Quand la tragédie éclate à Rumonge, tout était calme dans la capitale. Apparemment, puisque l’on s’interrogeait sur le limogeage de tout le gouvernement par le président Michel Micombero. A travers quelques témoignages, Iwacu a pu retracer le climat qui régnait cette soirée.
Thérèse Nkurunziza : « Le jour comme la nuit, des JRR relaient les militaires et les policiers » ©IwacuLa soirée ratée
Avenue Bubanza de la commune Rohero (Rohero 1), 29 avril 1972. Le couple du commandant Cyriaque Ntavumba se prépare à participer à la soirée dansante organisée à l’occasion du 1er mai, fête du travail. Ce genre de soirée, précise Fidès Sabukunze, veuve du commandant Ntavumba, était une première dans l’histoire du Burundi car elles étaient prévues au niveau national. 19 heures.
Le couple attend un véhicule militaire pour son déplacement quand le gouverneur de Bururi de l’époque s’improvise chez eux. La visite n’a pas duré longtemps, se rappelle Mme Ntavumba, juste quelques dizaines de minutes.
C’est quand M. le gouverneur de Bururi emprunte la chaussée du prince Louis Rwagasore, au niveau de l’actuel Fidodido, qu’il remarque un mouvement inhabituel : des gens en masse avec des matraques, scandant des slogans comme : « Micombero ni abogozwe » (que le président Micombero démissionne.)
Ne pouvant pas continuer sur la route bloquée, le gouverneur de Bururi retourne chez le commandant Ntavumba pour lui dire ce qui se passe. Et le jeune commandant de minimiser les faits arguant que ce seraient des ministres déchus quelques heures auparavant par le président Micombero qui manifestaient leur mécontentement.
21 heures. M. Ntavumba reçoit un appel de l’Etat-major de l’armée qui lui intime l’ordre de mettre sa tenue militaire. Sans trop de détails. Il est informé que le pays a été attaqué et que le garde corps du président Micombero a été tué.
D’après la veuve de Ntavumba, son mari est parti cette nuit et il n’est rentré que dans la mi-journée du 30 avril 1972. Fidès Sabukunze indique que son mari a pris le repas à la hâte, il n’a pas pu se reposer. Un autre coup de fil venait de l’appeler à ses obligations.
Il est reparti. Il n’est plus rentré laissant derrière lui une veuve, deux enfants dont un garçon et une fille. Quelques jours après, Mme Sabukunze apprendra que son mari, de la première promotion de l’Iscam a été exécuté avec ses promotionnels commandants Ndayahoze, Burasekuye, Ruratukana, Harerimana, etc.
Fidès Sabukunze : « Il est reparti. Il n’est plus rentré. Quelques jours après, j’apprendrai que mon mari a été exécuté avec ses camarades de la même promotions » ©IwacuBujumbura dans la torpeur
29 avril 1972, au Quartier Belge, actuelle commune Bwiza. A 19 h 30 min, le couple Léandre Ntiruvakure, calculateur des traitements à la Fonction publique et directeur adjoint, prend son premier verre quand des militaires en tenues de combat surgissent. Ils recommandent à tout le monde de rentrer et au propriétaire de fermer son bistrot. « Nous ne comprenions pas ce qui se passait car la journée avait été calme », se souvient Thérèse Nkunzimana. Seulement, poursuit-elle, tout le monde s’interrogeait sur les mobiles derrière le limogeage du gouvernement par Michel Micombero.
Dans la foulée, tout le monde se presse pour rentrer. « En moins de 30 min, toutes les rues de Bwiza se vidaient », indique-t-elle. 30 avril 2012. Le calculateur des traitements s’apprête pour aller au travail quand il apprend par la radio nationale, « Voix de la révolution », que la circulation est interdite. Seuls les véhicules de l’armée et de la police patrouillent dans la capitale. C’est la panique.
30 avril vers 17 heures. La police et l’armée commencent à arrêter des gens les accusant de collaborer avec les « Bamenja », traîtres.
Des gens sont traînés dans la boue, conduits à l’abattoir comme des moutons ou des chèvres. D’après la veuve de Ntiruvakure, pendant la journée comme la nuit, les JRR relaient les militaires et policiers.
Son mari, témoigne Thérèse Nkunzimana, sera arrêté le 17 mai 1972 aux environs de 22 heures. Il sera d’abord emprisonné à Mpimba pour qu’il puisse former son successeur. La famille ne sera pas quand et comment il a été exécuté.
« J’ai vu mourir mes trois amis »
N.J. fait savoir que ce qui s’est passé en 1972 dépasse les limites. 30 avril. N.J. habitait le quartier dit Ocaf, actuel Ngagara, quand des JRR « enragés » viennent dans la soirée du 30 mai frapper à la porte de ses voisins. Il se souvient avoir vu une dizaine. Pas de climat de tension dans la cité mais on voit des gens arrêtés : « Personne d’entre nous n’ose lever son doigt pour demander pourquoi nos frères hutu sont victimes.» Les larmes aux yeux, N.J indique qu’il a vu ses trois amis mourir : Jacques, Michel et Diomède. Il dit qu’il a été pris de panique : « J’ai laissé partir mes anciens camarades pour ne pas subir le même sort. »