Les jeunes sont assoiffés de connaître l’histoire de leur pays. Une façon de couper court avec les préjugés, la globalisation et de prévenir l’instrumentalisation de la jeunesse. Une clé pour une réconciliation réussie et un futur prometteur. Débat.
« C’est vraiment nécessaire et important de mener un débat, d’échanger sur l’histoire de notre pays », affirme Apollinaire Ndayisenga, lauréat de l’Université du Burundi, département d’Histoire.
Le 23 décembre dans un débat sur « la nécessité de débattre sur le passé du Burundi», ce jeune historien explique que c’est une bonne occasion de s’enrichir mutuellement, de partager des connaissances sur le passé : « Cela devient beaucoup plus bénéfique, instructif quand les interlocuteurs sont de différentes ethnies.»
D’après lui, l’ethnisme a été un grand catalyseur du passé douloureux. Félicité Niyomwungere, lauréate de l’Université du lac Tanganyika, juge elle aussi important d’échanger sur le passé du Burundi.
Beaucoup de gens, y compris des jeunes, en souffrent : « Ce débat peut guérir les esprits. Les gens extériorisent ainsi leur douleur, leur vécu. Et cela libère. »
N’ayant pas vécu directement ce passé douloureux, cette jeune fille souligne que même les jeunes souffrent des traumatismes, des atrocités subies par leurs familles. Pour elle, ce passé est globalement marqué par des guerres, des massacres interethniques, etc.
Blaise Izerimana, étudiant à l’Université du Burundi, dit qu’il faut faire le distinguo. D’après lui, c’est surtout pendant la période postindépendance que ces événements malheureux se sont produits et multipliés. « C’est opportun d’en débattre. Mais de façon méthodique, prudente. Car, c’est difficile d’échanger autour d’un passé noir. Il faut d’abord préparer les esprits».
Il déplore que cette partie de l’histoire ne soit enseignée que superficiellement dans les écoles. «C’est à cette époque que la question ethnique a pris le devant. Nous avons besoin d’en savoir plus».
Idem pour Ernest Mugwaneza, jeune licencié en Histoire. Il affirme que la période postcoloniale est « noire». Il se réfère à certaines dates telles 1965, 1972, 1988,1993, etc.
Pour sa part, Fidèle Bavumiragiye, un jeune éducateur dans le système éducatif burundais, le programme donne plus d’importance aux pays occidentaux. Ce qui justifie l’urgence d’avoir une version commune de l’histoire du Burundi et enseignée dans les écoles. Providence Niyogusabwa, étudiante à l’Université du Burundi, croit que cette méconnaissance de notre histoire explique les méfiances persistantes entre les jeunes : « Des Hutu accusent globalement les Tutsi qu’ils sont à l’origine de leur malheur, des massacres. Et vice-versa.»
Des histoires individuelles
La tradition orale, les écrits, les nouvelles technologies de l’information, etc. « Il existe différentes sources auxquelles les jeunes font recours pour connaître l’histoire du pays », témoigne Gilbert Nkurunziza, étudiant à l’Université du Burundi, département d’Histoire. Ce jeune affirme donner plus de crédit aux apprentissages scolaires : « J‘ai des doutes sur les versions de mes parents, de mes proches. Par exemple, chaque fois, on me dit que c’est l’autre ethnie qui a commis des crimes. Jamais aucun mot sur la part de mon ethnie dans le passé douloureux.» Ce qui est très dangereux si le même langage est tenu aux enfants de l’autre ethnie. « Une preuve que d’autres massacres pourraient se produire. Sur base des préjugés, des histoires montées de toutes pièces, certains parents vont même décourager ou empêcher catégoriquement des mariages interethniques».
De son côté, Emelyne Hakizimana, de l’Université Espoir d’Afrique conseille aux jeunes d’avoir le sens de l’analyse, de critiquer les sources. Selon elle, certains livres dits historiques reflètent l’ethnie de l’auteur : « Deux écrivains travaillant sur un même événement, une même période peuvent produire deux vérités diamétralement opposées. » Elle trouve que même les parents ne disent pas toute la vérité à leur descendance. « Ils cachent des choses. Ils ne donnent que la version positive pour eux».
Ce qui n’empêche pas certains jeunes de donner la crédibilité aux versions parentales. C’est le cas d’Olivier Iradukunda qui estime que tant qu’il n’y a pas encore une histoire commune, « vaut mieux s’aligner du côté de l’histoire racontée par ses parents, ses proches. » Et pour avoir une version consensuelle de l’histoire, il souligne que la justice doit faire son travail pour montrer qui est bourreau ou victime. Ce jeune pense que les discours des dirigeants peuvent être une autre source de l’histoire. Néanmoins, elle n’est pas importante: « Les discours changent avec les régimes. »
Revenant sur la question de l’ethnie au Burundi, Providence Niyogusabwa n’y attache pas beaucoup d’importance : « Les Burundais partagent la même culture. Pas de langue, de mœurs propres à telle ou telle autre ethnie. Ce qui montre qu’il y a des non-dits.» Selon les dires de ses parents, cette jeune étudiante est Tutsi. « Mais qu’est-ce qui peut me prouver que parmi mes arrières grands-pères ou grand-mères, il n’y avait pas de Hutu, que je suis à 100% Tutsi ? » D’après elle, avec la tradition orale, il y a toujours des oublis, des ajouts, des omissions volontaires ou involontaires, etc.
« Parler de l’histoire, les gens pensent directement au passé douloureux comme si rien de positif n’a été fait dans le passé », nuance Lambert Hakuziyaremye, étudiant à l’Université du Burundi.
Il donne l’exemple de ces braves femmes et hommes qui, lors des crises, des massacres interethniques, ont risqué leurs vies pour sauver les autres sans distinction d’ethnie. « Lors des cérémonies commémoratives, il est important que ces modèles soient chantés, connus». Et ce, pour servir de modèle à la jeunesse et l’aider à ne pas prêter une oreille attentive aux idées divisionnistes et racistes.Une idée partagée par Eric Hakizimana, étudiant à l’Université du Burundi : « Le passé du Burundi n’est pas totalement noir. Il y a eu des exploits, des guerres de conquête ou de résistance contre les colonisateurs. Des relations amicales ont toujours existé entre les Burundais. » Pour avancer, ce jeune trouve important d’avoir une version commune de l’histoire et d’avoir un sens de discernement.