Vivant de l’agriculture de subsistance, de l’élevage et de quelques échanges avec les peuples voisins, les Burundais qui avaient développé des formes d’entraide, sont obligés avec la colonisation d’affronter de nouveaux défis.
Rien ne prédestinait le Burundi aux grands changements socioéconomiques survenus avec l’arrivée de l’homme blanc. Chaque famille produisait et parvenait à subvenir plus ou moins à ses besoins. Sinon elle ne pouvait compter que sur la communauté.
L’historien Melchior Mukuri, professeur d’université depuis 1990, affirme que les Burundais étaient solidaires : « Il y avait une pratique ou un esprit de travailler ensemble appelé ’’Ikibiri’’ qui renforçait cette solidarité. »
Selon lui, s’entraider suppose une certaine entente : « Des gens volaient au secours de celui qui n’avait pas encore cultivé ses terres avant que la saison culturale ne prenne fin. Cela contribuait à développer l’agriculture et à tisser les bonnes relations entre les gens. »
Les prémices de ce que seront quelques décennies plus tard les coopératives sont là. Cette activité économique est en symbiose avec une action sociale. Apollinaire Nsambirubusa, 75 ans, une parenté de Bishinga, un chef de la région de Ngozi, témoigne : « Les Blancs sont arrivés au moment où beaucoup de Burundais vivaient essentiellement de l’élevage et de l’agriculture. La terre était encore très fertile. »
Si une personne ne possédait pas tel bien, explique-t-il, elle l’échangeait avec les autres qui en avaient, c’était le troc. « Celui qui voulait du sorgho l’échangeait avec le haricot ou le petit pois ou bien celui qui voulait le maïs l’échangeait avec du haricot ou un régime de banane.»
Le temps du troc
Quand j’étais jeune, se rappelle Apollinaire Nsambirubusa, je ne comprenais pas grand-chose en matière d’économie parce que celui qui n’avait pas de grande propriété ou beaucoup de vaches était déconsidéré. Celui qui n’avait pas de bien à échanger avec un autre, raconte-t-il, allait travailler pour les grands propriétaires terriens et il recevait sa rétribution en nature, soit un régime de banane ou du haricot.
Selon l’historien Melchior Mukuri, les Burundais utilisaient leurs produits et ils les échangeaient avec les peuples des régions avoisinantes : « Les gens du Mugamba descendaient de leurs montagnes pour échanger leurs biens avec ceux de l’Imbo ou bien avec ceux du Kirimiro. Il y a par exemple le manioc qui ne poussait pas dans le Mugamba. Ou bien les gens du Mugamba allaient échanger le petit-pois et le sorgho. »
Il y a des produits qui venaient du Buha en Tanzanie ou du Congo comme les bracelets en cuivre très prisés appelés ’’Imiringa’’. Il y avait également des colliers appelés ’’Ubuna’’ provenant de la Tanzanie.
L’autre activité commerciale des Burundais, c’était la recherche du sel en provenance d’Uvinza ou du Buha en Tanzanie. D’après le professeur Mukuri, il était apporté dans ce qu’on appelait ’’Ibishiga’’, des blocs de sel emballés dans des gaines sèches du faux-tronc de bananier.
Des ’’chaînes’’ de solidarité
Selon Apollinaire Nsambirubusa, septuagénaire, quand telle personne voulait une vache ou un lopin de terre, il préparait une bonne cruche de vin de banane et adressait sa demande à un chef Ganwa ou à un grand propriétaire terrien, d’où la naissance de la pratique de servage appelée ’’Ubugererwa’’ : « Le bénéficiaire devait en revanche travailler pour son ’’maître’’ ».
Mais il y avait une sorte de chaînes de solidarité comme l’explique le professeur Mukuri : « Une personne pouvait faire un cadeau à quelqu’un et ils devenaient par la suite amis. Il y a des services dont il s’acquittait pour le compte de son bienfaiteur. Il s’agit de la pratique appelée ’’Ubugabire’’. » La première génisse de la vache offerte revenait par exemple au donateur.
