Mardi 17 septembre 2024

Politique

Burundi : L’histoire d’une démocratie marquée par des échecs

Burundi : L’histoire d’une démocratie marquée par des échecs
Siège du forum des partis politiques, la plupart des drapeaux sont en lambeaux et certains mâts sans drapeaux

Le 15 septembre de chaque année, le monde célèbre la Journée internationale de la démocratie. C’est l’occasion de revenir sur l’histoire, l’état, les défis et les solutions concernant ce système politique, notamment pour le Burundi. Le Burundi, comme beaucoup d’autres nations, s’efforce d’instaurer une démocratie stable et fonctionnelle. Pourtant, son histoire politique, marquée par des périodes de monopartisme, de coups d’État et de guerres civiles, témoigne d’une trajectoire semée d’embûches.

La démocratie, souvent définie comme le gouvernement du peuple par le peuple, selon les mots du 16e président des États-Unis Abraham Lincoln, implique la tenue d’élections libres et équitables. C’est pourquoi même les régimes autoritaires prétendent à une forme de légitimité démocratique, comme le montre l’exemple de la Corée du Nord, où une opposition quasi inexistante a tout de même obtenu 0,13 % des voix lors des élections en 2023, un fait inédit en 60 ans de dictature.

Au Burundi, les premières élections multipartites ont eu lieu en 1961, avant même l’indépendance officielle du pays en 1962. Le pays se distingue alors par une pluralité de partis, dont l’Union pour le Progrès National (UPRONA), dirigée par le prince Louis Rwagasore, et le Parti Démocrate-Chrétien (PDC), son principal rival. Cette compétition démocratique aboutit à la victoire de l’UPRONA le 18 septembre 1961, ouvrant la voie à l’indépendance. Cependant, l’assassinat de Rwagasore, orchestré par Jean Kageorgis en collusion avec des leaders du PDC, dont Birori et Ntindenderereza, plonge le pays dans l’instabilité.

Après l’indépendance, le paysage politique burundais est dominé par l’UPRONA, qui s’impose comme parti unique après l’assassinat des figures du PDC impliquées dans la mort de Rwagasore. En 1966, quelques jours avant son renversement, le roi Ntare V signe un arrêté royal instaurant l’UPRONA comme parti unique. Cet arrêté royal affirme que « le parti unique s’identifie en définitive avec la Nation et qu’il est par conséquent la forme la plus authentique de la démocratie ». Cette période de monopartisme, qui perdure sous les trois premières Républiques, renforce la mainmise de l’UPRONA sur le pouvoir et limite les droits politiques et les libertés fondamentales.

Le Burundi ne parviendra à sortir de cette ère de monopartisme qu’en 1992, après le sommet France-Afrique de la Baule qui conditionne l’aide au développement à la transition démocratique.

Comme corollaire, il y aura adoption d’une nouvelle Constitution stipulant dans son article 53 que « le multipartisme est reconnu en République du Burundi ».

Ce tournant démocratique est le fruit d’un référendum qui marque la fin de 26 années de monopartisme. Cette réforme permet la formation de nouveaux partis politiques, parmi lesquels le Front pour la Démocratie au Burundi (Sahwanya-FRODEBU), qui remporte les élections de 1993.

Un retour à la case départ

Les toutes premières élections au Burundi

L’élection de Melchior Ndadaye en 1993, premier président élu démocratiquement, marque un espoir de renouveau démocratique pour le Burundi. Toutefois, cet espoir est rapidement anéanti lorsque Ndadaye est assassiné trois mois après son élection, plongeant le pays dans une guerre civile.
Les mouvements rebelles, dont le Conseil National pour la Défense de la Démocratie (CNDD), prennent les armes pour combattre l’armée, dominée par l’ethnie tutsie, afin de restaurer la démocratie. Du CNDD naîtra plus tard le CNDD-FDD, parti au pouvoir aujourd’hui. La guerre civile burundaise, qui dure plus d’une décennie, fait environ 300 000 morts et provoque le déplacement de 800 000 personnes vers les pays voisins.

En 2005, le Burundi organise à nouveau des élections multipartites, après les Accords de paix d’Arusha et la fin officielle de la guerre civile. Le CNDD-FDD, dirigé par l’ancien rebelle Pierre Nkurunziza, remporte ces élections, amorçant ainsi une nouvelle ère politique. Depuis lors, le CNDD-FDD a gagné toutes les élections organisées au Burundi, mais ces victoires sont systématiquement contestées par l’opposition, qui dénonce des fraudes électorales et un manque de transparence. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme au Burundi a souvent critiqué l’absence de pluralisme politique réel dans le pays dans ses rapports.

