Par *Amilcar Ryumeko
Le 5 octobre 2019, dans la première partie de cette chronique, j’ai démontré à l’aide du dernier rapport de la Commission d’enquête des Nations Unies sur le Burundi (Commission) qu’il y a présence des 8 facteurs de risque communs à tous les crimes. Dans cette deuxième partie de cette chronique, je démontrerai qu’il y a la présence, au Burundi, des facteurs de risque spécifiques correspondant aux crimes contre l’humanité.
La définition de crimes contre l’humanité est codifiée à l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale comme étant des actes tels que la disparition forcée de personnes, la persécution d’un groupe identifiable pour des motifs d’ordre politique, le meurtre, l’emprisonnement, la torture, le viol ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, la persécution et tous autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale sont commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque.
Selon le Cadre d’analyse des atrocités criminelles (Cadre), « les crimes contre l’humanité doivent résulter d’une politique d’un État ou d’une organisation consistant à perpétrer une attaque ». Ledit Cadre précise que « le plan ou la politique ne doit pas nécessairement être explicitement stipulé ou officiellement adopté et peut, de ce fait, être déduit compte tenu de l’ensemble des circonstances ».
De plus, le Cadre nous informe que « les crimes contre l’humanité impliquent soit une violence à grande échelle (élément quantitatif), soit une forme de violence méthodique (élément qualitatif) ». Le Cadre ajoute que « le type de violence qui caractérise les crimes contre l’humanité nécessite généralement un niveau de préparation mis en évidence à travers différents indicateurs tels que les moyens et méthodes utilisés pour accomplir des actes de violence, comportements violents dès le début d’un conflit qui peuvent permettre de prédire une aggravation de ces comportements et, par conséquent, le risque de crimes contre l’humanité ».
Notons aussi que, selon le Cadre, « d’autres indicateurs peuvent signaler des types de comportements, même en dehors de tout conflit, qui se manifestent plus tôt, comme le renforcement de la capacité de commettre des violences systématiques ou à grande échelle, ou l’utilisation d’autres moyens pour cibler des populations civiles ou des groupes particuliers au sein de ces populations ».
Présence des crimes contre l’humanité au Burundi
Les populations civiles qui vivent sous le joug d’une peur exacerbée par la persistance d’exécutions sommaires et extrajudiciaires, d’arrestations et détentions arbitraires massives, d’allégations d’actes de torture, de menaces et actes d’intimidation, et ce principalement du fait des autorités en place (des agents du Service national de renseignement et de la police ainsi que des autorités locales) et des Imbonerakures (ligue des jeunes du parti au pouvoir, le CNDD-FDD), sont devenus la trame de fond de tous les rapports sur le Burundi de la part d’organisations indépendantes de défense des droits de la personne.
Dans le cas du Burundi, en s’appuyant sur les différents rapports de la Commission depuis 2017, à travers une analyse des développements les plus significatifs depuis le début de la crise en avril 2015, et en se référant au Cadre, on peut identifier les indicateurs de facteurs de risque spécifiques liés aux crimes contre l’humanité.
En effet, dans son dernier rapport, la Commission a été en mesure de documenter un grand nombre d’incidents violents et d’exactions commis dans diverses provinces du pays (…) qui visaient de manière délibérée et en grande majorité des civils ». Selon ledit rapport, ces exactions avaient l’ultime objectif de supprimer toute opposition réelle ou supposée au Gouvernement et au CNDD-FDD, ce qui « permet donc de les qualifier comme faisant partie d’une attaque systématique contre la population civile ». La Commission poursuit en affirmant que « la qualité des auteurs présumés des exactions, qui sont soit des agents de l’État, soit des membres de la ligue des jeunes du CNDD-FDD, implique qu’ils sont forcément informés de la ligne du parti et du Gouvernement, voire endoctrinés, et qu’ils avaient donc nécessairement une compréhension du contexte dans lequel s’inscrivaient leurs actes ».
