Dimanche 22 décembre 2024

Société

Buganda, la carte postale du Burundi

07/12/2015 8

Située au nord-ouest du pays, cette commune a déjà fait la paix avec les démons du passé, et maintenant, tant bien que mal, elle s’attèle à un autre défi majeur, la pauvreté.

l’agriculture artisanale, lot de l’habitant de Buganda
l’agriculture artisanale, lot de l’habitant de Buganda

« Bienvenue dans la commune Buganda », annonce une minuscule pancarte, à la sortie de la province Bubanza. La différence entre cette dernière et Buganda saute rapidement aux yeux. La route (RN5), auparavant cahoteuse, devient lisse, le paysage s’habille plus en vert, les champs de manioc et de tomatessuccèdent aux champs de riz. Le visage de la commune tient de la carte postale.

Environnée par des hautes montagnes, qui semblent lui tenir rôle de gardiens, la commune s’étale en grande partie sur une plaine, où des cultivateurs, la peau tannée par le soleil, sont courbés quotidiennement sur leurs houes, labourant stoïquement des champs immenses.

À l’ouest, le paysage congolais se confond parfois à celui du Burundi, mais de la route, on peut entrevoir la rivière Rusizi, frontière naturelle des deux pays, serpentant paresseusement dans les vallées. Des relations privilégiées se sont tissées au fil du temps avec ce pays voisin, qui a parfois fait office de second foyer au Burundais fuyant la guerre, vice versa. Le vestige du pont de la 6ème avenue à Gasenyi, détruit en 1964, semble apporter un témoignage tangible sur l’histoire commune des deux pays.

Un long chemin vers la paix

Dans la crise de 1993, Buganda est particulièrement touchée. On assiste à un exil massif de la population vers la RDC. La commune se retrouve presque exsangue de ses habitants, qui vont passer 4 à 5 ans sans remettre les pieds chez eux.

Le mouvement ne va commencer à s’inverser qu’à partir de 1996, où, malgré une situation politico-sécuritaire incertaine, les gens de Buganda s’attèlent à la reconstruction de leur vie, de leur commune. « Les femmes, les jeunes, les hommes de Buganda ont tous souffert de cette crise. Ce qui leur a servi de catalyseur vers le désir de réconciliation», avance David Nibizi, secrétaire communal, et ancien réfugié.

Certains habitants de Buganda semblent s’être trouvé désormais une devise : «Vivre en bonne intelligence.» Un jeune ressortissant de Buganda, abondant dans le même sens, souligne un aspect réussi de l’intégration sociale : « pour une région supposée à majorité hutu, il est tout à fait remarquable d’avoir comme administrateur un homme de l’ethnie tutsi. »

Ce que ne manque pas d’appuyer David Nibizi :« malgré ce qui s’est passé dans la capitale depuis le mois d’avril, la population de Buganda est restée soudée». Tout de même, cette vision des choses n’est pas unanimement partagée, car en catimini, certains fustigent les agissements d’une certaine catégorie de jeunes affiliés au parti au pouvoir. «Peut-on parler de paix quand elle est imposée par la force ?», grince un des protestataires.

Vivre à Buganda, une leçon de bravoure

le commerce, une roue de secours pour les ménages
le commerce, une roue de secours pour les ménages

Mercredi 25 novembre, jour de marché à Gasenyi. Sous un soleil de plomb, des vendeuses de toutes sortes essaient de s’abriter dans parapluies, et garder un œil constant sur leurs produits étalés à même le sol. Celles-là sont les plus chanceuses. D’autres affrontent stoïquement la fournaise, assise sur de petits tabourets, interpellant tout passant en vantant la qualité de leurs produits.

On rencontre Rebecca Ntamakiriro en première ligne d’une rangée de parapluies. La quarantaine révolue, cette veuve n’arrive à faire rien d’autre que le commerce, à cause d’une hypertension et une arthrite qui la terrassent. Et la misère dans laquelle elle vogue n’est pas seulement due qu’à cela. « De mon mariage, j’ai eu 12 enfants, et il ne m’en reste qu’un, qui n’aide pas en grand-chose, car étant toujours à l’école», se lamente-t-elle.

Plus en retrait, BelyseMurekerisoni gronde les dizaines de petits filous du marché, qui chapardent ici et là des fruits, au mieux, font la poche aux gens. « Tout cela n’est rien d’autre que le résultat de la pauvreté », commente-t-elle d’une voix lassée.

