Dimanche 22 décembre 2024

Culture

« CE RÊVE QUI DURE ENCORE »

11/03/2024 5
« CE RÊVE QUI DURE ENCORE »

Le dernier livre de David Gakunzi, lu pour vous.

Par Gérard Ndayizamba

Dans, CE RÊVE QUI DURE ENCORE David Gakunzi nous fait découvrir deux destins croisés entre un fils et un père, héros méconnu des Burundais.
Le récit commence par une rencontre aussi émouvante qu’inattendue à la cour royale de Nyanza où règne le roi Rudahigwa (Rwanda actuel). En visite initiatique, Barnabé Ntunguka croise le regard d’une charmante jeune femme au passé douloureux. La magie opère tout de suite ! Le coup de foudre est réciproque. Les deux tourtereaux se marient rapidement.
Ils auront ensemble de nombreux enfants, dont l’auteur de ce livre, benjamin de la famille.

Disparue trop tôt lorsque le jeune David est juste âgé de dix ans, la mère courage a néanmoins eu le temps de lui confier une mission avant de s’éteindre : « Sortir le nom de ton père de l’ombre et de l’oubli… et qu’il résonne enfin au panthéon des justes ».
Le petit David deviendra plus tard un grand journaliste, écrivain et intellectuel engagé à l’origine de nombreuses initiatives dont Paris Global Forum. Biographe de Mandela, Sankara et autres personnalités célèbres, il était naturel qu’il sorte un jour Barnabé Ntunguka de l’ombre, remplissant ainsi le devoir de mémoire que lui avait confié sa mère.

« Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté ».

Quand on se penche sur le parcours de Barnabé Ntunguka, on ne peut s’empêcher de penser à la célèbre chanson de Guy Béard « La vérité » !
Descendant de Mbibe, autrefois figure royale du Burundi, du clan des gardiens des secrets et des frontières du royaume, du clan de ceux qui intronisent les rois, il avait hérité du sens de l’honneur et de la parole donnée. Humaniste et épris de justice, il s’illustre d’abord par son combat contre les spoliations des terres paysannes de Buringa (Mpanda) par les colons belges. La puissance tutélaire ne le voit pas d’un bon œil et va s’activer à le lui faire payer au plus fort. Il sera à son tour dépossédé de ses immenses terres et de ses nombreux troupeaux, emprisonnés à de nombreuses reprises dans des conditions inhumaines et dégradantes.
Ayant juré de ne jamais courber l’échine, il se bat bec et ongles pour défendre ses droits, envoie plusieurs lettres au conseil de tutelle des Nations unies à New York, écrit au roi Baudouin pour dénoncer les violations des droits humains commis par les colons contre sa personne, mais aussi contre les Burundais en général.
Dans le livre, David Gakunzi en publie quelques-unes de ces missives. Leur contenu est tout simplement poignant ! Plus il dénonce les colons et leurs exactions, plus ils doublent de zèle pour l’humilier, y compris devant sa famille. Ses enfants sont exclus de toutes les écoles publiques et doivent chercher refuge chez les protestants.
En 1958, profitant d’une mission d’information des Nations unies venue s’enquérir de ses conditions de détention, Barnabé Ntunguka réclame courageusement l’indépendance du Rwanda-Urundi : « Si nous voulons l’indépendance, c’est parce que nous refusons de vivre dans l’indignité. C’est parce que nous croyons qu’aucun pays ne devrait appartenir à un autre pays, qu’aucun être humain ne devrait être la propriété d’un autre homme. L’indépendance, oui, l’indépendance, comme une nouvelle naissance à la vie. Comme la restauration de notre force vitale ».
Il sera libéré suite à cette mission des Nations unies.

A luta continua

Avec des amis, pour la plupart musulmans, qu’il retrouve régulièrement à Buyenzi, Ntunguka fonde l’UNARU « Union Nationale Africaine du Rwanda-Urundi) dont le but principal est d’acheminer le Rwanda-Urundi vers son indépendance en respectant les deux Bamis et les institutions de chaque pays.
Libéré de toute contrainte, l’ancien prisonnier participe à l’effervescence des mouvements indépendantistes et panafricanistes aux côtés de Julius Nyerere, Keneth Kaounda, Jomo Kenyatta, Tom Mboya et autres figures historiques qu’il rencontre en Tanzanie.