Le CNDD-FDD, bien qu’opérant dans un cadre formellement multipartite, exerce un contrôle étroit sur les institutions de l’État, ce qui perpétue de fait une forme de monopartisme déguisé. Les élections, bien que tenues régulièrement, ne répondent pas toujours aux normes de transparence et de liberté que requiert un système véritablement démocratique.

L’état actuel de la démocratie au Burundi suscite de vifs débats, tant parmi les politiciens que les membres de la société civile. Agathon Rwasa, l’un des leaders de l’opposition, critique ouvertement la gouvernance du CNDD-FDD, le parti au pouvoir.

Selon lui, « l’évaluation de l’état des lieux de la démocratie nous offre une image d’un pays aux antipodes de la démocratie ». Pour M. Rwasa, le pouvoir en place impose une gestion totalitaire qui érode progressivement les principes démocratiques fondamentaux. « Le droit d’opinion est devenu plutôt un délit, et le respect des lois – à commencer par la Constitution – par les gouvernants, de la base au sommet, est quasi absent », déplore-t-il. Il attaque également l’état de la gouvernance qu’il juge gravement défaillant : « La gouvernance, en tous ses aspects, est très mal en point », ajoute-t-il, soulignant au passage que la justice n’est plus qu’un mirage pour les citoyens. « La justice est une véritable chimère, les droits de l’homme se disent sur le bout des lèvres et on s’en moque dans le vécu des citoyens ».

La question des élections, qui devraient normalement être un pilier de la démocratie, est également au centre de ses critiques. Rwasa affirme que « les élections ne sont qu’une mascarade dès lors que l’on se moque de l’expression des électeurs », en accusant le CNDD-FDD de manipuler les processus électoraux. Selon lui, la solution réside entre les mains du peuple burundais. « Il ne faut plus, pour certains fanatiques du CNDD-FDD, pactiser avec les prédateurs de nos droits, et pour les autres, serrer les coudes et faire obstacle aux velléités de fraude et de hold-up électoraux », a-t-il conclu.

L’Honorable Rwasa, figure de proue de l’opposition burundaise, continue ainsi de s’affirmer comme l’une des voix les plus critiques envers le régime en place, appelant à une véritable mobilisation citoyenne pour la défense de la démocratie et des libertés au Burundi.

La séparation des pouvoirs au Burundi n’est pas une réalité

Aloys Baricako, président du Rassemblement National pour le Changement (RANAC), partage cette analyse en dressant lui aussi un bilan préoccupant de la démocratie au Burundi. Bien que le pays compte de nombreux partis politiques, Baricako estime que « l’espace politique, à la base, est verrouillé ». Il met en lumière le fait que les autorités locales, notamment les chefs de colline, ne comprennent pas les principes démocratiques et peinent à accepter la coexistence pacifique entre les partis.

La séparation des pouvoirs, élément fondamental de toute démocratie, est également mise en cause par Baricako. « La séparation des pouvoirs au Burundi n’est pas une réalité », déclare-t-il, critiquant le fait que l’exécutif domine aussi bien le législatif que le judiciaire. Il remarque avec ironie que « je n’ai jamais vu au Burundi une loi initiée par le Parlement », une institution qui, au lieu de jouer son rôle de contre-pouvoir, soutient le gouvernement. De plus, Baricako déplore la dépendance de la Justice envers le pouvoir exécutif, ce qui nuit gravement à son indépendance.

Selon lui, la démocratie n’a pas eu le temps de s’enraciner profondément dans la société burundaise. Elle a été imposée « d’une façon précipitée et sans éducation », un contexte qui empêche son plein épanouissement. Il souligne que les partis au pouvoir s’efforcent de maintenir une mainmise sur la population, craignant que celle-ci ne s’habitue à des opinions divergentes, ce qui pourrait menacer leur autorité. Pour sortir de cette impasse, Baricako propose d’encourager la discussion sur la démocratie, estimant qu’en la vulgarisant, « on pourra aller de l’avant et atteindre un résultat palpable ».

Pour sa part, Gaspard Kobako, président de l’Alliance Nationale pour la Démocratie (AND), constate que malgré la présence du multipartisme, les libertés politiques restent fortement entravées pour ceux qui ne sont pas au pouvoir. Il cite comme exemples les « violences politiques, les intimidations, les disparitions forcées, et les emprisonnements arbitraires », des réalités qui freinent l’expression démocratique au Burundi. Le climat de peur qui règne dans le pays, où « le peuple a peur de s’exprimer », constitue un obstacle majeur à la liberté d’expression.