Vivre d’une seule activité semble chose rare à Buganda. Museveni vend du jus de bananes au marché, et ne manque pas de clients car tout le monde fait un saut à son commerce toutes les 30 minutes pour étancher la soif due à la chaleur torride. « Je suis cultivateur, et aussi brasseur, mais même avec tout ça, il m’est toujours difficile de subvenir à tous mes besoins», se désole-t-il. Même cas pour Jean Marie Sindayihebura, enseignant, pour qui «si cela s’impose, troque la craie pour la houe. »

Les jeunes de Buganda semblent être les plus affectés par la pauvreté, car même ceux qui sont à l’école ne rentrent que pour se changer et aller faire toutes sortes de petits boulots, puis au fur et à mesure , finissent par se lasser des études. « S’ils ne tournent pas mal, vers le banditisme ou la prostitution, ils stagnent et passent le restant de leur vie dans ces petits boulots», regrette David Nibizi. Mais les jeunes ne l’entendent pas de cette oreille, car pour eux, le manque d’encadrement et de soutien sont les grandes causes de cette situation. Jean Paul Vyamungu, jeune agriculteur, et à l’occasion réparateur de vélos, plaide pour sa cause : « On a la force, la détermination et le désir de travailler, mais que faites-vous pour nous soutenir ?»


Atouts et défis majeurs

Atouts : un sol fertile, une route nationale (Bujumbura-Ruhwa) qui la traverse, la proximité avec la RDC, pays avec lequel la commune fait du commerce.

Défis : le chômage des jeunes, l’illettrisme, l’électricité limitée à certains centres.

Buganda, en quelques lignes

Buganda est une de six communes de la province Cibitoke. Elle est limitée au nord par la commune Rugombo, au sud par la commune Gihanga de Bubanza, à l’est par la commune Murwi, et l’ouest par la RDC. Elle est située dans la région naturelle de l’Imbo sauf quelques collines situées dans les Mirwa.

Buganda compte une population de 92 994 habitants (selon un recensement de 2015), répartie sur une superficie est de 186,28 km². Sa densité est de 499 habitants/km².

Cette commune est composée de 12 collines de recensement, subdivisées en deux zones, Gasenyi et Ndava.
Son économie repose principalement sur l’agriculture et l’élevage, mais aussi le commerce.


Les jeunes de Buganda s’expriment

Les jeunes et les femmes de la commune Buganda s’accordent pour dire que la pauvreté est la source de tous les maux. Et malgré des efforts en vue de s’en sortir, les jeunes se disent abandonnés à leur sort.

Jean Marie Sindayihebura, « la responsabilité incombe à l’État et aux ONG internationales.»

« Comment un pays pourrait-il se développer, au moment où sa force active, à savoir les jeunes, n’est pas exploitée ? » se demande ce jeune enseignant. Car, pour lui, le nœud du problème réside ici : « les travailleurs sont ceux-là mêmes qui n’ont rien à faire, car personne ne leur a donné quoi faire. »

« La démographie reste élevée, et en parallèle, on assiste à une diminution inexorable des ressources naturelles. Les jeunes provenant des ménages pauvres se laisseront-ils mourir de faim ? » se questionne-t-il encore, avant de trancher : « non, ils se ‘‘débrouilleront’’: banditisme, prostitution, etc. »

Pour lui, deux solutions sont envisageables: l’État qui devrait faire bénéficier aux jeunes un traitement de faveur, et les ONG internationales qui devraient élaborer des projets destinés aux jeunes, ou soutenir ceux qui existent déjà.

Claudine Nizigiyimana, « l’autonomie de la femme est la solution. »

Paysanne illettrée, cette jeune femme pointe du doigt la pauvreté comme étant une des raisons du mauvais traitement infligé aux femmes dans les ménages.

« On quitte les champs pour aller puiser, puis ramasser du bois de chauffage, et ensuite cuisiner, et après, tout ce qu’on récolte, c’est des querelles à propos de notre emploi du temps », se plaint-elle.

Une chose qui n’arrive pas pourtant dans les ménages où les femmes ont un certain poids économique, analyse-t-elle. Et de proposer qu’au même titre que les jeunes, la femme devrait être soutenue afin de devenir autonome.

