Les cas de viol sur mineures refont surface notamment dans la province de Bubanza. Mais, ce qui est déplorable, à cause de la pauvreté, certains parents des victimes abandonnent les poursuites judiciaires des présumés auteurs. De leur côté, les défenseurs des droits humains dénoncent les arrangements à l’amiable opérés par certains administratifs à la base.
Les récits en rapport avec les cas de viols douloureux se font entendre à Bubanza. Les cas qui parviennent au niveau des activistes de la société civile dans le domaine des violences basées sur le genre (VBG) ne montrent qu’une partie de l’iceberg. Selon ces activistes, les victimes sont surtout les fillettes de moins de cinq ans.
Nous sommes par exemple au quartier Masaka, au centre-ville de Bubanza. Nous entrons dan un ménage où il y a une fillette de cinq ans, écolière en première année qui a été violée. A notre arrivée, sa mère Doris Ndayishimiye s’occupe des travaux ménagers. Elle prend le temps de nous accueillir.
Après une brève présentation, elle raconte le malheur qui s’est abattu sur sa fille. « Le 5 décembre 2023, à mon absence, le nommé Bienvenu Habimana, marié, s’est introduit dans la maison, il a sauté sur ma fille et il l’a violée ».
De son retour à la maison, c’est là qu’elle constate que sa fille a été abusée. Dans la fraîcheur des faits, elle saisit la Police. Cette dernière appréhende et emprisonne le présumé violeur. L’instruction prend son cours normal et le dossier a été vite transféré au parquet de Bubanza.
Une décision boulversante
A sa surprise, la maman de la victime a été bouleversée par la décision prise par le tribunal « J’ai été à l’hôpital de Bubanza pour chercher un certificat médical. Mais ce dernier a été rejeté par le violeur », se désole en effet la maman de la victime. Elle est alors descendue à Bujumbura pour chercher un autre certificat médical au centre Seruka.
« Lors de la chambre de conseil, le tribunal de Grande instance de Bubanza a confirmé la détention de sieur Habimana », raconte Mme Ndayishimiye.
Au cours de l’audience publique devant le même tribunal, fait-elle savoir, le prévenu a été acquitté. Ce qui a étonné plus d’un. Elle regrette aussi le fait que la requête concernant les dommages et intérêts en faveur de la partie civile a été rejetée par le tribunal.
« Avant même que le violeur ne reçoive le billet d’élargissement, il s’est évadé le 31 janvier 2024 mais il est retourné en prison le 2 février 2024 », s’est encore étonnée la maman de la victime. Selon elle, des zones d’ombre entourent le déroulement du procès.
Elle précise toutefois que le Ministère public a vite interjeté appel. Elle demande alors au juge d’appel de lire et de dire le droit en considérant tous les éléments de preuve contenus dans le dossier.
Par ailleurs, Mme Ndayishimiye reste angoissée par le traumatisme vécu au quotidien par son enfant. « L’enfant vit traumatisée et elle a abandonné l’école craignant de rencontrer le violeur en cours de route », raconte-t-elle avec amertume.
Elle déplore que les cas de viol sur les enfants vont crescendo. Et pour preuve, lors de l’audience publique ci-haut évoquée, il y avait six dossiers en rapport avec les viols sur les fillettes. « Ça dépasse l’entendement », se désole-t-elle.
Des leaders communautaires intimidés
« Une fillette de trois ans de la colline Kanabubu a été violée par le concubin de sa mère. Elle a été surprise à la maison en l’absence de sa mère », raconte Sylvie Ndabacekure, membre du Groupe des femmes de paix et de dialogue qui portaient avant le nom de leaders communautaires.
Elle informe que les leaders communautaires se sont saisis du cas et ont porté l’affaire devant le parquet de Bubanza. « Le présumé violeur a été arrêté et emprisonné », confirme-t-elle et un certificat médical a confirmé le crime de viol.
Mme Ndabacekure signale le cas de deux autres fillettes violées sur la colline Shari II.
Elle évoque les menaces et les intimidations proférées par les familles des auteurs de ces viols à l’endroit des leaders communautaires. Il y a aussi des menaces de représailles qui pèsent sur les familles des victimes empêchant ces dernières de porter plainte.
Cependant, cette activiste dans le domaine des VBG encourage ces collègues et les parents des victimes à oser dénoncer les violeurs. Elle demande aux autorités administratives et policières de protéger les leaders communautaires, les victimes et leurs familles.
La pauvreté dans les ménages explique l’abandon des poursuites
Antoine Icihagazeko, chef du Réseau burundais des personnes vivant avec le VIH-sida (RBP+), antenne de Bubanza, fait savoir que le viol sur les fillettes refait surface. Selon lui, plusieurs facteurs expliquent cette situation inhabituelle.
Il y a, explique-t-il, les arrangements à l’amiable qui se font entre les familles des auteurs et les familles des victimes et ceci avec la complicité des administratifs à la base. « Des fois, suite à la pauvreté, les parents sont contraints d’accepter des sommes modiques d’argent versées par les familles des auteurs. Comme corollaire, ces parents abandonnent les poursuites »
Bien plus, le Ministère public ordonne souvent une réquisition à expert pour l’un ou l’autre dossier. Or, se désole M. Icihagazeko, les mêmes parents des victimes peinent à trouver des moyens de déplacement pour se rendre à Bujumbura afin d’avoir le certificat médical qui est délivré par le centre Seruka.
En outre, les parents des victimes éprouvent des difficultés face aux frais de déplacement et de la prise en charge des témoins.
« Les parties plaignantes abandonnent ainsi les poursuites. Les procédures traînent. Et par conséquent, les prévenus se voient relâchés suite au manque d’éléments de preuve », déplore cet activiste des droits humains.
Cet activiste des droits humains allonge la liste en évoquant une certaine lenteur observée dans le traitement des dossiers de viol au niveau des juridictions tout en ajoutant le coût élevé des procédures. Comme conséquence, « les parties plaignantes se découragent et se retirent ».
Le chef d’antenne de RBP+ à Bubanza recommande aux bienfaiteurs d’aider les parties plaignantes dans l’obtention des certificats médicaux pour une bonne instruction des dossiers de viol.
L’administration à la base se défend
Interrogé sur la complicité de certains administratifs dans le règlement à l’amiable des dossiers de viol, N.B, un chef collinaire défend sa cathédrale tout en ne niant pas la recrudescence des cas de viol sur les enfants.
« Nous sommes là plutôt pour inciter les victimes et leurs familles à dénoncer les présumés auteurs et à saisir les juridictions ».
Il revient sur la problématique de réunir les preuves dans ce genre de dossiers. Il invite lui aussi les intervenants dans la lutte contre les VBG à soutenir moralement et financièrement les victimes des viols.
« Nous demandons aussi à ces intervenants d’organiser des formations en rapport avec les VBG à l’endroit de la population et des administratifs », recommande-t-il.