Une semaine noire pour le Congrès National pour la Liberté (CNL). Six représentants du CNL des six communes de la province Bururi ont été arrêtés. Ils sont accusés d’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat. Les responsables de ce parti parlent des accusations infondées.
Dossier réalisé par Fabrice Manirakiza, Rénovat Ndabashinze, Félix Nzorubonanya et Alphonse Yikeze
«Les arrestations prennent une allure inquiétante», s’inquiètent les militants du CNL de la province Bururi. Dans l’après-midi de ce mercredi 16 septembre 2020, le représentant de cette formation politique dans la commune Matana et membre du Conseil communal, Gabriel Ndayiragije, a été arrêté. C’était le dernier qui restait en liberté parmi les 6 représentants du CNL en province Bururi.
Dans la matinée, Emmanuel Hurumbirimana, président du CNL en commune Songa et membre du Conseil communal, a été appréhendé par la police. La veille, ce sont Thaddée Nshimirimana et Japhet Ntahomvukiye, respectivement présidents communaux en communes Bururi et Vyanda. Depuis le 12 septembre dernier, Félix Nduwimana alias Ngeringeri, conseiller communal de Rutovu et président communal du CNL en commune Rutovu et Romuald Hankanimana, conseiller communal de Mugamba et président communal du CNL, sont incarcérés à Matana. Ils ont été appréhendés après l’assemblée ordinaire des responsables du CNL dans la province Bururi organisée en commune Matana. Selon des témoins oculaires, ils ont été arrêtés sans mandat d’arrêt.
Arrêtés pour quel motif ?
Les Inyankamugayo, militants du CNL, de la province Bururi s’interrogent sur les raisons de l’arrestation de leurs représentants. «Ils sont accusés d’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat. C’est absurde. Nous avons fait une réunion samedi avec les représentants communaux et le comité provincial. La réunion a eu lieu à l’intérieur de notre permanence, reconnue par les autorités. Au vu et au su de tout le monde», indique un militant du CNL de la commune Matana. Selon lui, ce n’est pas la première fois qu’ils organisent des réunions dans cette permanence. «On se demande ce qui a changé. D’ailleurs, la loi ne nous oblige pas de demander une autorisation lorsque la réunion se tient dans notre permanence».
D’après des informations recueillies, des mandats d’arrêt ont été émis pour tous ceux qui ont participé à cette réunion. «Nous ne savons pas ce qui se cache derrière ces arrestations. Cette persécution doit cesser», indique un militant de Rutovu.
Contacté, le procureur de la République à Bururi est resté évasif sur ces arrestations: « Si vous avez besoin de nous, il faut venir au bureau. » Avant de raccrocher son téléphone, il a tenu à préciser que les dossiers en cours d’instruction ne peuvent pas être portés sur les médias.
Rumonge : Inquiétudes à Bugarama et Burambi
Les provinces du sud du pays sont en proie, depuis le 23 août dernier, à des attaques sporadiques des groupes armés. Les habitants des communes Bugarama et Burambi se posent toujours des questions sur l’identité de ces «groupes armés ». Cela crée un climat de psychose et de suspicion. Dans la foulée, à côté de Bururi, des arrestations sont signalées dans les différentes communes de Rumonge.
Dans la nuit de mardi 15 septembre 2020, 3 personnes ont été tuées lors d’une attaque d’un groupe d’hommes armés. C’était dans la localité de Kiganza, sur la colline et zone Maramvya, commune Burambi de la province Rumonge. Le bilan fait état de 2 blessées et une personne porte-disparue. Selon des informations recueillies à Maramvya, ces personnes tuées seraient des jeunes Imbonerakure du Cndd-Fdd qui faisaient des rondes nocturnes. «Ces hommes armés portaient des tenues de la police burundaise», racontent des témoins. Il y a deux semaines, trois personnes avaient été tuées, par des hommes armés, sur la colline Maramvya de la commune Burambi. Il s’agit de Léonidas Nibayubahe, représentant des Imbonerakure ainsi qu’une femme et son fils.
