Injures, provocations, déshumanisation, …. Dans le passé, de tels comportements se sont manifestés lors des différentes campagnes électorales. Bientôt, selon le calendrier de la Commission électorale nationale indépendante, Ceni, le 9 mai 2025, c’est l’ouverture d’une autre période de campagne électorale. Et ce durant vingt et un jours. Est-ce qu’on ne risque pas vivre la même situation ? Y’a-t-il moyen de parler des programmes au lieu de s’injurier ? Des experts s’expriment.
Selon un document de l’ONU de 2019, un discours de haine peut se comprendre comme « tout type de communication, qu’il s’agisse d’expression orale ou écrite ou de comportement, constituant une atteinte ou utilisant un langage péjoratif ou discriminatoire à l’égard d’une personne ou d’un groupe en raison de leur identité. C’est-à dire l’appartenance religieuse, l’origine ethnique, la nationalité, la race, la couleur de peau, l’ascendance, le genre ou d’autres facteurs constitutifs de l’identité ».
Malheureusement, ce genre de discours ont existé et existent au Burundi. D’après abbé Dieudonné Nibizi, expert en communication, il y a effectivement des messages de haine et d’incitation à la violence qu’on constate actuellement dans les médias et dans les réseaux sociaux en général et au niveau de la population. « Il y a des messages qui attaquent la personne ou un groupe de personnes en se basant sur des traits identitaires ou idéologiques ».
Il fait observer que ces messages sont d’ordre essentiellement politique. « Ils interviennent souvent dans un contexte politique. Cela veut dire que les gens s’attaquent sur les opinions. Les Burundais ne se laissent pas un espace de réflexion libre. Ils veulent que tout le monde réfléchisse de la même façon. »
A titre illustratif de ces messages de haine et d’incitation à la violence, il évoque des expressions d’animalisation. Là, explique-t-il, on considère une personne comme un animal, tantôt un animal domestique, tantôt un animal sauvage ou un animal dangereux. « Si vous qualifiez quelqu’un d’animal dangereux, c’est que la personne est un danger. Elle est à éliminer. Appeler quelqu’un un serpent, si on voit un serpent, on le tue. C’est que vous incitez à la violence contre cette personne. »
Il ajoute également d’autres expressions de chosification où la personne est comparée à un objet. « Malheureusement, ici au Burundi, il y a de ces expressions qui tombent de la bouche ou des mains de ceux qui écrivent qui considèrent la personne comme un objet comme par exemple “igisunzu” (en français igname). »
Enfin, il y a des généralisations abusives ou des raccourcis de la pensée où on colle des traits d’une personne à une catégorie et la glorification de la violence. « On accuse quelqu’un de ce qu’une autre personne a fait. On va le généraliser sur les autres. Par exemple, on vous dira : ce sont des Hutus, ces chiens de Tutsi, ces vauriens de DD. Donc des expressions comme ça qui traduisent une globalisation qui est une forme de pensée qui raccourcit la pensée pour une simplification. Vous comprenez une erreur de la pensée. La glorification de l’auteur de la violence va encourager cette personne à continuer ses exactions. Et cela est dangereux durant la campagne électorale. »
Se référant au passé, Vianney Ndayisaba, coordinateur de l’Aluchoto (Association de lutte contre le chômage et la torture) se souvient que durant les campagnes électorales de 2015 et 2020, des chansons, des slogans injurieux envers d’autres personnes et politiciens ou qui sèment la haine ont été relevés.
« Ces discours portent atteinte aux droits humains, à la liberté et à la dignité d’une personne », dénonce-t-il. Il donne l’exemple des chansons telles que » Iyo mihimbiri irasara » (en français, ces vauriens ont perdu la tête) ; les mots » abanyonyezi, ibisuma » (les voleurs), etc.
M. Ndayisaba trouve que ces propos, ces discours ou ces chansons ne sont pas appropriés dans une campagne électorale. « Les compétiteurs devaient présenter leurs projets et arrêter de s’insulter mutuellement. Les chansons et les messages des partis politiques devaient se focaliser sur leurs programmes pour le bien-être de la population. »
Des effets pervers
Selon l’abbé Dieudonné Nibizi, les Burundais ont des prédispositions psycholinguistiques et sociolinguistiques qui font qu’une moindre parole peut susciter de la violence. « Les Burundais ont encore des blessures et ils sont encore dans le processus de réconciliation. De tels discours peuvent réveiller les vieux démons de la haine au sein de la population parce que les Burundais sont sensibles. » Il avertit que cela peut également freiner l’évolution du système démocratique. « Ces propos peuvent amener à la violence et les gens peuvent s’entretuer. Nous aurons des actes de violences pendant les élections parce que dès que vous chosifiez, vous animalisez la personne c’est que vous incitez à ce qu’on l’élimine. Donc la conséquence est qu’on risque d’avoir des élections troublées. »
Ce qui conduit à une tension inutile au sein de la population dans un contexte déjà précaire. Il faudrait protéger la population du passé douloureux. Sinon, « le processus général de la réconciliation risque de pâtir. On va donc stagner alors que nous voulons vraiment avancer. », craint-il.
Vianney Ndayisaba estime que quand vous inculquez dans l’esprit d’un analphabète qu’un tel groupe est fait de voleurs (abanyonyezi), ou d’adversaires (abakeba), il intériorise cela et le prend comme une vérité. « Ainsi, il va considérer tous ceux qui ne sont pas dans son parti politique comme des vauriens, des fous, des voleurs. Et cela peut mener à des massacres et à des tortures de ceux qu’ils appellent Abakeba, Abanyonyezi. »
Respecter les règles du jeu
« Les hommes politiques doivent éviter la diabolisation de leurs opposants ; présenter de bons programmes politiques, c’est-à-dire des programmes qui soient bien élaborés », conseille abbé Dieudonné Nibizi.
Il conseille les politiciens d’éviter aussi de semer la haine et la violence au sein de la population. Il ajoute que leur texte ne doit pas être fondé sur la sous-estimation de l’opposant. « Eviter de mal parler de quelqu’un, respecter la pluralité d’opinions comme base de la démocratie. Sinon, ce n’est pas une démocratie que nous édifions. », insiste-t-il.
En outre, il suggère aux partis politiques de respecter les règles du jeu comme la Ceni les leur présente. Cela se traduit par une éducation civique juste et positive au niveau de la population burundaise. « Il faut reconnaître que le Burundi est un pays encore fragile au point de vue du processus de réconciliation même au niveau du changement démocratique. A partir de là, il faut savoir comment se comporter. »
Partant, il appelle les partis politiques à présenter à la population des programmes politiques bâtis autour des axes liés au secteur de la vie de la population et son rôle dans la société. « La population burundaise a tellement souffert. La campagne électorale devra consister à présenter à la population non pas des actes d’accusation mais ce que le parti entend faire pour un mandat de x années afin de relever la situation dans les différents secteurs », insiste-t-il.
Pour lui, un programme politique doit être bâti autour des axes précis traduisant la valeur ajoutée que les partis entendent proposer à la population afin d’améliorer ses conditions de vie.
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