Le Burundi sous le signe de la campagne du oui ou du non à la révision de la Constitution. Selon le décret présidentiel du 24 avril, les formations politiques ainsi que les indépendants ont jusqu’au 14 mai pour battre campagne et convaincre les Burundais de voter pour ou contre la Constitution. Iwacu vous brosse la température des lieux, au début de cette campagne.
Cndd-Fdd : Un début de campagne « sous le signe de la grâce divine »
Mercredi 2 mai, le parti de l’Aigle lance sa campagne pour le référendum du 17 mai. Sans surprise, il appelle à voter ‘’Oui’’.
« Un incontournable rendez-vous qu’aucun Mugumyabanga ne doit manquer », martèle, Évariste Ndayishimiye, secrétaire général. Militaires et policiers armés jusqu’aux dents, aux aguets du moindre désagrément qui pourrait perturber les cérémonies, des Imbonerakure aux alentours de la piste menant au petit stade improvisé pour accueillir les cérémonies. Dans cette zone de Bitare, commune Bugendana de la province Gitega, force est de remarquer que le comité d’organisation a mis les bouchées doubles pour la réussite de cet événement. Même la liesse des gens, d’habitude, bavarde, agitée est calme.
Plus que tout l’endroit n’a pas été choisi au hasard. En août 2017, dans la même commune, tous les Bagumyabanga ont choisi de placer Dieu au-devant de tous leurs projets. « Une autre preuve que le présent référendum est le fruit de la volonté divine, d’emblée déjà gagné d’avance», laisse entendre un Mugumyabanga sous anonymat.
Tournant majeur pour la renaissance d’un Burundi nouveau, le vote du « Oui » consacrera une ère. « Celle d’un Burundi indépendant, debout, moins enclin à courber l’échine face aux injonctions des Blancs et responsable de son propre développement », clame M. Ndayishimiye. Bien plus, poursuit-il, la nouvelle Constitution garantira la paix. Car, outre qu’elle soit issue des désidérata populaires, c’est un retour aux sources, celles écoutant la voix du petit peuple.
Être des vrais modèles
Délicate période, où tous les coups sont permis afin de faire pencher la balance, Pierre Nkurunziza, président de la République et guide suprême à tous les Bagumyabanga, les exhorte à dépasser les provocations et être de vrais exemples. « Je sais que des fois, c’est difficile de ne pas répondre aux provocations, mais c’est le moment où jamais de vous montrer exemplaires et d’être de vrais artisans d’une campagne pacifique ». Un clin d’oeil qui vient après l’arrestation et l’emprisonnement, la veille du lancement de la campagne référendaire, de Melchiade Nzopfabarushe, un cadre du parti pour incitation à la haine.
Placé sous le signe de la grâce divine, le présent référendum, indique le président Nkurunziza, est le moment opportun pour tout Mugumyabanga de se lever pour la sauvegarde de la souveraineté nationale. « Comme l’ont été nos aïeux, nous devons être vaillants, car ceci est une volonté divine. » Et de mettre en garde quiconque voudra mettra à mal ce processus. « Qu’ils soient avertis ! Autrement, la colère de Dieu s’abattra sur eux ». Quant à la consigne du vote, il leur a dit de suivre son exemple en votant ‘’Oui’’. Avant de relativiser : « Ceci ne doit pas empêcher autrui de voter suivant ce que son cœur lui dicte ».
L’Uprona, l’UPD Zigamibanga pour le ‘OUI’
Les leaders du parti Uprona institutionnel se sont rendus à Nyabiraba, en province Bujumbura pour le lancement de la campagne électorale. Le président de ce parti, Abel Gashatsi, s’est dit favorable au « Oui » à la révision de la Constitution. Selon lui, l’Uprona a accepté de voter ‘’Oui’’ au référendum constitutionnel car sur les 307 articles qui formaient la Constitution de
2005, 292 sont restés dans le nouveau projet. Les autres étaient devenus anachroniques, méritaient d’être supprimés ou mis à jour. Le vice-président de la République issu de ce parti indique, quant à lui, que l’Uprona a significativement contribué à la confection de ce projet de nouvelle Constitution.
Le patron du parti Sahwanya Frodebu Nyakuri était, mercredi 2 mai, en commune de Ntega de la province de Kirundo. Dans son discours, Kefa Nibizi a demandé à tous les militants de son parti, se trouvant sur le territoire national et ailleurs, de voter massivement « Oui » au projet de la Constitution qui, selon lui, émane de la volonté du peuple burundais. « Les amendements proposés dans la nouvelle Constitution répondent exactement aux aspirations de nos militants ».
