Mardi 05 novembre 2024

Sécurité

Bujumbura sous le choc

Bujumbura sous le choc
L’allée très fréquentée du ‘’Plaza’’ où deux attaques à la grenade ont fait deux morts et plusieurs blessés.

4 attaques à la grenade ont été perpétrées dans la soirée de ce mardi 25 mai vers 19 heures dans les communes Mukaza et Ntahangwa en Mairie de Bujumbura. Bilan : 2 personnes décédées et 57 blessés. Iwacu revient sur cette soirée qui a bouleversé et choqué l’opinion.

Dossier réalisé par Alphonse Yikeze, Clarisse Shaka, Abbas Mbazumutima, Rénovat Ndabashinze et Fabrice Bimenyimana

Mercredi 26 mai. 10 heures. Au parking des bus au marché de Ngagara, communément appelé “Cotebu”, sur le boulevard du Peuple Murundi, la vie semble avoir repris son cours normal. Bus, motos et autres voitures circulent comme à l’accoutumée. Pourtant, une ambiance sinistre règne encore ici. Des attroupements ici et là. L’attaque de la soirée de ce mardi 25 mai est toujours sur toutes les lèvres.

Selon les témoins, vers 19 heures de ce mardi, une grenade posée dans un bus modèle « Coaster » explose. 6 passagers sont grièvement blessés, dont le conducteur du véhicule et le convoyeur. Aujourd’hui, à l’intérieur du bus vide stationné sur le boulevard, des traces de sang partout et des éclats de verre maculent encore le sol.

Non loin de là, d’autres traces de sang jonchent les abords de la chaussée, jusqu’aux abords des échoppes. « C’est le sang des victimes qui essayaient de s’éloigner du bus », explique un jeune homme.

Une commerçante a assisté à toute la scène : « Je croyais que c’était un pneu crevé. J’ai vu une femme avec une jambe cassée passer par la vitre du bus. D’autres passagers sont sortis du bus, grièvement blessés. C’est là que j’ai compris qu’on venait de lancer une grenade dans le bus. Par la suite, la police a débarqué et a commencé à tirer. Les gens ont pris peur et ont pris la fuite dans tous les sens », relate-t-elle.

D’après les témoins, le malfaiteur a été appréhendé par la police : « Il s’est blessé avec la grenade qu’il avait sur lui. Il avait plusieurs grenades et l’une est tombée avant qu’il la dégoupille », fait savoir un témoin.

A plusieurs kilomètres de là, à la station dite ‘’permanence’’, une autre attaque à la grenade a été perpétrée devant la porte d’un bus rempli de passagers. Là encore, des traces de sang sont encore visibles sur la chaussée. Des éclats de verre jonchent également le sol. Le bus endommagé a été évacué. Mais le souvenir du drame est présent dans tous les esprits : « Il y avait du sang partout et des chaussures en plastique appelées ’’ Yeboyebo’’, maculées de sang jonchaient le sol. ». D’après plusieurs sources, plusieurs blessés ont été évacués non loin de là, vers l’Hôpital Prince Régent Charles. « Plusieurs blessés affluaient et réclamaient d’être soignés les premiers et les infirmiers étaient débordés », témoigne une autre source.

Mercredi 26 mai. 10h30. Nous sommes sur l’allée du ‘’Plaza’’, ce grand complexe commercial situé sur la rive Ouest de l’ancien marché central de Bujumbura. La circulation n’est pas encore assez dense à ce moment de la journée. Sur les côtés, les traces de sang ont été recouvertes de sable. Sur le mur de briques qui longe le ‘’Plaza’’, une corbeille remplie de quelques pastèques attire notre attention. Sa propriétaire, grièvement blessée par l’impact de deux grenades selon des témoins, est actuellement en soins à l’hôpital.

L’intérieur du bus attaqué à la grenade près du marché de Ngagara communément appelé ‘’Cotebu’’.

Quelques personnes ont formé ici et là de petits groupes. Les attaques de la soirée d’hier alimentent les conversations. « Au début, nous avions pensé à un pneu crevé », raconte un témoin qui dit avoir ensuite assisté à une scène d’horreur : des personnes grièvement blessées étendues au sol. « Certains étaient blessés au visage, d’autres aux bras. »

D’après des sources rencontrées par Iwacu, une seconde grenade éclate à ce moment-là près du tronçon menant aux parkings des bus desservant les quartiers nord de la capitale économique. Cette fois, la panique va gagner la foule vespérale. Les gens courent dans tous les sens, plusieurs bus en attente de clients repartent en trombe, vides. Des taxis et des ambulances évacuent les blessés vers différents hôpitaux de Bujumbura.

« Nous avons peur maintenant d’être confrontés à des attaques de ce type quand nous rentrons après une journée de dur labeur », explique un autre témoin rencontré sur place, qui demande que la sécurité soit renforcée sur cette partie du centre-ville.


Des vies brisées

Iwacu a pu rencontrer les proches de quelques victimes. De simples citoyens, modestes, qui essayaient simplement de gagner leur vie.

