L’emplacement de « Burundi Cement Company » (BUCECO), une entreprise de fabrication du ciment, dans la ville de Cibitoke présente un danger pour la santé de la population environnante. Elle attend sa délocalisation et réclame des indemnités.
Devant les élus du peuple pour expliquer la nouvelle loi sur la protection de l’environnement, Déo Guide Rurema, ministre en charge de l’environnement, a annoncé la délocalisation de l’entreprise BUCECO. Il a expliqué que son emplacement actuel présente un danger pour la santé de la population environnante. Une mesure réclamée à cor et à cri par la population depuis 6 ans.
Il est 9 h au chef-lieu de la province Cibitoke. Des ateliers de broyage dans BUCECO fonctionnent 24 h sur 24 h. Rejets de poussières, fumées, vapeurs, gaz, nuages de poussières et pollution sonore sont le calvaire quotidien des populations environnantes. Cette entreprise est entourée des maisons d’habitation. Des Simples citoyens, des cadres comme des commissaires, procureurs, députés et autorités administratives vivent aux alentours. La plupart d’entre elles se trouvent à peine à 10 m de la clôture de l’usine. Les toitures des maisons ont changé de couleur. D’importantes particules se sont déposées au-dessus des maisons. Certaines tôles commencent à s’effriter.
Pour eux, impossible de mettre des denrées alimentaires à l’air libre. Le risque de manger des particules du ciment est très grand. Après la lessive, les ustensiles sont cachés, portes et fenêtres fermées. Une fois ouverte, les poussières envahissent les maisons. Les salons sont devenus des séchoirs après la lessive des habits. Il n’est plus possible de préparer le lit à l’avance, à chaque moment des poussières s’y déposent. On dirait dans une maisonnette abritant un moulin. « Nous mangeons, buvons et respirons des poussières de ciment. Nous dormons dans le ciment. Notre vie est devenue un calvaire. Nous sommes des morts-vivants. Nous ne savons plus à quel saint nous vouer», se plaignent les habitants très remontés.
6 ans de calvaire
Un des habitants, membre du comité des habitants riverains, me reçoit chez lui. Sa maison se trouve à une quinzaine de mètres de l’entreprise. Impossible de s’asseoir à l’extérieur, il faut vite entrer pour se mettre à l’abri des poussières. Les portes sont fermées. « C’est notre calvaire quotidien depuis 6 ans», lance d’une voix haute dans un bruit assourdissant des machines concasseuses et broyeuses. Il raconte avec beaucoup de colère l’histoire de cette entreprise et le calvaire vécu.
L’usine de ciment, BUCECO commence en 2010 dans un terrain qui abritait Burundi Tobacco company (BTC). A l’époque, une usine de production du tabac. Mais la situation se complique davantage en 2016. C’est là où ils se sont confiés aux autorités administratives. « Ils ont minimisé l’impact et certains nous ont traités de rebelles au développement et l’autorité de l’État. Petit à petit, nous avons lancé l’appel en détresse et finalement ils ont compris qu’il y a un sérieux problème ». Visiblement, aucune étude sur l’impact environnemental de l’implantation de l’usine n’a été menée. C’est impossible, dit-il, de savourer la fraîcheur de l’extérieur de peur de s’exposer aux maladies. Il montre des fissures sur sa maison. Il s’indigne, car même le crédit contracté pour la construction n’est pas encore remboursé.
En février 2020, une délégation dirigée par Joseph Butore, 2eme vice-président dans le gouvernement de feu président Pierre Nkurunziza, s’est rendue sur les lieux. Des discussions entre les représentants de BUCECO, les autorités et les populations environnantes sont engagées jusqu’en juin. Il est conclu que la population doit quitter les lieux pour laisser la place à l’usine et s’installer ailleurs. Après s’être convenu sur les modalités de délocalisation, les discussions se sont arrêtées à cause, dit-il, des élections. « Début juillet, nous avons eu des informations comme quoi il est impossible de relocaliser les habitants pour ne pas détruire la ville de Cibitoke en pleine expansion. Que c’est BUCECO qui doit s’implanter ailleurs. C’était un ouf de soulagement pour nous. Nous avons attendu la concrétisation de cette annonce, en vain».