L’appel au vote du oui, également leitmotiv du parti UPD Zigamibanga. Dans une conférence de presse tenue ce mercredi, le président de ce parti a indiqué que la nouvelle Constitution permettra le renforcement des partis politiques. « Les dissensions qui s’observent au sein des partis politiques vont sensiblement diminuer. » Pour Abdoul Kassim, la compétence donnée au président de la République de nommer les membres du gouvernement sans tenir compte des résultats de leurs partis politiques, mais des compétences individuelles de chacun, dénote la volonté de combattre l’exclusion.
Agathon Rwasa persiste et signe: « Votez non »
Lors du lancement de la campagne référendaire, mercredi 2 mai à Ngozi, Agathon Rwasa appelle ses militants à voter contre le projet de Constitution. Selon lui, elle discrimine une partie des Burundais au détriment des autres.
Une marche des militants d’Amizero y’Abarundi débutent à l’entrée de la ville de Ngozi en provenance de Muyinga à 12h30. Une
province fief du président Pierre Nkurunziza. Des jeunes et des vieillards venus des quatre coins du pays sont sur la route nationale numéro 6 en direction du stade de Muremera. Lieu de la grand-messe. Balbutiante en amont, cette marche s’annonce riche en couleurs et très animée. Slogans et chansons s’alternent. Tous appelant les Burundais à voter non et à vaincre la peur. «Voter non pour la justice, la paix et le développement durable.» Ils font l’éloge de la bravoure de leur leader Agathon Rwasa, en le comparant à Nelson Mandela. «Laissons-nous vivre dans la démocratie. Elle n’exclut personne », scandent-ils.
Infatigables, ils escaladent une montée d’un kilomètre à pas de course. Au fur et à mesure qu’ils avancent, d’autres sympathisants grossissent les rangs. Arrivée au marché de Ngozi, la foule est rejointe par les dignitaires d’Amizero y’Abarundi dont les parlementaires. De là, ils exhibent une banderole portant le thème : « Nous rejetons une Constitution dont les dispositions excluent les Burundais. Votez non.»
Pierre Célestin Ndikumana, président du groupe parlementaire d’Amizero y’Abarundi, est de la partie. Il occupe le devant de la scène en coordonnant les activités. Les forces de l’ordre veillent au bon déroulement des choses. Certains habitants de Ngozi n’en croient pas leurs yeux. « Finalement, la coalition est vraiment vivante. Elle ose appeler à voter non » s’étonne un passant. Un autre de lâcher : « C’est la véritable opposition politique. On ne s’y attendait pas. »
Pendant près d’une heure de marche, les militants arrivent au stade de Muremera. Tout en continuant à chanter à tue-tête leurs hostilités à la nouvelle Constitution, ils attendent le grand moment. La venue de leur leader. D’autres imminents membres de la coalition précèdent l’arrivée du président. Il s’agit du Dr Yves Sahinguvu et du professeur Evariste Ngayimpenda, vice-président de cette coalition.
Une Constitution préparée en catimini
C’est sous bonne escorte que le premier vice-président de l’Assemblée nationale fait son apparition. Le grand moment est arrivé. C’est après la prière et le mot de bienvenue que le leader d’Amizero y’Abarundi prend la parole. Agathon Rwasa, natif lui-même de Ngozi, n’y va pas par quatre chemins. «Nous voterons « non » au projet de Constitution. D’emblée, il fait savoir que le projet de Constitution est un document qui a été longtemps tenu secret. «J’ai reçu ce document à la veille du lancement
de la campagne référendaire. Il n’a pas été rendu public».
En outre, il indique que sa préparation n’a pas été inclusive. La coalition Amizero y’Abarundi n’avait qu’un seul représentant dans une Commission de 15 membres. Et d’ajouter qu’aucun ministre de sa coalition n’a jamais été associé dans l’explication du contenu dudit projet. « Comment pouvons-nous voter une Constitution à laquelle nous n’avons pas été associés », s’est interrogé le député Rwasa.
Par ailleurs, poursuit-il, pour accéder aux hautes fonctions, ce projet exige que tout candidat à ses postes doit jouir uniquement de nationalité burundaise d’origine. Pour lui, ce projet ne vient qu’exclure les uns et valoriser les autres. Or, précise-t-il, notre coalition prône la réconciliation de tous les Burundais.