Depuis le 23 août dernier, le sud du pays vit au rythme des attaques d’hommes armés surtout dans les provinces de Bururi et Rumonge. Dans cette dernière, des combats entre ces hommes armés et les forces de l’ordre et de sécurité sont rapportés dans les communes de Bugarama et Burambi. Les habitants de ces localités ont signalé plusieurs infiltrations d’hommes armés en provenance de la RDC via le lac Tanganyika. Ce 23 août dernier, ces hommes armés ont perpétré une attaque qui a fait une dizaine de morts sur la colline Gahuni de la commune Bugarama de la province Rumonge.
Depuis, la peur s’est installée
Le long de la route, Bujumbura-Rumonge est tranquille. La quiétude du lac Tanganyika te transporte un moment vers des rêves lointains. La route pleine d’énormes trous te fait revenir sur terre. Les gens vaquent apparemment à leurs occupations. Les boutiques sont ouvertes. Les marchés se tiennent. Des habitants, paniers ou gros sacs sur la tête, courent presque vers le marché de Minago. Les attaques des hommes armés venus de la RDC ne semblent pas trop les inquiéter. «Ça se passe très loin dans les montagnes de Burambi. Nous sommes tranquilles», raconte une maman, la quarantaine. Les habitants de la zone Minago disent ne pas avoir peur. «Lorsque la population a déjà dit non, c’est non. Quand elle dit oui, tout est possible.», confie un autre homme, la soixantaine. D’après lui, lorsqu’il n’y a pas quelqu’un de la région qui est impliquée, un groupe armé ne peut pas prendre racine. «Nous avons trop souffert dans le passé. Aujourd’hui, nous ne faisons que courir à gauche et à droite pour survivre et subvenir aux besoins de nos familles.» Toutefois, il indique, après les attaques du 23 août dernier, certains habitants des communes Bugarama et Burambi sont descendus des montagnes pour venir s’installer à Minago.
Contrairement aux riverains du lac, c’est une autre histoire pour les gens des montagnes. Depuis les premières attaques de ces groupes armés, la population des communes Burambi et Bugarama vit la peur au ventre. « Il y a des moments d’accalmie et des moments de combat. On ne sait pas à quel saint se vouer», indique un habitant de la colline Maramvya. Selon les témoignages recueillis dans la zone Maramvya, les gens ne dorment plus chez eux. «Pendant la soirée, les femmes et les enfants se réfugient dans la brousse ou sur des positions militaires. Les se mobilisent pour effectuer des rondes nocturnes», confie un habitant de cette localité. «Ces hommes attaquent ces gens qui font des rondes nocturnes», ajoute un autre. La population parle d’au moins 5 civils déjà tués dans la commune Burambi.
La population signale une vague d’arrestations. «Si tu es une parenté d’une personne qu’on soupçonne d’appartenir à ces groupes armés, tu es arrêté», témoigne T.N, un habitant de la colline Gisagazuba de la commune Burambi. «Mais aussi, les militants du CNL sont visés ainsi que les personnes de l’ethnie Tutsi. On dit que ce sont les groupes des Tutsi. Les gens ont vraiment peur. Le manque d’informations, les rumeurs et ce silence radio de la part des autorités, tout cela renforce la suspicion entre la population sur base des convictions politiques», rapporte un leader religieux de la commune Burambi. De plus, certaines écoles commencent à fonctionner mal suite à cette insécurité. «Comme les élèves passent la nuit éveillés, certains sont dans l’incapacité de se présenter à l’école». La population de ces deux communes demande que la sécurité soit renforcée.
Des mesures de sécurité renforcées sur le lac
Ce mercredi 16 septembre 2020, le Secrétaire permanent du Conseil national de sécurité(CNS), Colonel Pierre Claver Nzisabira, une réunion de sécurité à l’intention des autorités administratives des communes Burambi, Buyengero et Rumonge. «Il a demandé aux autorités administratives de dénoncer tous ceux qui sont en train de perturber la sécurité dans certaines communes de cette province», confie un administratif.