Kobako note cependant quelques signes d’amélioration, notamment la réouverture de certaines radios et la libération de journalistes emprisonnés. Il y voit une « lueur d’espoir », tout en soulignant que la pauvreté continue de freiner l’épanouissement de la démocratie. En effet, selon lui, « le développement va de pair avec la démocratie », et la persistance de la misère empêche la population de s’impliquer pleinement dans la vie politique. Face à ces défis, Kobako appelle à un rétablissement des droits humains, ainsi qu’à la promotion d’une bonne gouvernance. Il met l’accent sur la lutte contre la corruption et le détournement de fonds publics, ainsi que sur l’éducation des jeunes, souvent instrumentalisés par les partis politiques à des fins violentes. Pour lui, « une justice, même répressive, reste un pilier fondamental » sans lequel la démocratie ne peut exister.

La vision des sociétés civiles sur l’état de la démocratie

Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de Lutte contre la Corruption et les Malversations Économiques (OLUCOME), estime quant à lui que la démocratie au Burundi est encore à un stade très embryonnaire. Il attribue une note de « 30 % » à l’état actuel de la démocratie, en raison de l’absence de redevabilité et de transparence. Il souligne que le pays a encore beaucoup à faire pour instaurer une véritable démocratie.

Selon lui, « un parti politique, qu’il soit au pouvoir aujourd’hui, hier ou demain, risque de se confondre avec la nation si rien ne change ». Rufyiri identifie plusieurs piliers nécessaires au développement d’une démocratie véritable : la redevabilité des autorités, un Parlement qui contrôle effectivement l’action gouvernementale, une presse libre, la société civile, qui doit être responsable et au service du peuple ainsi qu’une justice indépendante. Il insiste particulièrement sur la nécessité de garantir la liberté d’expression et de créer un environnement propice au débat. Pour lui, les élections doivent être « libres, transparentes, crédibles et acceptables » pour que la démocratie ait un sens.

Actuellement, il estime que « nous avons des élections un peu théoriques, nous avons des médias qui ne fonctionnent pas normalement », ce qui maintient la démocratie à un état embryonnaire. Il demeure optimiste en affirmant que, « peut-être demain, on pourra avoir de la démocratie », si des efforts continus sont fournis.

Gabriel Rufyiri appelle à des réformes profondes pour améliorer la situation actuelle. « Ceux qui prétendent diriger doivent mettre en tête que le citoyen est souverain », affirme-t-il, tout en soulignant que le développement et l’équité sociale doivent être des priorités.

Vianney Ndayisaba, coordinateur de l’Association de Lutte contre le Chômage et la Torture (ALCHOTO), attribue une note de 40 % à l’application des principes démocratiques au Burundi. Il rejoint l’analyse de Rufyiri en affirmant que « la démocratie, c’est la justice pour tous, personne ne doit être au-dessus de la loi, et la corruption ne doit pas exister ».

Cependant, il déplore les nombreuses injustices qui persistent dans le pays, notamment les incarcérations prolongées malgré la fin des peines. Pour lui, « des généraux, des hommes riches et des autorités peuvent s’approprier les biens des orphelins et des veuves », ce qui montre l’étendue des inégalités au Burundi. Pour que la démocratie puisse vraiment s’épanouir au Burundi, Ndayisaba appelle à une indépendance totale des organisations de la société civile et des médias.

« Pour que la démocratie soit réelle, il faut que la société civile et les médias soient indépendants et libres », conclut-il.

Un regard contrasté sur l’état de la démocratie

Hamza Venant Burikukiye, représentant du CAPES+, offre une vision plus optimiste de la démocratie au Burundi. Selon lui, « la démocratie est bien installée » malgré les défis, et il met en avant la pluralité des partis politiques ainsi que le renouvellement régulier des institutions par des élections. Cependant, il admet l’existence de « partis politiques qui ne sont que sur papier et d’une presse parfois dévoyée ». La solution, selon lui, réside dans « le respect des lois, de l’autorité et le maintien de la bonne gouvernance ».

La démocratie burundaise fait face à des défis importants. Si certains perçoivent des signes d’espoir, la plupart des acteurs politiques et civiques estiment qu’une réforme en profondeur est nécessaire pour assurer la transparence, la justice et la protection des libertés fondamentales. Le Burundi compte 35 partis politiques officiellement enregistrés, bien que la majorité soit peu connue.

Par exemple, connaissez-vous le Parti pour la Promotion et la Solidarité des Masses Laborieuses (PML-Abanyamwete), le Parti pour l’Indépendance Économique du Burundi (PIEBU-Abanyeshaka) ou encore le Mouvement des Patriotes Humanistes (MPH) ? Probablement pas.

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