Nestor Havyarimana, « au lieu d’offrir un poisson, vaut mieux enseigner à pêcher.»

Enseignant, mais aussi entrepreneur, ce jeune de Buganda sort un peu du lot, « mais à quel à prix !!», souligne-t-il. Il dit avoir déjà goûté au fruit amer du chômage, et de ce fait, comprend la situation des jeunes de sa région. « Chez nous, peu de jeunes diplômés ont du travail, ce qui débouche à des conflits familiaux. Les parents qui croyaient avoir investi et le jeune qui veut continuer à vivre aux crochets de la famille », soulève-t-il.

La solution serait simple pour lui : « l’État devrait encadrer les jeunes en entrepreneuriat, mais aussi leur fournir un kit conséquent pour démarrer leurs propres projets. »


Aline Nsabiyumva, la restauratrice visionnaire

À seulement 28 ans, et malgré de fâcheuses circonstances ayant bouleversé sa vie, cette jeune femme est parvenue à démarrer une affaire qui lui permet de faire vivre une famille nombreuse.

Aline Nsabiyumva : «  il ne faut jamais se résigner.»
Aline Nsabiyumva : « il ne faut jamais se résigner.»

« S’il faut reconnaître ses faiblesses, je sais depuis toujours que je ne suis pas faite pour être une cultivatrice », y va-t-elle d’emblée. Assise dans le petit réduit qui lui sert de cuisine, elle entreprend de remplir plusieurs assiettes avec une dextérité et une célérité inégalée. « Mais là, je m’y connais », ajoute-t-elle d’un air satisfait.

« Après avoir fini mes études en 2014, je suis rentrée ici, mais je ne suis pas arrivée à trouver une occupation. », raconte-t-elle. Pour ne pas rester les bras croisés, elle se décide à créer un restaurant. « Je n’avais pas un rond, mais au moins je savais que dans ce business, si je manque de clients, ma famille pouvait venir consommer ce que j’aurais cuisiné », fait-elle savoir.

Et pour y arriver, elle décide de s’endetter quotidiennement au marché le matin, et payer ses dettes le soir avec la recette. « Maintenant, j’ai un petit capital, et je gagne plus ou moins 4000 Fbu par jour, au moment où dans les champs, on ne dépasse pas 2000 Fbu », apprécie-t-elle. Et tout cela, n’arrête-t-elle pas de répéter, sans aucune aide extérieure !

Venue de loin

Née à Buganda, Aline est l’aînée d’une fratrie de 9 enfants. Elle perd très tôt son père, mais sa mère continue à lui payer ses études, avant de l’envoyer dans la capitale chez des proches parents, où elle va faire son cycle supérieur, dans la section Gestion et Comptabilité. « Je me souviens que dans ces temps-là je vivais dans une pauvreté frisant la misère », se remémore-t-elle, douloureusement.

Comble de malheur, en 2011, elle tombe enceinte, et pense à tout arrêter. « Je me suis juste fait avoir par plus riche que moi », commente-t-elle laconiquement. Finalement, elle se décide à mettre au monde l’enfant, puis persévère et décroche son diplôme en 2014.

Une année après son retour à la maison, elle s’est déjà faite une clientèle fidèle, comme Jean Claude Ndayishimiye, qui passe toujours chez elle de retour des champs, et qui rêve de l’épouser un jour si elle se déclare prête. Mais pour Aline, « une seule fois a suffi », ses seuls soucis étant de voir son business prospérer.Mais pour cela, elle dit accuser un manque criant de capital. « Dieu, si j’avais assez d’argent, je sais que j’aurais un de ces menus dignes du Taj Mahal», soupire-t-elle.

Forum des lecteurs d'Iwacu

8 réactions
  1. Muv

    Bonjour,

    Est-il possible d’avoir les coordonnées de cette dame surnommée Aline Nsabiyumva?

    Merci.

  2. nkuba

    Nkuba Le redacteur de cet article a oublie que le develeoppment passe par l’education. J’aurais aime qu’il puisse nous dire que depuis l’independance combine d’ecoles primaires et secondaire se trouvaient dans cette commune. c,est vrai Buganda yari yaratawe kubera bayita commune yabahutu ntamashuri yahaba ntamavuriro ,mai depuis 2005 ibintu vyarahindutse,ubu commune ifise amashure arenga atatu yisunbuye ibitaro birenga 3 vraiment abanya Buganda turashima gose intwaro ya CNDD baragahangama.