En janvier 2021, le secrétaire général du parti au pouvoir en visite dans cette province a soutenu l’idée de sa délocalisation. Pour cet habitant, c’est un signe que les autorités ont compris la dangerosité des effets de cette proximité. L’annonce du ministre en charge de l’environnement est rassurante. Mais des doutes et interrogations persistent quant à la mise en application de cette mesure. « Notre avenir est en danger. Cela ne risque pas de rester comme une lettre morte ? », s’interroge-t-il.
Des conséquences graves
Le traumatisme s’installe dans les cœurs de la population. Des bruits assourdissants ont déjà provoqué des problèmes d’audition. « C’est très grave pour les enfants. Mon enfant est sous traitement à cause de cette situation. Mais je n’ai pas d’autres choix. Pour converser nous sommes obligés d’amplifier la voix. Même si nous quittons nos domiciles c’est le même cas. Les autres nous considèrent comme des marginaux», raconte un père de famille dont la maison est presque mitoyenne de cette entreprise.
Ils parlent également des insomnies chroniques souvent chez les nourrissons à cause des bruits des machines concasseuses et broyeuses de pierres. Des irritations oculaires en cas de projection de ciment dans les yeux.
Le Samedi 20 février, une particule s’est déposée dans l’œil d’une élève en train d’étudier. Elle a été transportée à l’hôpital pour des soins.
M.N., un membre du comité des habitants de la localité dont la maison se trouve à moins d’une dizaine de mètres de l’entreprise, déplore que certains souffrent d’une bronchite chronique et autres atteintes de la fonction respiratoire à cause de l’inhalation de poussières de ciment. Les enfants de moins de 5 ans, fait-il savoir, sont les plus exposés. « Ma fillette de 4 ans souffre des problèmes respiratoires qui se sont développés à partir de trois ans. Je dois me rendre à l’hôpital chaque mois. Pour plus de répit, il a fallu l’envoyer chez sa grand-mère. A chaque fois qu’elle revient, c’est le même scénario». Il reste pessimiste quant à la concrétisation de la déclaration du ministre en charge de l’environnement. Il demande aux autorités d’être réactives face aux souffrances de la population.
Une expertise médicale afin de mesurer l’impact sanitaire
Elvis Kibuga est tenancier d’un restaurant à proximité du marché de Cibitoke. A un moment, il a suspendu ses activités à cause de la poussière en provenance de l’usine. Contraint par la cherté de la vie et sans autre source de revenus, dit-il, il a rouvert. Il s’interroge sur l’indifférence qui a caractérisé les autorités face au calvaire vécu par la population pendant toute cette période. « 6 ans que la vie des gens est en danger c’est trop. Nous avons tant souffert. Le gouvernement doit nous indemniser», soutient-il.
« Le ciment est incontournable pour la construction. Impossible de s’en passer. Mais sa fabrication est très polluante. Il faut d’abord protéger les habitants des alentours des industriels», fait observer pour sa part, un administratif à la base, Pour lui, cette question de l’impact de cette entreprise est très sensible. Personne ne veut s’exprimer publiquement pour ne pas risquer sa vie. Les familles des cadres subissent le même sort que le citoyen lambda. « Depuis 6 ans, ils ne se sont jamais exprimés pour ne pas perdre leurs postes. Car on ne peut pas le nier, il fut un temps où celui qui exposait ce problème s’attirait des ennuis». Il supplie le ministère en charge de l’environnement de faire avancer le processus pour sauver les vies humaines en danger.
Certains habitants restent pessimistes. Pour eux, les bonnes paroles et promesses ont été toujours faites, mais, impossible de joindre l’acte à la parole. « Ils ont annoncé la délocalisation de BUCECO sans préciser dans quels délais cela sera effectif. Nous avons toujours réclamé aux autorités de diligenter une expertise médicale afin de mesurer l’impact sanitaire de cette proximité de l’usine en vue d’établir des modalités d’indemnisations, mais rien ne semble bouger», s’indigne un des habitants.
Tous les habitants convergent sur la nécessité et l’importance de cette usine de fabrication de ciment pour le développement de leur province et le pays. Ici ils parlent notamment des familles qui vivent de la main-d’œuvre, mais aussi des commerçants qui s’approvisionnent en ciment sans faire des kilomètres. Pour eux, la vie est inestimable.
