Jeudi 30 janvier 2025

Politique

Burundi : Le colonialisme sous le feu des critiques, un passé qui ne passe pas

29/01/2025 0
Burundi : Le colonialisme sous le feu des critiques, un passé qui ne passe pas
Emmanuel Sinzohagera : « Le virus de l’ethnicité laissé par la colonisation est toujours présent »

Un rapport du Sénat burundais dénonce l’héritage de la colonisation allemande et belge, pointant les racines ethniques des conflits actuels. Alors que les archives se retrouvent déclassifiés et que les témoignages fusent, le pays appelle à une réconciliation urgente pour libérer les générations futures du poids d’un passé non résolu.

« Depuis l’indépendance du Burundi jusqu’en 1993, les Burundais n’ont pas pleinement vécu leur indépendance. Les colonisateurs sont restés omniprésents. Le virus de l’ethnicité qu’ils nous ont laissé est toujours présent, comme en témoigne les évènements de 2015 », a déclaré le président du sénat Emmanuel Sinzohagera, ce mardi 28 janvier, lors de la présentation par le Sénat d’un rapport sur les résultats relatifs à la période coloniale allemande et à la réforme administrative de 1925.

Le rapport accuse sans détour les puissances coloniales d’avoir institutionnalisé la marginalisation des Hutu, des femmes et des Batwa, créant une administration fondée sur des clivages ethniques.

Pour le doctorant Aloys Batungwanayo, le traité de Kiganda signé sous la contrainte par le roi Mwezi Gisabo après sa défaite face aux Allemands ressemble davantage à un « procès » qu’à un accord diplomatique, avec des « amendes » punitives imposant une domination totale.
Selon lui, la réorganisation administrative de 1925 excluait les Hutu, les femmes et les Batwa dans l’administration burundaise, « l’origine des identités meurtrières sur fond ethnique ».

Le Dr Jean-Baptiste Bukuru, spécialiste en droit international et auteur d’une étude juridique approfondie sur ce sujet, a fait savoir que « la colonisation du Burundi s’est caractérisée par des massacres, des crimes contre l’humanité et un génocide. Lors des attaques perpétrées contre la population burundaise, aucune distinction n’a été faite entre civils et militaires. Ces atrocités incluaient également des viols ».

Cependant, ce spécialiste a mis en garde contre le risque de voir ces crimes rester non reconnus officiellement, évoquant le principe d’intertemporalité : « A l’époque de la colonisation, ces actes n’étaient pas illégaux au regard du droit international ».

« Il faut conclure, les jeunes nous observent »

L’ancien chef de l’État Sylvestre Ntibantunganya a réagi aux travaux présentés sur la période coloniale allemande, insistant sur la nécessité d’une ’’approche coordonnée et apaisée’’ de l’histoire partagée avec l’Allemagne et la Belgique.
« Cette initiative du Sénat est très importante dans un pays comme le nôtre, confronté aux besoins d’une bonne lecture de son passé. Un passé que nous partageons avec des pays comme la Belgique ou l’Allemagne », a-t-il souligné, appelant à une collaboration trilatérale.
« Le Burundi a besoin d’une recherche approfondie, à travers nos universités. Il serait bien d’organiser des programmes avec des universités allemandes et belges pour aborder ce passé de manière objective, pas émotionnelle. Nous devons le dominer, en reconnaître les faits, mais avec la volonté commune de regarder vers l’avant ».

Évoquant les défis mémoriels, l’ancien chef d’Etat, Sylvestre Ntibantunganya a insisté sur l’urgence d’avancer : « La Commission Vérité et Réconciliation (CVR) doit accélérer ses travaux. S’ils tardent, je recommanderais que tout soit fait pour les achever cette année. C’est une année cruciale, stratégique pour la vision 2040-2060. Nous ne pouvons pas laisser les générations futures hériter de nos non-dits ».

Critiquant les débats ’’interminables’’ sur les crises de 1972 et de 1988, le président Ntibantunganya a demandé d’accélérer le pas : « Il faut conclure. Ce n’est pas bon de ne pas conclure. Les jeunes, qui porteront cette vision, sont étrangers à ces périodes douloureuses ».