Des images montrant des militaires en train de brûler deux bateaux ont fait le tour de la toile. C’était le 10 septembre 2020 au chef-lieu de la province Rumonge. Ce qui n’a pas du tout plu aux pêcheurs de Rumonge. «Pourquoi les brûler ? C’est incompréhensible. L’Etat pouvait les réquisitionner pour qu’ils aident dans d’autres travaux. Sécuriser le lac par exemple», confie un pêcheur du chef-lieu de la province Rumonge. Selon lui, les militaires ont accusé ceux qui étaient à bord de collaborer avec des groupes armés. C’est la présence de deux Congolais qui aurait éveillé des soupçons chez les militaires. «Ce n’est que de la suspicion, car le propriétaire du bateau est connu à Rumonge».
Du coup des mesures ont été prises. «Il est interdit de pêcher tout près des bords du lac. C’est dans le but de bien contrôler les mouvements des bateaux sur les eaux», explique un pêcheur. De plus, s’il faut changer de position, il faut allumer les lampes. «La sécurité a été renforcée».
Après les élections, la situation était calme
Selon un des responsables du CNL en province Rumonge, la cohabitation entre les militants était au beau fixe. «Malgré ce qui s’est passé lors du dépouillement des urnes, nos militants sont restés sereins. Les persécutions, qui s’étaient observées avant les élections, avaient cessé.» Selon ce responsable, les arrestations et les mauvais traitements ont repris avec l’annonce de l’existence des groupes armés venus de la RDC voisine. «Aujourd’hui, nous vivons dans la peur d’être arrêtés d’un moment à l’autre sur base des motifs farfelus. Nous voulons seulement la paix. Que les autorités nous associent pour défendre notre pays».
En province Rumonge, les représentants du CNL parlent d’une douzaine de militants arrêtés. Le 29 août dernier, 11 militants du CNL de la commune Muhuta à savoir Sébastien Ntahombaye, représentant du CNL en zone Muhuta, Jérémie Bikorimana, membre du conseil communal Muhuta, Jonathan Tuyisabe, Israël Ndabatezimana, Vianney Muganga, …. «Certains sont incarcérés à la Brigade de Rumonge. Ils sont accusés de collaborer avec les groupes armés alors que c’est faux. La police a fouillé dans leurs maisons mais elle n’a rien trouvé.» En communes Bugarama et Buyengero, deux militants du CNL ont été également interpellés.
Même du côté du parti au pouvoir, on reconnaît que la cohabitation n’était pas bonne entre certains partis politiques. « Avant les élections, il y avait des accrochages entre le CNL& Cndd-Fdd. Des affrontements surtout entre les jeunes de ces partis étaient fréquents », indique Diomède Niyonsaba, représentant provincial du Cndd-Fdd, à province. Mais, se félicite-t-il, après le scrutin, la cohabitation s’est nettement améliorée. « Des accrochages se sont arrêtés. Car, chacun est retourné dans ses activités personnelles. Et pour le moment, on travaille pour le renforcement de la sécurité via les comités mixtes de sécurité. »
M.Niyonsaba rappelle que la sécurité est pour tout le monde. Interrogé sur la sécurité qui prévaut dans cette province de Rumonge, il souligne que la population de cette province a beaucoup souffert de la guerre. Selon lui, ils ne peuvent pas se laisser manipuler. « Ils savent que les malfaiteurs n’ont pas de partis politiques, d’ethnies. »
Sur les arrestations de quelques membres du parti CNL, le représentant provincial du parti Cndd-Fdd dit qu’on ne peut pas arrêter quelqu’un sans preuve. « Si c’est le cas, sûrement qu’ils seront relâchés. »
Et d’appeler ses militants, et ceux des autres formations politiques de se battre pour la paix, d’être des artisans de la paix et de continuer à vaquer à leurs activités. « Les élections sont finies. C’est le moment de se pencher au développement du pays. » Iwacu a sollicité une interview avec le gouverneur de la province Rumonge, Consolateur Nitunga mais il n’était pas disponible.
Contacté, Colonel Floribert Biyereke, porte-parole de l’armée burundaise promet de s’exprimer ultérieurement.
INTERVIEW EXCLUSIVE – Agathon Rwasa : « Le CNL n’a rien à voir avec cette pseudo-guerre. »
Arrestations des représentants et militants du CNL, insécurité, exclusion dans l’administration, …. Agathon Rwasa, président de ce parti, s’exprime.