  3. Peak?

    Est-ce que le « sauveur » pour ces jeunes est ce que nous connaissons deja tous?
    Avec le degre de corruption actuelle, on peut se demander ou serait la solution……………………..

    • Demandes a ceux qui connaissaient la commune avant 2005 mon oeil. Et fais des comparaisons periodiques sur ceci tu pourrais faire des commentaires.

  4. Le redacteur de cet article a oublie que le develeoppment passe par l’education. J’aurais aime qu’il puisse nous dire que depuis l’independance combine d’ecoles primaires et secondaire se trouvaient dans cette commune. Et nous dire depuis 2005, combien d’ecoles primaires et secondaires il y a actuellement. Une anlyse biaisee sans tenir compte de l’historique de la commune.

    • Stan Siyomana

      @Pepe: »Et nous dire depuis 2005, combien d’ecoles primaires et secondaires il y a actuellement… »
      1. « Objectif 2: ASSURER A TOUS L’EDUCATION PRIMAIRE » est bel et bien l’un des 8 Objectifs dumillenaire pour le developpement (adoptes en 2000 par les Nations Unies).
      Au debut de Septembre 2015, la ministre burundaise de l’Education et la recherche scientifique (Dr Janviere Ndirahisha) reconnaissait l’echec /faisait ce « Mea culpa »:
      « Malgre les efforts fournis depuis l’an 2000 dans le secteur de l’alphabetisation, le Burundi est loin d’atteindre l’education primaire universelle, telle que prevue par les Objectifs du millenaire pour le developpement avant la fin de 2015. »
      (Voir: « Burundi to fail millennium development goal on education by 2015 », http://www.newsghana.com, 8 September 2015).
      2. La Dictature du 3 eme mandat presidentiel au Burundi pourrait adopter ce slogan « Le developpement passe par l’education », mais en realite l’education n’est que l’un des multiples services que tout Etat (moderne?) doit rendre a ses citoyens.
      Le jeune sud-africain Ofentse Makgae (age de 23 ans) qui a eu la chance d’aller poursuivre ses etudes de doctorat a Oxford University, en Angleterre, a dit:
      « Les recentes manifestations estudiantines (en Afrique du Sud) #FeesMustFall/les frais universitaires doivent diminuer m’ont ouvert les yeux. Je crois qu’il est grand temps de trouver une solution a long-terme pour l’education gratuite dans notre pays. Aucun etudiant ne devrait rater son education a cause de sa situation financiere. La politique d’exclusion financiere devrait etre abolie. L’EDUCATION SUPERIEURE/UNIVERSITAIRE N’EST PAS UN PRIVILEGE, C’EST UN DROIT CONSTITUTIONNEL et c’est le seul moyen de briser le cycle de pauvrete pour les familles noires pauvres d’Afrique du Sud… »
      (Voir Aaisha Dadi Patel: « South Africa: « Higher education is not a privilege, it’s a constitutional right. » The Daily Vox (Johannesburg), 3 December 2015).
      3. Et si vous voulez le developpement durable et inclusif pour cette population de la commune Buganda, il faut penser au modele de developpement des Nouveaux Pays Industrialises (NPI) d’Asie par exemple.
      D’apres l’americain Dr Paul Krugman (ne en 1953, prix Nobel d’economie en 2008), le « miracle economique asiatique » des dernieres decennies est du au fait que:
      – quand les gens ont quitte le milieu rural pour les zones urbaines, ca a permis d’augmenter la participation de l’ouvrier industriel dans les economies de ces pays;
      – ces pays asiatiques ont beaucoup investi pour developper leur capital physique (= usines, equipement, machines,…) et leur capital humain.
      (Voir Jay Kaplan: « Paul Krugman « Pacific myths », http://www.colorado.edu., April 1999).

    • Rukwebuka N

      Depuis 2005,plus de murs peut être
      Mais pour sûr plus d’illétrés, moins d’emploi,plus d’affamés et de malnourris
      Plus de corruption,plus de vols et plus d’assassinats par la police.

      • @Rukwebuka N,

        Si tu connaissais cette commune au moins, j’allais te repondre. Malheureusement tu nages dans l’ocean.

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