C’est ainsi que la Commission a affirmé avoir « des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l’humanité ont continué à être perpétrés au Burundi » au cours de la période couverte. La Commission a précisé que des Imbonerakures « ont commis des meurtres, des disparitions, des arrestations et détentions arbitraires, des actes de torture et des mauvais traitements, ainsi que des viols contre des membres de l’opposition politique, réels ou présumés ». D’ailleurs Françoise Hampson, membre de la Commission, a affirmé « la persistance des crimes contre l’humanité » au Burundi.
L’exemple le plus éloquent de crimes contre l’humanité est la réponse de la part des autorités burundaises suite aux attaques armées des installations militaires à Bujumbura du 11 décembre 2015. En effet, dans son rapport de 2017, la Commission a mentionné qu’en représailles à ces attaques « des éléments de la police et de l’armée ont sommairement exécuté des dizaines de personnes à Bujumbura Mairie, notamment à Nyakabiga et Musaga (…) et que les exécutions extrajudiciaires de décembre 2015, dont l’ampleur a dépassé celles constatées depuis avril 2015, ont été accompagnées ou suivies de tortures, de viols et d’arrestations arbitraires ». Dans le même rapport, la Commission a mentionné que « plusieurs témoignages indiquent qu’après les événements de décembre 2015, les autorités administratives locales ont fait enterrer des corps dans des fosses communes, notamment à Kanyosha (Bujumbura Mairie) et à Mpanda (province de Bubanza) ».
Compte tenu de ce qui précède, ça serait faire preuve d’un aveuglément volontaire que de ne pas reconnaître que des crimes contre l’humanité sont en cours au Burundi.
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Par ailleurs, concernant l’existence d’un risque de génocide au Burundi, les facteurs de risque que la Commission a identifiés ne permettent pas, pour le moment, de conclure qu’il y ait un risque de génocide. En effet, la Commission a précisé qu’elle n’a pas été en mesure « d’établir l’existence d’une volonté de détruire en tout ou en partie une ethnie au Burundi », ce qui correspond à la définition légale du génocide en vertu de la Convention internationale sur la prévention et la répression du crime du génocide. Selon la Commission, « les victimes (…) appartiennent à l’ethnie hutue comme à l’ethnie tutsie et la principale raison de leur victimisation est leur opposition réelle ou supposée au Gouvernement et/ou au CNDDFDD (…), ce qui est donc une raison de nature politique ».
Cependant, « la Commission a récolté des témoignages préoccupants faisant état d’insultes à caractère ethnique à l’encontre de Tutsis, prononcées dans le cadre d’arrestations, de tortures ou de violences sexuelles, ainsi que des déclarations officielles et des leçons d’histoire données dans les écoles avec des fortes implications ethniques, qui pourraient encourager la violence ».
C’est ainsi que la Commission a affirmé que « l’existence de multiples facteurs reconnus comme porteurs de risques pour l’avenir empêche de conclure qu’il n’existe absolument aucun risque de génocide ou de crimes contre l’humanité à caractère ethnique dans le futur plus ou moins proche ». Dans ces circonstances, il est prudent de demeurer sur nos gardes pour éviter toute surprise.
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En terminant, même si les crimes contre l’humanité sont déjà en cours au Burundi, on pourrait prévenir leur aggravation. En effet, à titre de rappel, selon le Cadre, « la prévention est un processus constant qui nécessite des mesures soutenues, le but étant de donner à la société les moyens de résister aux atrocités criminelles, en veillant au respect de l’état de droit et à la protection de tous les droits humains, sans discrimination ; en mettant en place des institutions nationales légitimes et responsables (…) ». Face à l’incapacité d’un État à fournir une quelconque protection ou des garanties pour contrer les atrocités criminelles ; « prévenir, c’est tout faire pour mettre fin au cours probable des événements ». Cependant, quand cette prévention ne suffit plus, que faut-il faire ? La question est ouverte à tous les Burundais !
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