Certains représentants de votre parti ont été arrêtés à Bururi, Rumonge, etc. Votre commentaire.
C’est déplorable. Parce que ces arrestations sont arbitraires. Elles ne sont pas du tout justifiées. Plutôt elles témoignent une certaine haine que le parti au pouvoir a contre le parti CNL. Pour le cas d’espèce, les gens qui ont été arrêtés à Bururi, étaient en réunion dans une permanence. Ce qui est tout à fait normal. Mais les autorités prétextent que c’était illégal. Qu’ils n’avaient pas demandé d’autorisation.
Que dit la loi en la matière ?
On demande les autorisations pour les manifestations ou s’il s’agit de tenir des meetings sur les lieux publics. Mais, au niveau des permanences, on peut fonctionner tous les jours de 6 h du matin à 18 h du soir. Ils n’ont enfreint aucune règle en la matière. C’est donc arbitraire.
Comment interprétez-vous cette situation ?
Moi la question que je me pose est la suivante : Comment pourra-t-on avancer en matière de gouvernance, de démocratie si certaines autorités ignorent la loi ? Car, l’administration se fonde sur la loi. Est-ce que ces administratifs qui ne connaissent pas la loi sont-ils dans leurs places ?
Pourquoi est-ce qu’ils ont fabriqué les résultats pour continuer à gouverner alors qu’ils ne peuvent pas se conformer aux règles les plus élémentaires de l’administration et de la gestion d’une société ?
Ne serait-il pas lié à la situation sécuritaire dans certains coins du sud du pays ?
On peut se poser mille et une questions par rapport à ce qui se passe. Tout d’abord, je crois que, c’était dimanche 23 août, que nous avons commencé à entendre des histoires sur les réseaux sociaux. On a entendu des policiers, des militaires, des Imbonerakure qui font circuler des enregistrements audio, des textes sur WhatsApp. Ils disaient que le pays est attaqué. Et voilà, c’est bientôt un mois. Aucune communication des autorités publiques. Et ce sont des militants du CNL qui sont arrêtés.
Est-ce que votre parti a une part de responsabilité ?
Le CNL n’a rien à voir avec cette pseudo-guerre. Je dis pseudo, parce que l’Etat ne dit rien à propos. J’entends dire que Red-Tabara aurait produit des communiqués. Alors si c’est ce groupe qui attaque, pourquoi arrêter les membres du CNL ? Est-ce que ce ne sont pas des organisations différentes ? Le CNL est un parti qui travaille conformément à la loi burundaise. Nous avons été agréés par ordonnance ministérielle. Nous travaillons publiquement. Nous ne faisons rien en cachette. Pour quoi cette haine ? Pourquoi est-ce que les gens du Cndd-Fdd pensent que ce Burundi est leur propriété au point qu’ils doivent éliminer le CNL et ses militants ? Ça nous mène où ?
Moi je pense qu’ils devraient chercher à ce qu’il y a comme crise. S’il y a des Burundais qui pensent qu’ils peuvent encore recourir aux armes, c’est qu’il y a un grand problème.
Est-ce possible ?
Depuis 2000, les Burundais se sont convenu et ont juré sur l’honneur que chaque fois que surviendrait un problème, on s’essayera ensemble. On discutera. On nous vole notre victoire, on refuse toute concertation, on nous exclut de l’administration à tous les échelons. Et comme on n’est pas satisfait, il faut même nous éliminer physiquement. Il faut nous emprisonner, etc. Non. Ça ne mène nulle part.
Mais à Rumonge, certains de vos militants arrêtés sont suspectés de collaborer à ces hommes armés. Qu’en dites-vous ?
Qui garde les frontières ? Sur toute la frontière burundaise, il y a des positions militaires, des postes de police. Comment est-ce que les gens se sont infiltrés ? Comment est-ce qu’ils ont quitté le lac Tanganyika en bonne matinée. Dimanche, 23 août, les gens vont à l’église, au marché et jusqu’au lendemain, pas d’actions de la police et de l’armée ? Je pense que s’il faut chercher des complices, c’est à ce niveau, pas chez le CNL.
