Des ravins qui se créent, des berges des rivières qui cèdent, des maisons et d’autres infrastructures détruites… C’est la topographie terrifiante qu’offrent actuellement certains coins de Bujumbura. Les habitants appellent au secours et aux travaux d’urgence.
« Peut-être que les démons qui habiteraient la ville de Bujumbura, selon certaines personnalités, se sont réveillés » ; « Le malheur ne vient jamais seul », « Impuissants, nous assistons à la destruction de nos maisons », etc. Ce sont là les quelques-unes des lamentations désespérées de certains habitants de Mukaza, Muha, Ntahangwa confrontés aux dégâts causés par des ravins, des éboulements, des alluvions sédimentaires, etc.
Sur terrain, la situation fait peur. A Kinanira II, commune Muha, au sud de Bujumbura, en moins de deux mois, un ravin a déjà fait des victimes. Plusieurs maisons totalement, effondrées, d’autres amputées de deux ou trois chambrettes. Vue l’allure de son élargissement, certains propriétaires ont déjà enlevé les tôles, les portes, les fenêtres, … « Il y a déjà des centaines de sans-abris », confie Anitha, une jeune femme croisée dans le quartier Kibeho dit ‘’Ceceni’’. Certains se sont réfugiés chez des amis, d’autres sont restés là en attendant le jour fatidique. « Ils n’ont pas d’autres choix. Ils dorment à la belle étoile entre les murs des débris de leurs maisons ».
Désespérée, elle signale qu’en cas de pluie nocturne, tout le quartier est en alerte : « C’est là que le ravin s’élargit et les effondrements des maisons riveraines s’amplifient.»
Les infrastructures publiques sont aussi affectées Aucune trace de l’Eglise du Réveil des Nations ‘’ERENA’’, une partie de l’école secondaire dite Kwa ‘’Vyisi’’ s’est déjà effondrée, une position policière détruite, des ponts cassés. L’artère goudronnée appelée Avenue Mutaga est sur le point de céder. Des câbles électriques, des tuyaux de la REGIDESO sont à découvert.
Toujours à Muha, Kanyosha court un grand risque d’inondation. Le collecteur de Mugoyi est bouché. « Aménagé en 1987 pour acheminer l’eau en provenance des contreforts vers le lac Tanganyika, il est aujourd’hui rempli des masses de terres, de sables et des sédiments », décrit Anicet Nibaruta, directeur général adjoint de la police de la protection civile.
Ntahangwa n’est pas à l’abri
Idem à Gikungu-rural, zone Gihosha, commune Ntahangwa. Une dizaine de maisons sont déjà écroulées suite à l’élargissement du ravin Nyanzari. Une trentaine d’autres sont menacées. « Nous assistons impuissants à l’effondrement de nos maisons » se lamente Joseph, un habitant de cette localité, sidéré. Selon lui, beaucoup de locataires sont déjà partis ailleurs. Et de prédire : « C’est inévitable. Toutes ces maisons finiront dans ce précipice. »
Une situation qui appauvrit les victimes. Certains n’avaient pas encore terminé à rembourser les crédits contractés pour acheter les parcelles et construire une maison. Le risque de se retrouver en prison est grand. « Je ne pense pas que les banques vont abandonner leurs crédits ».
Une autre victime ajoute que certaines personnes vont devoir mendier pour survivre. Cette dernière jette le tort au gouvernement: « Nous avons lancé des appels au secours depuis des années. Si les dirigeants avaient entrepris des travaux de protection de nos maisons, le pire aurait pu être évité.»
Même constat pour Joseph qui déplore sa lenteur pour intervenir : « Moi j’ai vu beaucoup de reportages sur ce ravin Nyenzari. Mais voilà, c’est aujourd’hui que les autorités pensent à nous délocaliser après la destruction de nos maisons. »
Cet homme affirme d’ailleurs qu’ils ne sont pas les seules victimes : « Si Gikungu-rural part, sûrement que certains coins de Mutanga-Nord ne vont pas résister longtemps. »
Des dégâts sont également évoqués à Kuwinterekwa, en zone Gihosha, Buterere, Mutanga-sud, etc.
A Kamenge, le ravin Nyamanogo se crée et s’élargit dangereusement vers les habitations. C’est dans le quartier Mirango II, non loin de l’endroit appelé Iwabo w’Abantu, à une centaine de mètres de la RN1 vers Gatunguru. Un pont qui reliait Kamenge à Gatunguru a déjà cédé. Des tuyaux de la REGIDESO sont à nu.
Des effets des changements climatiques
Selon Jean-Marie Sabushimike, géographe et professeur à l’Université du Burundi, cette situation est liée à une amplification de l’érosion pluviale tant au niveau des rivières que des ravins. Il s’agit là des impacts réels des changements climatiques.
Cet expert insiste sur les types d’aménagements du territoire. « Il faut des aménagements respectueux de l’environnement. » Il conseille de prendre en compte la situation géographique de Bujumbura. : « La plaine et les contreforts sont des facteurs physiques qui rendent la ville vulnérable.»
Pour M. Nibaruta, contrairement aux années 90, les ravins sont en perpétuelle dégradation. « Un phénomène qui s’accentue et certains ravins se sont affaissés jusqu’à une profondeur de plus de 100 m. » suite aux eaux pluviales qui ne trouvent plus de larges caniveaux d’évacuation.
Des actions pour éviter le pire
« Chaque commune devrait disposer de plans de prévention des risques des catastrophes et de plans de contingence », insiste M. Sabushimike. Aussi longtemps que ces documents n’existent pas, poursuit-il, on aura toujours les mêmes problèmes surtout dans ce contexte de changement climatique. Il suggère aussi une étude multisectorielle pour prendre des mesures de prévention à long terme. Quant à Jean-Baptiste Ndoricimpa, consultant indépendant en génie civil, il estime que le plus urgent est de freiner l’élargissement du ravin de Kinanira II. « C’est faisable. Pour 50 millions BIF, c’est possible d’empêcher cette extension. » Après, il propose le remplissage du ravin.
De son côté, M. Nibaruta, directeur général adjoint de la police de la protection civile, a annoncé, ce mardi 23 avril, une opération de comptage des personnes à délocaliser. Une tâche qui sera confiée à une équipe composée de l’administration, de la Croix-Rouge et de la police. Leur rapport est attendu dans une semaine. Pour le cas de Mugoyi, il a signalé qu’il va y avoir un collecteur parallèle. A Kinanira II, il signale qu’une entreprise est déjà en train de faire des relevés topographiques.