accusations par Kinshasa d’être derrière cette guerre.
La liste des maux est longue. Cette guerre à l’est de la RDC constitue un défi majeur aussi bien pour ce pays que pour l’atteinte des objectifs de la région. En réalité, la formation des regroupements économiques ou commerciaux est justifiée par l’effet d’allocation et d’accumulation ou de croissance. Les flux entre les différents Etats membres d’une communauté régionale s’intensifient en fonction du niveau d’intégration de la zone concernée.
Or, « tant qu’il y a persistance de la guerre à l’est du Congo, il sera difficile pour la région de parfaire son intégration », observe un spécialiste de la région. Pour qu’elle soit une réussite, propose-t-il, la communauté concernée doit d’abord relever les défis de paix et de développement. Cela permettra de stimuler et promouvoir les Investissements Directs Etrangers (IDE).
La montée du discours belliciste : un danger à l’intégration
Le fonctionnement voire la survie de la CEA est tributaire des Etats membres. Or, bien que l’engagement soit affiché par les Etats locomotives de la communauté, l’agenda d’intégration économique recule au grand dam des populations de la région. La méfiance entre ces Etats locomotives qui se traduit, ces derniers temps, par un discours va-t-en-guerre, fragilise le processus d’intégration régionale.
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Le président burundais, Evariste Ndayishimiye a récemment appelé la population à la vigilance face au « mauvais voisin qui nourrit des velléités expansionnistes ».
« Celui qui osera nous perturber, nous allons riposter. Là, il n’y a pas à tergiverser », a-t-il mis en garde.
Quelques semaines avant, le président burundais avait dévoilé, devant un parterre de diplomatiques, l’existence d’un plan imputé au gouvernement rwandais et qui viserait le Burundi. Ce que le Rwanda a nié accusant plutôt le Burundi de pactiser avec les ‘’forces du mal ‘’: les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Ces accusations en miroir s’annoncent alors que les frontières terrestres entre le Burundi et le Rwanda sont toujours fermées.
Ce n’est pas tout. Des déclarations bellicistes et de diabolisation sont également tenues par les présidents congolais et rwandais. Pour rappel, le président congolais, lors de la campagne électorale, il avait affiché la volonté d’attaquer le Rwanda jugé comme « problème de la région ».
« La solution pour la paix en RDC, c’est de faire la guerre à Paul Kagame. Et je l’ai dit, à la moindre escarmouche, des rigolos que vous avez vu s’exprimer à Nairobi, je vais réunir les deux chambres du Parlement en congrès comme me le recommande la constitution, et je vais leur demander l’autorisation de déclarer la guerre au Rwanda », a déclaré sur Top Congo FM, Félix Tshisekedi, candidat président numéro 20 à sa succession aux élections du 20 décembre 2023.
Cette posture belliqueuse est une épine au projet d’intégration régionale. Sans la confiance entre les Etats membres de la CEA, l’intégration restera de papier. Par ailleurs, tous les Etas membres de la CEA n’ont pas la même position sur la question du M23.
« En mai 2024, le Président William Ruto, du Kenya, était revenu sur le fait que Tshisekedi mettait le tort sur le Président Paul Kagame, du Rwanda, pour ses problèmes internes. Il s’est interrogé comment ce problème peut être imputé au Rwanda que si les rebelles du M23 sont congolais », rappelle l’économiste André Nikwigize connu pour ses analyses sur la géopolitique de la région des Grands Lacs. Tout cela enfonce la CEA dans le spectre d’une guerre aux conséquences désastreuses.
Dans ce contexte de la guerre en RDC, Iwacu a déjà fait une analyse sur cette crise à l’est de la RDC et ses impacts sur d’autres institutions de la communauté pourtant considérées comme moteurs d’intégration et de gouvernance régionales. Une crise de trésorerie a déjà contrainte l’EALA à suspendre ses activités.
Une chose est sûre : la sécurité constitue ‘’un bien public régional’’. Si ce défi sécuritaire sera relevé, la CEA pourra avancer sur la voie de son intégration effective. La volonté politique de tous les Etats membres est de mise.
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