En chômage depuis février de cette année, 52 creuseurs de la coopérative « Dukorerehamwe » ne savent pas à quel saint se vouer. Ils ne peuvent plus subvenir aux besoins quotidiens.
Coincé entre deux collines, le site de Kanyami, qui date de la période coloniale, se trouve sur la colline Rutanganika en commune Makebuko. Il n’y a pas de route qui y mène. Situé à 8 km de la RN 8, rien ne signale ce site où plus de 100 creuseurs sont occupés à extraire de la cassitérite.
Pour tomber sur le cœur de la mine, c’est un vrai parcours du combattant. Il faut emprunter un sentier boueux et glissant. Après un petit hameau de maisons en tuiles, ce sentier continue en pente raide jusqu’audit site. Le périmètre de ce site est clôturé par des fils barbelés.
A l’entrée, les puits immenses défigurent le paysage. Celui-ci contraste avec l’aspect originel de cet endroit qu‘on peut deviner en regardant les collines voisines.
Deux sociétés sont censées y extraire la cassitérite : la coopérative « Dukorerehamwe » et la Société Financière pour l’Agriculture (Sofari).
Il est 10 h, dans le domaine du Sofari, les activités vont bon train. Une vingtaine des creuseurs portant des casques rouges, de bottes noires et de gilets jaunes, ont l’air épuisé. Aux visages couverts de sueur mélangée de poussière, ils travaillent à la chaîne. Certains font monter les minerais des puits et d’autres les transportent dans la rivière Rugabano où une autre équipe fait le lavage.
A côté des creuseurs du Sofari qui exploitent ce site, le vécu quotidien des 52 creuseurs opérant jadis dans la concession de la coopérative « Dukorerehamwe » est dur. Ils sont désœuvrés depuis le mois de février car le contrat d’exploitation de cette coopérative a pris fin au mois de janvier. Cette dernière doit renouveler son contrat.
Certains ouvriers commencent à s’adonner à l’alcool. La désolation et le désespoir se lisent sur leur visage. L’espoir de retourner au travail s’amenuise.
Samuel Nizigiyimana, découragé, fait savoir qu’il est en train de chercher un autre travail. Il confie que ce site était la seule source de survie pour sa famille. Grâce aux revenus tirés dans l’extraction de la cassitérite, il peut nourrir, vêtir et soigner sa mère et sa petite sœur. Il paie également les frais de scolarité de sa sœur.
Grâce aux économies réalisées, il soutient avoir acheté un porc de 80 000 BIF et une parcelle de 200 mille BIF.
Après la mort de mon père en 2013, ajoute-t-il, ce travail m’a permis à subvenir aux besoins quotidiens de ma famille. Les larmes dans les yeux, cet orphelin de père déplore, qu’à cause de ce chômage, sa mère a été contrainte de contracter une dette de 100 000 BIF pour acheter les semences et s’approvisionner en engrais chimiques.
Ce jeune de 23 ans craint que si cette coopérative ne recommence pas l’extraction d’ici peu, sa sœur abandonnera l’école suite au manque des frais de scolarité.
Selon M. Nizigiyimana, si l’un des membres de sa famille tombe malade, il ne peut pas le faire soigner. Car, il n’a aucun sou. « Désormais pour régler une facture urgente, je dois vendre le porc ou une parcelle.»
Ce creuseur s’inquiète pour son avenir. Il ne peut pas réaliser son projet de mariage. Il a planifié de se construire une maison avec les revenus tirés de ce métier.
Les conséquences sont désastreuses
Salvator Gahungu, sexagénaire, lui aussi creuseur, est dans la confusion totale. Après deux mois de chômage, ce père de sept enfants, ne sait pas à quel saint se vouer. Ce métier lui apporte entre 20 et 25 mille par semaine. « Même si ce métier ne nous rend pas riches comme certains le pensent. Il nous fait vivre au jour le jour», fait-il savoir.
Au mois de février, ce doyen des creuseurs fait savoir qu’il a vendu ses deux chèvres à 90 000 BIF pour acheter les semences et l’engrais chimique.
Selon lui, la vente de ces bêtes n’a pas résolu le problème. « Je perds doublement. Grâce au fumier de ces chèvres, je fertilise le sol. » Pour la prochaine saison culturale, explique-t-il, je n’aurai pas de fumier naturel à mélanger avec l’engrais chimique. Cela entraîne la dégradation du sol. Ce creuseur garde un brin d’espoir. Il affirme que le président de la coopérative leur a tranquillisé. Les activites commenceront d’ici peu.
L’OBPE a déjà autorisé l’extraction
Juma Nduwimana, président de la coopérative Dukorerehamwe, se veut rassurant. Il tranquillise ses employés : « Nous avons terminé le paiement au niveau de l’Office Burundais des Mines et de Carrières (OBPE). L’agrément de notre coopérative est en cours. »
Il précise que le dossier est pour le moment au ministère de l’Agriculture, chargé de délivrer l’attestation de conformité environnementale autorisant le démarrage de l’extraction.
Janvier Murengerantwari, directeur a.i de l’OBPE balaie d’un revers de la main l’argument du président de la coopérative Dukorerehamwe. Il révèle que l’attestation de conformité environnementale a été délivrée le 13 février 2019. « C’est le président de cette coopérative qui l’a récupérée. Cette coopérative aurait peut-être d’autres problèmes.» Et de soutenir que ce document est un feu vert à toute entreprise minière pour démarrer l’extraction.
L’ombre dans la fixation du prix
Tous les creuseurs réclament la transparence dans la fixation du prix des minerais extraits. Une source sous couvert d’anonymat révèle qu’ils ne sont pas consultés dans la fixation du prix « Nous ne savons pas les critères de fixation des prix d’un kilo de cassitérite extrait.»
Selon cette même source, personne n’ose lever le petit doigt pour demander le prix de la cassitérite dans les comptoirs.
Les prix ne sont pas les mêmes. Les creuseurs de Dukorerehamwe perçoivent entre 13 et 15 mille BIF le kilo. Pour ceux de Sofari, ils ne gagnent que 10 000 BIF le Kilo.
« Nous demandons au gouvernement d’exiger aux coopératives minières de fixer les prix d’un kilo extrait en fonction de celui payé au comptoir d’exportation. C’est le produit de nos forces. Nous risquons notre vie», confie l’un des travailleurs de la Sofari.
A propos des prix de cassitérite, Juma Nduwimana n’y passe pas par quatre chemins « Les creuseurs ne sont pas censés connaître le prix auquel nous vendons. Nous fixons le prix des minerais en fonction du teneur et du prix sur le marché international. »