Désormais logée à l’Office des cités africaines (OCAF) de Ngagara à Bujumbura, la famille Ntunguka a comme voisine immédiate Thérèse Kanyonga, la mère du prince Louis Rwagasore ! Pour le père de David Gakunzi, le jeune prince revenu de ses études bruxelloises avec des idées progressistes est l’homme qu’il attendait pour parachever le combat qu’il avait initié. Avec ses amis de Buyenzi, il le présente à Nyerere dans la foulée. Le courant passe très bien entre les deux. L’alliance est nouée. Nyerere apportera son soutien à Rwagasore. La libération du Burundi s’annonce sous de bons auspices, mais le prince, devenu dans l’entre-temps premier ministre après les élections générales, est malheureusement assassiné le 13 octobre 1961, quelque mois avant la proclamation de l’indépendance.
Dans son livre, David Gakunzi raconte comment son père a pleuré Rwagasore comme son propre fils, conscient qu’il s’agissait de l’avenir même du Burundi qu’on venait d’étouffer dans l’œuf. L’auteur revient également sur les grands moments de partage et de transmission familiale. Au fil des pages, le lecteur découvre l’énorme chance qu’a eue la progéniture de Barnabé Ntunguka. En côtoyant un père si résilient, éclectique, ouvert d’esprit, toujours à l’affut de l’actualité du monde entier, féru de musique et d’histoire, on comprend aisément les orientations de chacun de ses enfants. Avant de mourir, le patriarche leur dira ceci : « Je vous souhaite la joie et des rêves accomplis ».

Voyage au bout de l’Afrique

Dans la deuxième partie de son livre, David Gakunzi s’imagine ce qu’il pourrait dire à son père s’il lui était donné de le revoir. Digne descendant de Mbibe (qui signifie frontières), l’auteur lâche prise et se lance dans un dialogue intimiste avec son parent pour lui parler des barrières qu’il a franchies, de toutes les routes qu’il a traversées en visitant trente-cinq pays d’Afrique. Et ce n’est pas sans poésie que David nous transporte à travers l’Afrique d’après les indépendances. Nous découvrons avec lui des pays solaires aux couleurs de l’espoir à côté des pays rongés par la haine, un continent complexe, riche de ses beautés et marqué par ses cruautés !
Anthropologue, thuriféraire de James Baldwin et de Jacques Lacan, David expérimente aussi le racisme et apprend à dompter la colère. Guidé par les valeurs transmises par son père, à savoir la curiosité, l’hospitalité et l’ouverture au monde, il voyage un peu partout dans le monde, de Berlin à New York, de Kingston à Bahia, toujours en quête de liberté, l’autre non de la dignité.
Son père Barnabé Ntunguka fut le symbole de la dignité !
David termine le dialogue avec son père en lui faisant part de ses inquiétudes sur l’état du monde actuel où la haine n’est plus une maladie honteuse, mais une normalité.

Ne désespérant jamais du genre humain, l’auteur nous fait part de son rêve :
« J’ai fait un beau rêve. Demain qui vient, nous réinventerons l’art de la conversation et de l’écoute, car nous savons les bienfaits de la médecine de la parole partagée ».
En tant que médecin, je ne peux qu’y souscrire !

Le livre que je viens de commenter est vraiment revigorant. Il nous apprend beaucoup sur une partie de l’histoire méconnue du Burundi. Il s’agit également d’une incitation au voyage et à la découverte d’autres cultures. Je vous le recommande fortement !

CE RÊVE QUI DURE ENCORE, par David Gakunzi, éditions Temps Universel

Forum des lecteurs d'Iwacu

5 réactions
  1. Dieudonne MUKESHIMANA

    Le père visionnaire aurait vraiment entre dans l’histoire par la grande porte.

  2. Kibinakanwa

    Avec tous mes respects.
    Où puis je acheter le livre?

    • Ndayzamba G

      Merci pour votre retour.
      Le livre est disponible chez l’éditeur.
      Vous pouvez également l’acheter sur Amazon, comme moi.

  3. Franck Kaze

    Merci infiniment pour cette synthèse. Votre commentaire en soi est déjà un régal ô combien réjouissant. Pas de doute que le bouquin satistera les grandes attentes que vous créez. Je suis impatiente de l’avoir entre mes mains.

    • Felicitations a David Gakunzi que je connais tres jeune en premiere annee primaire( j,enseignais son aine en classe de septieme). Felicitations a lui de faire revivre son pere, ce lutteur qui n’a jamais courbe l,echine debant l,injustice coloniale, toujours a la recherche de la dignite pour le peuple du Rwanda- Urundi( Burundi). Felicitationa aux fils de Ntunguka( Bidada, Innocent ,David le benjamin) qui ont pris le relais et qui continuent de lutter pour la dignite de l,homme et du burundais en particulier.Priere nous indiquer ou acheter le livre.

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