Emelyne Nduwayezu, 30 ans, décédée suite à l’attaque sur l’allée ‘’Plaza’’

La serveuse souriante du « Tropicana »

Émeline Nduwayezu, née en 1991, à Muramvya, est l’une des victimes des attaques à la grenade, qui ont lieu ce mardi au centre-ville. Sa famille et ses amis parlent d’une « bonne samaritaine. »

« Elle était une enfant exemplaire, elle était une grande aide pour sa famille », raconte la tante d’Emelyne qui a du mal à retenir ses larmes. Deuxième de sa famille, Émeline était venue vivre à Bujumbura chez sa tante afin de continuer ses études : « Elle était encore en 5ème primaire lors qu’elle s’est installée chez moi », dit-elle.

Elle étudie à l’école Kibenga school où elle a obtenu son diplôme des humanités générales en informatique en 2018. Courageuse, comme le dit sa famille et ses amis, Émeline Nduwayezu décroche un travail non pas dans l’informatique, mais au restaurant Tropicana en plein centre-ville de Bujumbura. Cela l’aide à pourvoir aux besoins de sa fratrie composée de 6 enfants qui vit toujours à Muramvya et donner un coup de main à sa tante qui l’hébergeait depuis son enfance : « C’est elle qui aidait son père à payer les frais de scolarité de ses frères et sœurs. Serviable, sociable, elle avait un cœur d’or. C’était une bonne samaritaine », raconte sa tante avec tristesse.

‘’La bonne samaritaine’’ s’en est allée

Vers 20 heures de ce mardi, la famille reçoit un coup de fil d’un proche leur demandant si Émeline va bien. Et de leur raconter ce qui venait de se passer au centre-ville : « Il y a eu des explosions au centre-ville. Grâce, l’amie d’Émeline est grièvement blessée et elle était avec elle ».

Les proches d’Emelyne sont inquiets. Ils appellent en vain. Le téléphone de la jeune fille est éteint et celui de Grâce aussi. La famille et les amis de Nduwayezu se sont rendus presque dans tous les hôpitaux de Bujumbura jusqu’à 2 heures du matin. Aucune trace de la jeune fille.

Le lendemain, un collègue d’Emelyne se présente à son domicile. Il montre à sa famille une vidéo qui circulait sur les réseaux sociaux montrant des victimes de l’attaque. « Quand nous avons vu son corps dans cette vidéo, nous avons repris nos recherches. Mais cette fois-ci dans les morgues, et c’est là que nous avons trouvé notre enfant », fait savoir la tante de la victime.

Une disparition qui a laissé un choc dans le cœur de la meilleure amie d’Emelyne : « Elle était comme une sœur pour moi. On chantait ensemble au sein de la chorale Saint-Louis Marie, nous avons fait notre parcours scolaire ensemble, j’ai partagé beaucoup de choses avec elle, alors je ne peux pas comprendre qu’elle puisse me quitter comme ça », dit  la jeune fille en larmes.

« Elle était une bonne serveuse, souriante, accueillante, Emelyne faisait bien son travail », témoignent ses collègues du Tropicana. « Que Dieu pardonne aux malfaiteurs qui ont tué ces innocents, comme Jésus a pardonné  ceux qui lui ont fait du mal », concluent les collègues d’Emelyne, visiblement choqués.

« Mama Badeda », la vendeuse de légumes

Sur l’allée « Plaza », K.M. et R.J., des vendeuses ambulantes, ont encore du mal à croire que celle qu’elles côtoyaient tous les jours n’est plus. Elle, c’est Odette, une vendeuse de feuilles de manioc, d’arômes pour le thé et de la canne à sucre. Elles évoquent une dame au naturel gai et joyeux. « Elle était chaleureuse. Beaucoup de clients la connaissaient et demandaient souvent après ‘’Mama Badeda’’ », témoignent avec tristesse K.M et R.J.

Originaire de la province de Bujumbura rural, Odette était mère de six enfants, tous des jumeaux. « Ses enfants étaient souvent ici avec elle. J’ai pu les voir aujourd’hui à la morgue de l’hôpital Prince Regent Charles. Les pauvres, ils étaient effondrés ! », raconte R.J avec une voix teintée d’émotion.

D’après ces deux vendeuses ambulantes, Odette avait été grièvement blessée lors des deux attaques sur l’allée ‘’Plaza’’. Evacuée à l’hôpital, c’est là qu’elle a rendu son dernier souffle. Iwacu n’a pas pu trouver une photo de la vendeuse de légumes


>>Réactions

Gouvernement : « Des actes terroristes pour ternir l’image du Burundi »

Dans un communiqué de ce 26 mai, le secrétaire général du Gouvernement, Prosper Ntahorwamiye, affirme que ces actes terroristes ne sont pas « un fait du hasard ». D’après lui, ils sont intervenus au moment où le Burundi abritait la 51ème réunion du comité consultatif permanent des Nations unies chargé des questions de sécurité en Afrique centrale, à l’issue de laquelle le Burundi a été élu à la présidence du nouveau bureau de ce comité. « Nul doute que ces actes ont été commis dans le but de ternir l’image du Burundi. », déclare M. Ntahorwamiye.

