Ce mercredi 22 juillet, le Groupe de Presse Iwacu a organisé une cérémonie en mémoire du journaliste Jean Bigirimana disparu, il y a 4 ans, dans des circonstances jusqu’aujourd’hui non élucidées.
C’est vers 12h 45 que les journalistes d’Iwacu se rassemblent dans la cour intérieure du Groupe de presse Iwacu. Ils forment deux haies d’honneur devant le portrait géant de Jean Bigirimana, les reporters des autres médias burundais venus couvrir cette cérémonie se joignent spontanément à leurs confrères. Le moment est solennel. Et il y a ce silence, qui en dit long.
Le choix sera porté sur deux jeunes journalistes de la rédaction, un jeune homme et une jeune fille pour porter la couronne jusqu’au pied du portait géant de Jean Bigirimana accroché sur une façade de l’imprimerie du journal.
Après cette brève cérémonie de dépôt d’une gerbe de fleurs, suivi d’un recueillement, le directeur du Journal Iwacu, Léandre Sikuyavuga prend la parole : « Ce rassemblement est un devoir de mémoire pour Jean Bigirimana, collègue, ami et père de famille ».
Il fait savoir que c’est un moment de repenser à notre travail. « Il nous faut le reconnaître, nous faisons un travail difficile mais informer est un métier noble, une profession reconnue par la Constitution burundaise. Le journal Iwacu est reconnu par la loi et respecte la loi sur la presse, l’éthique et la déontologie du métier ».
A ces mots, quelques journalistes présents, lèvent les yeux vers le portrait de Jean, le fixent. Il y en a qui restent pensifs, d’autres, têtes baissées, semblent méditer, probablement qu’ils se posent beaucoup de questions. « Les Burundais ont besoin d’une presse libre, qui travaille sans injonction. Jean a payé le prix cher », dira Léandre Sikuyavuga, ému.
En ce moment, poursuit-il, nous pensons à nos collègues emprisonnés à Bubanza alors qu’ils ne faisaient que leur métier. « Nous appelons le gouvernement burundais à les libérer», lancera le directeur du Groupe de presse Iwacu. « Ils totalisent aujourd’hui 9 mois de détention à Bubanza, d’emprisonnement injuste. Au-delà de Jean, nous avons une pensée spéciale pour nos quatre journalistes emprisonnés depuis le 22 octobre 2109. Christine et Agnès étaient très proches de Jean », rappelle Léandre Sikuyavuga.
Le directeur des rédactions encouragera les journalistes à aimer leur métier. «C’est un métier noble. Nous sommes là pour informer, notre patron, c’est le peuple », précise-t-il.
Léandre Sikuyavuga aura aussi une pensée pour la famille de Jean Bigirimana. « Bien qu’elle soit en exil suite aux menaces incessantes reçues, nous pensons à son épouse et ses enfants. Nous leur disons qu’il faut rester courageux ».
Interrogé, Antoine Kaburahe, le fondateur du Groupe de Presse Iwacu, aujourd’hui en exil dit « avoir mal dormi ». Il a suivi les cérémonies via WhatsApp et Twitter. « C’est une date que je vis mal et la distance n’arrange rien », dit-il. « On se pose des questions, sans réponse forcément. La colère, la tristesse et l’espoir se mêlent car malgré tout je vois une équipe debout», fait savoir Antoine Kaburahe.
Pour lui,« voir des jeunes porter la gerbe de fleurs à Jean est très symbolique. C’est comme dire Jean, tu n’es pas mort pour rien, nous sommes là pour prendre la relève », fait-il remarquer.
D’après Antoine Kaburahe, malgré les menaces, la prison, les exils, la mort comme celle de Jean, 13 ans après, Iwacu est toujours debout. «Je n’ai pas peur, Iwacu survivra », conclut avec émotion le journaliste et écrivain burundais.
« C’est vraiment triste. Il m’est difficile de trouver les mots dans une telle situation. Son absence se remarque », souligne Rénovat Ndabashinze, journaliste à Iwacu et spécialisé dans les questions environnementales. Ce qui m’attriste davantage, confie-t-il, ce sont ses deux fils qui se demandent toujours où se trouve leur papa, comme ces orphelins de 1972 qui ont vu leur papa partir sans retour. « Je leur dit, courage les garçons. Le mal n’aura jamais le dernier mot encore moins le dessus sur le bien ».
Pour Jérémie Misago, qui rejoint le Journal Iwacu en 2018, la disparition de Jean Bigirimana doublée de l’emprisonnement injuste de nos collègues à Bubanza lui fait peur. « En tant que jeune journaliste, il m’arrive de penser que je peux vivre ce genre de scénario mais je m’accroche et reste déterminé car la vérité et la justice finiront par régner. »
Chaque jour, dit Abbas Mbazumutima, directeur adjoint du Journal Iwacu, ce regard perçant de Jean semble m’interroger, m’interpeller. « Il me parle chaque fois que je le fixe droit dans les yeux. C’est une source d’inspiration. Il m’appelle à ne pas baisser la garde, à continuer à me battre pour la liberté de la presse au Burundi ». Jean Bigirimana disparaît dans l’après-midi de vendredi 22 juillet 2016 à Bugarama dans la province de Muramvya alors qu’il tente de répondre à un rendez-vous d’un certain Abel Ahishakiye qui vient de lui faire un coup de fil. Ce dernier disparaît par après quand les journalistes d’Iwacu essayent d’entrer en contact avec lui.
Quelques semaines après l’enlèvement de Jean Bigirimana, ses collègues effectueront des recherches dans la région de Bugarama, en province Muramvya. Des informations font état de deux corps sans vie flottant sur les eaux de la Mubarazi. Effectivement, deux corps sans vie dont l’un décapité seront par après repêchés dans cette rivière.
Le journal Iwacu adressera une demande d’un test ADN à la Commission nationale indépendante des droits de l’Homme. Toutefois, la police indique par la suite que le journaliste Jean ne fait pas partie des deux corps retrouvés dans cette rivière.
Iwacu portera plainte contre X. « Iwacu a fait des enquêtes et porté plainte. Nous attendons toujours la réponse », dira le directeur du Journal Iwacu.