Ce n’est pas le CNL qui monte la garde. On a des positions militaires qui sont responsables des frontières. Des policiers responsables de la sécurité au niveau des villages et villes. Ce sont eux qui contrôlent la circulation routière. Est-ce qu’il y a un seul poste où les gens du CNL sont allés s’installer ou ont chassé les militaires et policiers pour que ces soi-disant rebelles passent ? Je pense que lorsqu’on veut noyer son chien, encore qu’on n’est pas leur chien, on l’accuse de la rage.
Alors pourquoi cela ?
Je crois qu’il y a quelque chose qui les trouble. Ils savent très bien qu’ils n’ont pas gagné les élections. Ils veulent donc en découdre avec la population qui a mal avec leur gouvernance. C’est ça le problème. Et puis, aujourd’hui, on peut se poser la question : on dit en Kirundi, Reta Mvyeyi, Reta Nkozi, Reta nsenzi, etc. Mais quel est le bilan ? Après trois mois, seulement deux conseils des ministres, pas un seul chantier… On est où ? On va où ?
N’est-ce pas encore tôt pour évaluer ?
Ce n’est pas si tôt que ça. S’il faut chanter les slogans, tout le monde est capable. Comment parler de Reta Mvyeyi lorsqu’il y a exclusion ? Qu’ils sachent qu’il y a cette deuxième partie de la population qui a droit à exercer dans les différents domaines de l’administration et autres. Un parent qui discrimine ses propres enfants, au bout du compte, ne détruit-il pas sa maisonnée ?
Quelles peuvent être les conséquences de ce manque de communication officielle sur la situation ?
Elle justifie ces arrestations arbitraires et tous les abus que peuvent subir ces personnes arrêtées et emprisonnées. Elles ne sont pas seulement répertoriées à Rumonge ou Bururi. A Ruziba, Musaga, Kayanza, etc. Et pourtant, le CNL n’a rien à voir avec cette guerre, si guerre il y a.
Est-ce que vous ne craignez pas personnellement pour votre sécurité ?
Écoutez, tout Burundais est en danger sécuritaire. Lorsqu’on parle de probable rébellion et que l’Etat ne communique rien, tout le monde a des raisons de se sentir en danger.
Avez-vous un message à transmettre aux Burundais ?
D’abord, il faut que le pouvoir ne confonde pas des choses. S’il est confronté à un problème, il faut l’affronter et ne pas jeter le tors sur des paisibles citoyens que nous sommes. Nous n’avons rien à voir avec cette velléité de rébellion. Qu’on nous laisse tranquilles. Ils n’ont qu’à aller s’attaquer à ces rebelles s’ils existent. Pourquoi chercher des boucs émissaires ? Ou bien c’est une fabrication tout simplement ?
Analyse/ Pr Gérard Birantamije : « La culture politique au sein du parti au pouvoir demeure celle de la confrontation »
L’auteur de La Crise de l’État Et la Réforme du secteur de la Sécurité au Burundi décrypte les récentes attaques armées qui ont déjà secoué différents coins du pays.
Des attaques armées sont signalées depuis un moment à l’ouest, au sud et au nord du pays. Beaucoup d’observateurs regrettent le silence du gouvernement face à ces attaques Votre commentaire ?
Ce silence révèle un malaise au sein de l’équipe gouvernementale. Un malaise qui s’explique d’une part par une narrative de paix « totale » que le gouvernement a toujours clamée alors que toutes les voix libres ont toujours démontré que les infiltrations de groupes armés constituaient une épine au pied du régime. Le régime reste droit dans ses bottes pour signifier qu’il reste le maître du jeu. D’autre part, ce malaise peut s’expliquer par le fait que le nouveau régime voulait vendre son image pour ramener dans son giron les bailleurs qui l’ont déserté depuis la crise du troisième mandat. Un groupe armé qui fait irruption alors que le régime fait ses premiers pas pour une campagne de charme, rabat les cartes, et amène les différents et potentiels bailleurs à se poser mille et une questions. Enfin, ce malaise peut s’expliquer par le fait que ces semeurs de trouble communiquent peu ou pas. Le gouvernement peut-il inventer leurs revendications s’ils ne les ont pas exprimées ouvertement ? Le faire serait aussi montrer son plan pour protéger la population civile. En a-t-il déjà un ou tout au moins les outils pour cela ?