Il fait remarquer que le Burundi sera régi par deux Constitutions. Il se base sur l’article 288 :« En attendant la mise en place des institutions issues des élections conformément à la présente Constitution, les institutions en place restent en fonction jusqu’à l’installation effective de nouvelles institutions élues.»
Or, craint-il, rien ne garantit que les institutions actuelles continueront. Toute loi, tient-il à rappeler, entre vigueur le jour de sa signature et une Constitution prend effet dès le jour de sa promulgation.
Le premier vice-président de la chambre basse du Parlement est inquiet quant au mode de vote et d’adoption des lois. Pour lui, la majorité absolue qui a été retenue est de nature à faire passer les lois comme des lettres à la poste. Le statut de représentant du peuple est battu en brèche. Le président aura la latitude de mettre la pression sur le Parlement chaque fois qu’il voudra faire passer une loi qui l’avantage.
Il s’inscrit en faux contre le serment présidentiel devant le Tout Puissant. Pour lui, c’est une façon d’entraîner les Burundais vers une seule religion. Et partant prêcher contre le principe de la laïcité de l’Etat.
Il fait savoir également que le projet de Constitution consacre l’impunité. En effet, l’article 50 prévoit qu’aucun burundais ne peut être extradé.
Il dénonce, par ailleurs, les articles 81, 85, 86. Selon cet élu du peuple, ces dispositions se contredisent quant à la formation des coalitions et des indépendants. «Elles ne visent que mon exclusion lors des prochaines échéances électorales ».
Rwasa défend Arusha
Pour Agathon Rwasa, la Constitution en vigueur a permis le retour de la paix. « J’épouse totalement l’esprit et la lettre de la présente Constitution, fruit des Accords d’Arusha même si je n’y étais pas ». Il estime que cette Constitution a sorti le pays des divisions ethniques. Selon lui, ce qui a causé toujours du tort aux Burundais est le non-respect des lois. Et de renchérir : « Il n’y a aucun burundais qui a fui et qui a refusé de rentrer à cause de la Constitution en vigueur » Et de conclure que la démocratie implique la diversité d’opinions et d’idées.
« Nous devons nous atteler à chercher plus ce qui nous unit. Nous nous inscrivons en faux contre la mauvaise gouvernance politique ». Au final, le député Rwasa exhorte ses militants à faire preuve de retenue, d’éviter toute provocation ou agression envers d’autres adversaires politiques. Il invite les futurs mandataires aux bureaux de vote d’être vigilants pour dénoncer toute fraude : « Il faut veiller au bon déroulement du référendum.»
Léonce Ngendakumana, pour le ‘Non’
Lors d’une conférence de presse, jeudi 3 mai, le vice-président du parti Sahwanya Frodebu qualifie ce référendum de tous les dangers. « Nous appelons donc nos militants à voter ‘’Non’’ pour sauvegarder l’Accord d’Arusha et la Constitution qui en est issue.»
Pour Léonce Ngendakumana, les raisons pour battre campagne pour le « Non » ne manquent pas. Il regrette que le projet de nouvelle Constitution ne fasse pas référence à l’Accord d’Arusha. Au regard des causes et des réalités qui ont donné naissance à cet accord, ce n’est pas le moment de supprimer l’Accord d’Arusha, encore moins d’abroger la Constitution en place. « La réconciliation nationale n’est pas encore accomplie. »
Il ajoute, par ailleurs, que la nouvelle Constitution contient de graves tares qui mettent en danger la nation « Elle porte atteinte à la laïcité de l’Etat et à la séparation des pouvoirs.» Et de souligner le rabais du quorum de prise de décision à l’Assemblée nationale à 50 % plus une voix, « ce qui favorisera le vote de lois liberticides ».
En outre, Léonce Ngendakumana déplore que la nouvelle Constitution institutionnalise et encourage l’impunité des crimes « Aucun Burundais ne peut être extradé. Le Burundi risque de devenir un foyer de criminels. » Et de conclure : « Face à ce coup de force Constitutionnel, nous disons « Non » à la nouvelle Constitution et nous la jugeons inopportune. »
Un dossier réalisé par Agnès Ndirubusa, Arnaud Igor Giriteka,
Fabrice Manirakiza, Felix Haburiyakira, Hervé Mugisha et Pierre-Claver Banyankiye