Carême Bizoza, gouverneur de la province Cibitoke, a salué l’annonce du ministre pour la délocalisation de l’entreprise Buceco. Il a fait savoir que le gouvernement a répondu aux doléances lui adressées dès le début de sa prise de fonctions. Trois sites susceptibles d’abriter cette usine en cas de délocalisation, indique-t-il, ont déjà été identifiés. Et d’annoncer que les constructions des maisons aux alentours de l’usine, qui avaient été suspendues, vont reprendre. Sur des indemnités réclamées par les populations victimes, M Bizoza a expliqué qu’il n’est pas habilité à répondre à la question.
Iwacu a essayé de contacter les responsables de l’entreprise BUCECO pour s’exprimer, en vain. Contactée à deux reprises, ce mercredi, 24 février, une réceptionniste a promis de chercher une personne mieux indiquée pour s’exprimer. « J’ai contacté le directeur général adjoint de la société. Même si c’est urgent, il m’a dit que quand il sera prêt à te répondre, nous allons t’appeler. Nous avons tes contacts », a-t-elle réagi, suite à notre relance ce jeudi 25 février.
Pour sa part le ministre Rurema a indiqué que « la mesure de délocalisation de l’entreprise BUCECO a été prise « au plus haut sommet » sans plus de commentaire.
A lire cet article, il y a lieu de se demander si un burundais lamda a droit à la qualité de l’environnement. Le calvaire connu par cette population e Cibitoke est vraiment pathétique.
A mon avis, je trouve que notre président a octroyé trop de responsabilités au Ministre en charge de l’environnement et de l’agriculture. Il serait préférable de nommer deux ministres dont l’un chargé des questions agricoles et un autre de celles de l’environnement. Ce dernier devrait s’atteler à travailler sur un projet de loi sur la qualité de l’environnement à soumettre à l’asemblée nationale pour examen et adoption. Le but de cette loi serait de reconnaître le droit des tous les habitants à la qualité de l’environnement.
Pour y arriver, la loi devrait prévoir notamment dans un article que nul ne peut entreprendre une construction, un ouvrage, une activité ou une exploitation ou exécuter des travaux suivant un plan, un programme sans suivre la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement et obtenir une autorisation du gouvernement. La loi devrait aussi inclure la mise sur pied d’un bureau d’audiences publiques sur l’environnement. Ce bureau devrait servir à recevoir le rapport de l’étude d’impact sur l’environnement du promoteur du projet ainsi que les mémoires des personnes situées dans la zone où un projet quelconque va être implanté pour, in fine, donner son avis au ministre s’il faut rejeter le projet proposé par le promoteur, le modifier ou l’accepter.
Le coût de la délocalisation va être colossal. Les vies humaines et même animales ont été mises en danger, les séquelles prendront beaucoup de temps pour se dissiper. On pouvait pourtant éviter ces catastrophes si on avait dès le départ réfléchi et décidé sur un meilleur emplacement de l’usine, loin des habitations. Décider sur un projet sans en mesurer les conséquences est l’un des points faibles de notre République. C’est profondément affligeant, car les erreurs de ce genre se paient toujours cash.
Délocalisation ou pas, le problème environnemental ne sera résolu que si la nouvelle construction de l’usine comporte une solution pour recueillir et contenir ces résidus et particules poussiéreux. De plus, il faudra identifier un site pour en disposer et concevoir un autre mécanisme pour se débarrasser ou recycler les déchets qui auront été recueillis.
Toute conception d’une production manufacturière devrait comporter des sections qui expliquent clairement les impacts sur l’environnement et la vie (animale, aquatique, végétale et humaine), le comfort des habitants (zones résidentielle, commerciale, industrielle, écoles, hôpitaux, secteurs touristiques, etc.) ainsi que des solutions qui seront mises en place pour prévenir, sinon atténuer, les conséquences négatives.
On peut notamment penser à installer une clôture acoustique pour diminuer le bruit, la proximité d’une usine de traitement des eaux usées, exiger que toutes les machines soient installées à l’intérieur d’un bâtiment pour empêcher que ces particules polluantes se répandent dans la nature ou incommodent les voisins, que ce soit d’autres départements de la même usine ou d’autres compagnies, ou encore la végétation, la faune ou la population environnantes.
La gestion du bruit, des déchets et résidus découlant de l’exploitation d’une usine font partie des exigences de base dont toute autorité doit tenir compte avant d’accorder les permis initiaux.
Et si la solution telle que décrite ci-dessus est de seulement trouver une autre place ou reconstruire, on ne fait que changer le mal de place.