Votre avis sur la position de l’’armée ?
Je n’en sais pas trop, vu que les deux parties ne communiquent pas. Mais ce serait tout de même un cas intéressant si ce groupe armé peut s’offrir une promenade de santé dans un pays avec une armée de plus de vingt-sept mille soldats, une vingtaine de milliers de policiers, sans oublier les Imbonerakure qui quadrillent le territoire. D’un côté, cela voudrait dire que l’Etat n’a plus d’armée ou de corps de sécurité, donc que les populations civiles sont enclines à développer des mécanismes d’autodéfense. Et cela confirmerait son silence. De l’autre, que le soutien des hommes en uniforme qui s’est fait remarquer en 2015 et aux récentes élections n’était que de façade. Finalement, que tout ce qui a été décrié par les oppositions a fini par produire un effet sur la psychologie des acteurs sécuritaires. Mais je pense qu’il faut rester prudent face à de telles situations où peu d’informations officielles filtrent.
Qu’est-ce qui expliquerait le regain d’arrestations des membres du CNL, ces derniers jours ?
Je ne sais pas vraiment s’il y aurait un lien entre les attaques armées évoquées et le regain des arrestations des membres du Cnl. D’abord, les gens semblent malheureusement s’habituer à ces arrestations tellement elles inondent l’actualité depuis la période d’avant les élections. Ensuite, le dernier scrutin s’est terminé en suspens, même si les résultats ont été validés par la Cour constitutionnelle. Ce contentieux non vidé pose tout de même un réel problème de légitimité du pouvoir. Autrement dit, le Cnl reste une menace. Or, la culture politique au sein du parti au pouvoir demeure celle de la confrontation voire de l’élimination physique comme certains ténors du parti l’ont assumé, lors de l’épisode de la contestation du troisième mandat. Du reste, comme un adage Rundi le dit : « umwana umutuma uwo bankana akazana uwo basangira » (Si tu demandes à un enfant son ennemi, il amènera celui avec qui il partage l’assiette). Aux dernières élections, ce parti en est sorti deuxième force politique, donc le plus grand challenger du parti au pouvoir. Mais par-dessus tout, je crois que le fait que le Cnl ait développé un narratif qui aura déconstruit en quelque sorte le discours du parti au pouvoir n’est pas passé inaperçu aux yeux du système en place. Tout cela reste lié au sérieux problème de culture politique, particulièrement de culture démocratique au sein de la formation au pouvoir.
A la suite de ces attaques armées, des ex FAB ont été interpellés…
C’est devenu fréquent, chaque fois que l’insécurité fait parler d’elle, des ex-FAB en fonction ou à la retraite ont été arrêtés, parfois éliminés. Je n’ai pas de commentaire particulier, mais je pose la question de savoir le travail des mécanismes judiciaires militaires (renseignement militaire, auditorat, le Conseil de guerre, etc.). Si des liens avec ces arrestations peuvent être retracés, pourquoi cela ne passe pas par les voies autorisées ? Pourquoi cela n’est-il pas communiqué à l’opinion nationale ? Et puis j’ai l’impression que ce sont les ex FAB qui souffrent le plus du système en place si bien que, contre vents et marées, ils seraient les mieux à même de soutenir toute rébellion supposée ou réelle. Je pense plutôt que ce genre de réactions n’est pas moins lié aux ratés du processus de réforme du secteur de la sécurité.
Le sommet de Goma initialement prévu dimanche 13 septembre a été reporté sine die. Quel intérêt a le Burundi à prendre part à ce type de sommet ?
Cinq ans de « bunkérisation » du régime sont à mon avis suffisants. Le premier intérêt est de permettre au chef de l’Etat de porter la voix du Burundi dans le concert des Nations, de prendre part aux discussions sur les enjeux régionaux et sous régionaux. Le second, c’est une occasion en or qui est offerte au Burundi pour exprimer les questions qui fâchent, notamment celles exprimées à demi-mot sur les pays voisins, sur les rébellions, sur l’extradition « des criminels », etc.
*L’interview a été réalisée avant les revendications du groupe rebelle Red-Tabara sur les ondes de médias étrangers.