Un jour, raconte l’ancien sénateur Ntibantunganya, une jeune burundaise m’a posé une question de savoir pourquoi nous les anciens, avons peur de liquider le passé objectivement. « Voulez-vous nous léguer ce fardeau ? »

Saluant l’initiative du président du Sénat, M. Emmanuel Sinzohagera, il a lancé un appel : « Il faut pousser tous les acteurs à accélérer pour aboutir à des conclusions, pas nécessairement définitives, mais claires. L’Allemagne étudie toujours ce passé, mais l’État burundais doit avoir une position officielle. Évitons les parcours désordonnés avec tous les risques de désorientation ».

Dans son intervention, l’ambassadeur du Royaume de Belgique au Burundi, Michael Wimmer, a rappelé l’importance d’aborder l’histoire avec ouverture et humilité, soulignant qu’il ne revenait pas à la Belgique de « donner des leçons » sur ces questions.

Ce diplomate a insisté sur la nécessité de reconnaître l’impact de la colonisation sur le Burundi : « La période coloniale, quasi-coloniale, puisqu’on parle d’un terme tutélaire, a transformé le Burundi. Il y a une partie du Burundi qui a un héritage belge, donc il est important de bien connaître cet héritage, de savoir ce qu’il y a, mais aussi de connaître la valeur de ce qu’il y avait avant ».

L’ambassadeur Wimmer a également salué les travaux qui mettent en lumière non seulement ce que la colonisation a apporté, mais aussi ce qu’elle a détruit, notamment dans les domaines : médicinal, culturel et anthropologique.

Fidèle à la volonté belge de transparence, ce diplomate a assuré que les efforts pour rendre accessibles les archives se poursuivraient. « Nous avons une volonté de regarder l’Histoire, non seulement par nos yeux, mais aussi par ceux des Burundais, par les yeux des Africains ».

Enfin, l’ambassadeur du Royaume de Belgique au Burundi en appelle à un dialogue sans tabou pour mieux comprendre cette histoire commune et préparer l’avenir : « Nous sommes ouverts au débat, revisiter l’Histoire et, comme disait M. le président du Sénat, construire ensemble un avenir commun meilleur ».

Le Sénat du Burundi a formulé des recommandations importantes à l’encontre de plusieurs entités. Il a notamment demandé à l’Église catholique de présenter « des excuses officielles « au peuple Burundais pour les torts causés et de mettre en œuvre des actions de réparation.

Par ailleurs, le Sénat Burundais exige de l’Allemagne qu’elle reconnaisse officiellement les crimes commis contre les Burundais et qu’elle apporte une contribution substantielle à la reconstruction du pays, notamment en finançant des projets d’infrastructures tels que des hôpitaux et des écoles.

En ce qui concerne le Royaume de Belgique, le Sénat demande la co-organisation de forums internationaux visant à déconstruire les discours ethnicistes et à trouver des solutions durables pour les régions de Bugufi et Buha, cédées à la Tanzanie durant la période de la colonisation.

Le Sénat réclame également une compensation financière pour les injustices subies par les Burundais dans ces régions et d’enseigner l’histoire coloniale en Belgique d’une manière générale.

Le président du Sénat a mis en garde certains Burundais qui, ’’s’inspirant des pratiques coloniales, pourraient chercher à discréditer ce rapport élaboré par des Burundais, pour des ’’motifs politiques et ethniques’’. Il a exhorté les Burundais à reconnaître la capacité du Burundi à résoudre ses propres problèmes.

De nombreuses personnalités, issues des milieux religieux, administratif, sécuritaire et diplomatique, ainsi que des sénateurs, ont pris part à ces échanges.

Charte des utilisateurs des forums d'Iwacu

Merci de prendre connaissances de nos règles d'usage avant de publier un commentaire.

Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes, antisémites, diffamatoires ou injurieux, appelant à des divisions ethniques ou régionalistes, divulguant des informations relatives à la vie privée d’une personne, utilisant des œuvres protégées par les droits d’auteur (textes, photos, vidéos…) sans mentionner la source.

Iwacu se réserve le droit de supprimer tout commentaire susceptible de contrevenir à la présente charte, ainsi que tout commentaire hors-sujet, répété plusieurs fois, promotionnel ou grossier. Par ailleurs, tout commentaire écrit en lettres capitales sera supprimé d’office.

Ajouter un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.

Editorial de la semaine

Pour un processus électoral inclusif

L’opposition est vent debout contre la Commission électorale nationale indépendante, Ceni. « Elle n’a pas voulu coopérer, elle n’a pas été flexible ». Des griefs, des lamentations envers cette institution ayant pour mission l’organisation, le contrôle et la supervision des (…)

Online Users

Total 1 760 users online