Selon cet historien, ce système a permis aux gens de s’entraider, bien qu’il y ait des critiques que c’était une forme d’exploitation : « Mais ceux qui posaient des problèmes, ce sont des gens démunis sans terres appelés ’’Abashumba’’. Ils vivaient en travaillant pour un grand propriétaire terrien et ce dernier assurait ensuite leur survie. »
Comme l’affirme toujours ce professeur d’université, l’administration avait une grande importance dans l’économie du pays : « Ils garantissaient la sécurité. Sans sécurité dans le pays, tout va mal. Et ce n’est pas tout, autrefois personne ne pouvait semer avant que le roi ne donne son aval lors de la fête nationale des semailles appelée ’’Umuganuro’’, célébrée au mois de décembre. »
Mais par contre, nuance-t-il, à la mort du roi, le peuple observait un deuil assez long : « Et tout ce temps d’inactivité entraînait une baisse de la production avec le risque d’une famine. »
Et l’argent ouvrit une nouvelle ère économique
Sur les rives du lac Tanganyika, les premiers trafiquants apportent la ’’pesa’’ mais les rayons de perles ou de cauris servent aussi dans les échanges. C’est en 1904 que le Heller allemand que les Burundais baptiseront ’’Amahera’’, équivalant à un centième de roupie est introduit. Il remplace les perles, les coquillages et les houes utilisés dans les échanges. Mais l’arrière-pays ignore cette nouveauté qui reste dans les tous premiers centres de négoce.
Quand l’argent a été introduit, explique Apollinaire Nsambirubusa, les Burundais ne connaissaient pas leur utilité, certains croyaient que c’étaient des sortes de grigris : « Les Blancs ont vite introduit des produits qu’ils pouvaient acheter avec cet argent comme le sel, les habits et les allumettes, les lames de rasoirs,…»
Et d’ajouter : « D’ailleurs l’argent a été introduit au même moment que le café. Il n’y avait pas d’autres produits qui pouvaient procurer de l’argent dans le pays à part le café. » Selon ce septuagénaire, les ’’magasins’’ se sont alors multipliés pour le commerce de ces nouveau produits.
Jusqu’en 1923, la monnaie allemande circule toujours mais la tutelle belge fait savoir que le heller et la roupie ne seront plus reconnues dans les transactions commerciales. Ils sont désormais remplacés par le franc congolais dans toutes les possessions belges.
En 1921, une agence de la Banque du Congo belge ouvre à Usumbura pour pourvoir tout le territoire. La pièce de 5 francs, ’’Ikingorongoro’’ de même que ses sous-unités : ’’Imeya’’, 50 centimes et ’’Isenge’’, 20 centimes et ’’Ikuta’’, 10 centimes apparaissent.
Au début, explique l’historien Mukuri, la monnaie sert pour le paiement de l’impôt de capitation : « Les Blancs avaient en tête que les Burundais étaient paresseux, il fallait alors leur faire payer l’impôt. A la période monarchique, il y avait une autre forme d’impôt comme les vaches offertes au chef ou quelques jours de travail dans les propriétés du roi ou du Ganwa. »
D’après ce professeur d’université, celui qui ne gagnait pas assez d’argent pour payer l’impôt, fuyait vers «Manamba» dans la région d’Arusha en Tanzanie ou en Ouganda pour travailler dans les plantations de sisal et de canne à sucre : «Après avoir fait quelques économies, ils rentraient pour payer l’impôt. Ils se sont alors habitués petit à petit à l’usage de l’argent. »A cette époque, se souvient Apollinaire Nsambirubusa, ceux qui revenaient de ’’Manamba’’ étaient riches, ils portaient de belles chaussures qu’on appelait ’’Novu’’, de belles chemises et de belles culottes ainsi qu’une lampe-tempête dans la main. Cela est resté dans ma mémoire. » Selon lui, le travail rémunéré des lauréats d’Astrida et le petit commerce ont contribué à faire circuler l’argent.
Mais il y avait un problème comme le souligne l’homme d’affaire Jean-Baptiste Simbare, 80 ans, connu pour sa boulangerie même s’il a débuté en 1969 dans la fourniture de matériaux de construction: « Seuls les Grecs et les Arabes pouvaient faire le commerce. Quelques Burundais s’essayaient au petit commerce vers 1953 dans ce qu’on appelait ’’centres de négoce’’. » Mais en général, explique-t-il, le commerce était monopolisé par des étrangers : « Nous les Burundais, fils de cultivateurs ou d’éleveurs, on n’y connaissait rien. Cela n’était pas dans notre culture.»
Bonjour à tous,
Pour qui connaît Charles NIHANGAZA, faites-lui savoir que je le recherche car, alors qu’il était jeune conseiller aux Impôts de Bujumbura, j’étais Conseiller technique au Ministère des Finances du Burundi, j’ai pu ainsi collaborer un certain temps avec lui et je me rappelle d’un homme charmant. Qu’il me contacte sur [email protected]
Merci à tous.
