Grâce aux troupes de l’Amisom (mission de l’Union africaine en Somalie), qui comptent des militaires burundais depuis 2007, la capitale somalienne renaît petit à petit. Bon an mal an. Mais la méfiance, la peur, font encore le quotidien d’une ville qui recherche encore sa sécurité. Un reporter d’Iwacu s’est rendu à Mogadiscio. Son carnet de voyage
Par Edouard Nkurunziza
Sur mon siège, je suis un peu tendu. Destination : Mogadiscio. Le nom est chargé d’images que j’essaie de chasser de ma mémoire. En vain. « Somalie », « Mogadiscio »… Comment ne pas penser aux attentats, aux bombes, aux « Shebabs »…
Le ronronnement du moteur du vol de Kenya Airways KQ 363 s’intensifie. Les hôtesses avertissent. Il faut mettre les ceintures de sécurité. C’est le décollage. A notre droite, major Gahongano serre la ceinture. De l’autre côté, Claver et Michel, mes deux confrères font de même. Tout le monde est silencieux. Nous décollons pour Mogadiscio…
Quelque peu avant, après le checking, major Gahongano, le plus expérimenté de la vie en Somalie, nous a donné quelques consignes. Il faut être très prudent, tout faire pour essayer d’arriver incognito en Somalie. «Eviter surtout de montrer, via les réseaux sociaux, que vous êtes en partance vers la Somalie. Pour des raisons de sécurité, il faut rester discret durant tout votre séjour.».
Ces mesures de sécurité nous inquiètent un peu. Nous savons que nous nous engageons sur un terrain difficile, plus dangereux qu’on ne le pensait. « C’est un suicide », me dis-je intérieurement. Nous sommes tous pensifs alors que l’avion vole tranquillement vers la Somalie. A travers les vitres, en bas, des nuages, en dessous des collines…
«Pour échapper aux Shebaabs »
De Bujumbura, premier escale à l’aéroport Jomo Kenyatta. Un moment de réflexion. Durant les quelque deux heures, certains ont le nez dans leurs téléphones. D’autres conversent, se taquinent à qui mieux mieux. Nous échangeons les photos prises au départ, à l’aéroport Melchior Ndadaye.
Dans la salle d’attente du deuxième vol, hormis notre groupe, quelques occidentaux, quelques asiatiques et trois jeunes somaliens assis ensemble. Outre leurs traits caractéristiques, ils sont reconnaissables avec leur langue. Parmi nous, personne ne peut comprendre ce qu’ils disent. «Et si c’étaient des jeunes el-shebaabs?», lance l’un de nous. Personne ne répond à la blague.
Au moment de prendre l’avion, les réceptionnistes de la salle s’étonnent de ce grand effectif vers Mogadiscio. «Tout ce monde vers la Somalie ?», s’étonne une femme. Apparemment, c’est inhabituel. L’aéroport de Mogadiscio n’est pas si fréquenté, me dis-je…Ce qui ne me rassure pas vraiment.
Une cinquantaine de minutes après, nous volons très loin au-dessus d’une terre d’un blanc cassé, où se distinguent tour à tour de petits sentiers, des collines, puis c’est le désert. «Nous sommes sûrement au-dessus de la terre somalienne », observe major Gahongano.
Quelques heures plus tard, le magor Gahongano nous tire de notre torpeur. « Nous sommes arrivés presque ». Le jet de Kenya Airways descend petit à petit, comme s’il allait se poser sur la surface de l’océan indien. Nous faisons environ une vingtaine de minutes au-dessus de l’océan. Pourquoi tout ce temps de vol au-dessus de l’océan ? C’est pour échapper aux attaques des Shebaabs, explique Gahongano. L’océan est sécurisé par une base militaire américaine. Nous apprenons qu’avant l’arrivée des troupes de l’Amisom, les avions se faisaient tirer dessus au moment de l’atterrissage…
Mogadiscio libérée, mais…
Enfin, elle apparaît, au bord ouest de l’océan. Vaste, gigantesque, elle me semble magnifique. Rapidement, elle vient à notre rencontre. «Voilà, c’est Mogadiscio», lance Gahongano. Plusieurs appartements en étages, de belles mosquées, de véhicules circulent. Je n’en crois pas mes yeux. «Mogadiscio, c’est cette ville? Elle est beaucoup plus vaste que Bujumbura!» Dans notre équipe, mis à part Gahongano, Karim et Michel (des confrères) personne d’autre n’avait foulé le sol somalien. «Tu croyais que quoi?», réplique en souriant Karim.
Les roues de l’avion s’écrasent sur la piste. Nous atterrissons à Aden Abdulle international airport. Et puis, surprise: une, deux, trois, plus d’une trentaine d’avions de différentes compagnies aériennes sur la piste. African, Ethiopian, UN, Kenya Airways, etc. Selon les témoignages, avant l’arrivée des troupes burundaises en 2007, cette Mogadiscio n’était qu’une ville fantôme complètement délabrée, ruinée par les attaques du mouvement el-shabaab. Nous apprenons qu’actuellement, avec la « paix retrouvée » grâce aux forces de l’Amisom, et particulièrement celles du Burundi, les activités socio-économiques ont redémarré. Les banques, les hôtels, les établissements scolaires et académiques, etc.
A leur actif à Mogadiscio, confiera Lieutenant-Colonel Cyprien Nifasha (chargé des opérations dans le 12e contingent burundais), les troupes burundaises ont le mérite d’avoir arraché des mains des shebaabs notamment l’académie militaire, alors leur bastion, le ministère de la Défense, l’université ainsi que la position de Danil. Ces positions ont été remises aux forces nationales somaliennes.
L’impression d’une grande ville en sécurité ne tardera pas néanmoins à se dissiper. Après l’aéroport, nous circulons dans la zone du « base camp » où se côtoient missions de l’ONU, de l’UA, les ambassades de l’UE, des Etats-Unis, etc. Un périmètre aux constructions toutes montées avec des containers. Certains disent que c’est pour des raisons de sécurité. Les containers peuvent résister aux bombes des shebaabs. D’autres parlent du souci d’utiliser des matériaux facilement démontables. Les missions de l’ONU, de l’Amisom, devant se terminer au bout d’un temps relativement court.
Sous un soleil de plomb, nous rencontrons des véhicules Hilux, des Toyota Land cruiser V8, des camions, pour la plupart blindés. Les disques de leurs roues, rongés par la terre sablonneuse, sont toutes rouillés. Nous irons passer la nuit dans un hôtel de la localité aussi construit avec des containers.
Là, nous recevons encore quelques consignes de sécurité. Interdit notamment de sortir du «base camp ». Les kamikazes shebaabs perpètrent sans cesse leurs attaques suicide. Et ils sont très hostiles aux étrangers. Dans l’hôtel, il faut aussi prendre des mesures de sécurité. Le « base camp » n’est pas à l’abri des attaques. On nous parle des obus tombés dans cette zone en janvier dernier. Aussi, des affrontements entre Somaliens sont nombreux. Ainsi, il faut se protéger contre les balles perdues. Nous dormons dans cet hôtel, inquiets surtout que le danger est invisible.
Le lendemain, il faudra sortir de Mogadiscio, pour une autre aventure…