Selon le communiqué gouvernemental, les enquêtes en cours pourraient révéler que ces actes s’inscrivent dans le prolongement des attaques commises dans les provinces Mwaro et Muramvya, il y a quelques jours.

« L’Etat du Burundi condamne avec sa dernière énergie ces actes terroristes et s’engage à les combattre jusqu’au bout. Il adresse ses condoléances les plus attristées aux familles éprouvées et promet d’être à leurs côtés. », souligne le secrétaire général du Gouvernement. Et d’indiquer, par la même occasion, que l’Etat va apporter son aide aux blessés.

Le communiqué du Gouvernement dresse le bilan provisoire de deux morts, 57 blessés, dont quatre, grièvement. Prosper Ntahorwamiye précise qu’un des terroristes blessé par la grenade qu’il détenait a été appréhendé. Et d’ajouter que les enquêtes sont en cours « pour déterminer son identité, son mobile et pouvoir apporter toute la lumière sur ce crime ».

Agathon Rwasa : « Il y a une recrudescence d’actes criminels »

Pour le leader du CNL, « Ce sont des actes criminels à condamner avec toute l’énergie. Pour moi, celui qui commet ces forfaits-là, quelle que soit sa nature, c’est quand même quelqu’un qui est à côté de la plaque », s’insurge le président du parti Congrès National pour la libération (CNL). Il déplore une recrudescence de la criminalité, ces derniers temps. Il rappelle les attaques de Muramvya et Mwaro survenues il y a à peine deux mois. M. Rwasa évoque aussi des cas de personnes portées disparues, des enlèvements, etc.

D’après lui, la société burundaise mérite une meilleure sécurité de la part des autorités. « Parce que les gestionnaires du régime sont les premiers à protéger les citoyens de par les prérogatives que leur confère la Constitution. »

Il signale aussi que la sécurité est aussi du ressort des citoyens. « Je condamne quiconque s’en prend à la vie, aux droits des autres. Nous devrions tout faire pour que règne la sérénité au sein de la population si nous voulons développer notre pays. »

Phénias Nigaba : « Des actes ignobles »

« Ce sont des actes ignobles que nous condamnons énergiquement. C’est vraiment inhumain de lancer des grenades contre une population paisible et qui vaque à ses activités », réagit Phénias Nigaba, porte-parole du parti Sahwanya Frodebu. Selon lui, n’eussent été ces actes, la ville connaissait ces derniers temps une accalmie au niveau sécuritaire. Le parti Sahwanya Frodebu appelle les services étatiques à mener des enquêtes approfondies pour que les commanditaires et les auteurs de ces crimes soient arrêtés et punis conformément à la loi. « Nous demandons qu’il n’y ait pas de gens arrêtés sans preuve », glisse M. Nigaba.

Cndd-Fdd : « Des crimes qui tranchent avec un climat de paix relative »
« Nous condamnons avec énergie ces actes de terrorisme commis sur de paisibles citoyens de la Mairie de Bujumbura », déclare le parti de l’Aigle dans un communiqué publié dans la nuit de ce mardi 25 mai.

Le parti présidentiel soutient ensuite que ces crimes tranchent avec un climat de paix relative et de prospérité dans lequel baignait la population burundaise jusqu’à présent.

Le Cndd-Fdd présente ensuite ses condoléances aux familles des victimes tout en souhaitant « prompt rétablissement aux blessés.

Et de demander enfin que les auteurs de ces attentats terroristes « soient exemplairement punis conformément à la loi ».

APDR : « Il revient aux forces de l’ordre d’être vigilantes »

La formation politique dirigé par Gabriel Banzawitonde dit condamner avec vigueur « des attaques honteuses » dont le but affiché est, selon elle, de perturber la tenue de la 51ème réunion du comité consultatif permanent des Nations unies chargé des questions de sécurité en Afrique centrale qui se tient actuellement à Bujumbura.

L’APDR présente ensuite ses condoléances aux familles des défunts et demande aux forces de l’ordre d’être vigilants et d’assurer la sécurité des hôtes étrangers venus prendre part au sommet.

A l’endroit de la jeunesse, l’Alliance pour la Paix, la Démocratie et la Réconciliation d’éviter ceux qui veulent les manipuler pour la replonger dans les travers du passé. Et de préciser, toujours à l’égard des jeunes, que le présent et le futur leur appartient.

Forum des lecteurs d'Iwacu

1 réaction
  1. Nshimirimana

    Que peut-on faire et dire d’autres si ce n’est manifester son dégout face à des horreurs pareilles. Jeter une grenade au milieu de ces pauvres citoyens, vendeurs et vendeuses de légume, massacrer cette étudiante qui doit se lever le matin pour vaquer à ses études et rentrer le soir pour travailler et gagner dignement de quoi vivre, aider sa famille et payer ses études. Peut-on avoir sa conscience tranquille si on est l’auteur de telles abominations. Peut-on dormir et avoir le sommeil quand dans la tombe, des victimes innocents, y dorment parce que « sa folie meurtrière » les y a emporté?

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