Je suis grand fan de la microfinance. Au Burundi, elle avance sans faire du bruit, mais fait bien ce qu’on attend d’elle: elle contribue à la réduction de la pauvreté! Allez voir le nombre de membres du RIM , le réseau burundais des institutions de la microfinance (IMF), et vous aurez un beau tableau de ce secteur au Burundi. Evidemment, il leur faut des moyens (ressources financières – capitaux) pour prêter davantage. Ce n’est pas du bénévolat, mais de l’entrepreneuriat social, tout ce qu’il y a de plus noble dans le business (le social business) – lorsque la gestion est soutenue par une bonne gouvernance. Si la foule (nous) se mettait à investir dans des IMF (ce qu’on appelle Crowdfunding), ce serait une belle victoire contre la précarité… Je pourrai en parler pendant des heures, mais il faut plutôt agir… en étant bénévole dans une IMF par exemple!
Je vous souhaite une belle journée!
Ah oui la paresse! C’est entre autres le nœud du problème burundais: certains veulent bien vivre sans travailler. Il y a en qui ont en tête que certains doivent vivre en maîtres et d’autres en esclaves. C’est cette attitude qui a empêché le Burundi de se développer. En moins de 10 ans on a construit des infrastructures sociales qu’on a jamais construit depuis que le Burundi est Burundi. Bravo les travailleurs.
Ceux qui rêvent encore le temps de passer toute la vie à kunehuka au lieu de se bouger, ce sont ceux-là qui provoquent les catastrophes parce qu’ils remarquent que tant qu’ils n’ont pas des esclaves sous leur commandement l’avenir n’est pas certains pour eux.
Je salue le courage du paysan burundais qui avec sa simple houe arrive à faire nourrir autant de bouches. Malheureusement, par manque d’intelligence de ceux qui ont exploité le paysan, on a jamais pensé à améliorer cette houe qui fait vivre toute une nation.
Bref tous les Burundais ne sont pas paresseux, certains oui.
Comme tu viens de le dire, la paresse et vivre sur le dos des autres sont des fléaux qu’il faut erradiquer. Beaucoup de maisons construites avec l’argent volé du contribuable. Quelles sont ces infrastructures sociales dont tu parles? Est ce que ce serait les terrains de football?
Les coopératives et les microfinances pourraient faire mieux marcher l’économie du Burundi mais je me demande si nous sommes mentalement-socialement préparés au commerce! Si les Bengalis ont reussi avec le systéme du Grameen Bank, ce n’est pas sûr que le Burundais moyen est prêt maintenant.
Mon hypoththèse pour faire démarrer la croissance économique intégrée à partir des communautés de base au Burundi est d’abord d’éduquer la conscience du peuple sur certains faits entre autres: la compréhension de l’esprit de solidarité sociale doit être réanalysée de fonds en comble( ie. les dépenses faites pour les évenements sociaux: mort/mariage/fêtes sociales…)
Dois-je exiger aux amis, membres de la famille etc à ce qu’ils couvrent les dépenses de mes cérémonies sans que je paie???
Est-ce normal que je continue à considérer la poche, les champs, le patrimoine des voisins et des parentés comme en partie miens??? Que je peux continuer á éduques mes enfants aux frais des connaissances parce qu’elles sont plus nantis que moi?
Cet esprit ne marche pas avec un esprit de criossance basée sur les échanges, le business…
Aie-je tort?
« D’après Charles Nihangaza, économiste, le fait que les microfinances n’ont pas le droit d’octroyer des crédits à long terme ou dans certains secteurs comme le logement, est problème « .
Les microfinances étant des alternatives aux banques, elles n’ont ni la mission, ni la capacité de donner des gros crédits ou des crédits à long terme. Je n’ai pas le temps d’entrer dans l’analyse détaillée!
Note: C.Nihangaza est un juriste spécialiste en fiscalité.
1. L’historien Melchior Mukuri: « Les blancs avaient en tete que les burundais etaient paresseux, il fallait alors leur faire payer l’impot »
J’aimerais savoir si a la metropole, les belges eux-memes payaient l’impot a leur Etat belge tout simplement « parce qu’ils etaient paresseux ».
2. Charles Nihangaza, economiste:
a. « Malgre leur presence, elles (les microfinances) ne concourent pas reellement au developpement du pays ».
Peut-etre qu’il n’y a pas assez d’encadrement et de suivi surtout avec le niveau d’alphabetisation qui est tres bas au Burundi.
Au Bangladesh, le professeur Muhammad Yunus qui a cree Crameen Bank est appele « Banquier des pauvre » et il a eu le prix Nobel de paix en 2006 pour son idee innovatrice (de microcredit pour le developpement).
b. « Les microfinances n’ont pas le droit d’octroyer des credits a long terme ou dans certains secteurs comme le logement… ».
Le mot meme « micro » veut dire tres petit. Comment est-ce que l’on peut echelonner une « petite somme » d’environ 50 dollars a long terme?
Le probleme du logement est tres serieux et nulle part au monde ou l’on a pu le resoudre avec des microcredits.
Merci.