Ils fabriquent cithares, boucliers, le lamellophone, des tambours… des sculpteurs perdus au fin fond de la province Bubanza. L’enclavement de la localité freine le développement de ces artisans de talent.
A environ 500 m de l’endroit appelé ‘’Kuri Projet’’, à plus ou moins 1 km du chef-lieu communal, le voyage s’annonce rude. Une vraie randonnée. Pour s’y rendre, on emprunte une sorte de sentier caillouteux aménagé dans le flanc d’une montagne.
Très risqué de s’y aventurer à bord d’une voiture. « Cette voie est destinée aux piétons », avertit un habitant de la localité. On opte pour la moto. Là aussi, ce n’est pas gagné. Le motard doit rester vigilant pour ne pas se retrouver dans la vallée. Un vrai désert humain, dominé par de hauts arbres.
A plus ou moins 1 km, le chemin se rétrécit. La moto commence à vaciller dangereusement. La marche devient la seule option. Finalement, des toitures de maisons apparaissent à travers des bananiers verdoyants et touffus. Une espèce d’arbres y domine : l’‘’umwungo’’. Apparenté à l’’’umuvugangoma’’ (l’arbre dans lequel on fabrique le tambour), cet arbre est très important dans cette localité.
A une dizaine de minutes de marche, de ‘’Kw’ibombo’’ (là où se trouve un robinet d’eau), on est accueilli par des bruits de coups de marteaux, de haches, etc. Une véritable industrie artisanale en plein air.
Des hommes, des jeunes s’activent. On y trouve des cithares, de petits tambours, des boucliers, etc. Certains prêts à être vendus, d’autres en cours de finition. Des artisans plus âgés supervisent. Les pères assistent à la technicité de leurs fils ou petits-fils. Des enfants papillonnent tout autour.
La cithare, leur spécialité
« Depuis l’époque monarchique, c’est exclusivement ici qu’on fabrique la cithare», témoigne Raphaël Barahinduka, 88 ans. Rencontré sur place en train de jouer de l’’’Inanga’’ (cithare) pour les enfants, il est dans ce métier dès l’âge de 20 ans. « C’est mon père qui me l’a appris ».
Aujourd’hui, il n’a plus de force pour exercer. Cependant, il se dit très réconforté de voir ses descendants perpétuer la tradition. Selon lui, c’est à cette seule sous-colline Cunzwe, colline Nyenkarange où vivent les sculpteurs les plus renommés dans la fabrication de cet instrument traditionnel.
Janvier Kubwamungu, un artisan de 45 ans, confirme : « Ce sont nos ancêtres qui nous ont légué cette technique. Nous en sommes très fiers.»
Un travail de longue haleine qui commence par l’abattage d’un ‘’umwungo’’ vieux d’au moins trois ans. Le tronc est ensuite divisé en morceaux selon les dimensions voulues.
La pièce est retravaillée, à l’aide de l’erminette (Imbazo), pour lui donner cette cavité. Les haches, les machettes, les couteaux croche ronds, des gouges et des burins pour sculpture… sont indispensables pour exercer leur métier.
On utilise également du feu pour l’embellir. « C’est à l’aide d’un métal passé au four qu’on met la coloration noirâtre au niveau des pieds ». Les parties de l’Inanga étant le ventre, le dos, les yeux, les pieds. C’est également grâce à ce feu qu’on creuse les petits trous (les yeux) observés au niveau du « ventre » de la cithare. Les cordes viennent du tendon d’une vache.
A Cunzwe, l’’’umwungo’’ est une vache laitière. « Un arbre dans lequel on peut fabriquer 20 cithares est vendu à 50.000BIF », raconte Rémy Nduwayo, un autre sculpteur.
Le prix unitaire de l’instrument se situe entre 8000BIF et 10.000BIF. Leurs clients proviennent de toutes les provinces du pays, y compris les Rwandais, avant la crise de 2015.
A Bujumbura, une seule cithare décorée avec un drapeau national ou une tête de lion par exemple peut coûter plus de 100 mille BIF. Dans le temps, ces sculpteurs s’approvisionnaient en bois dans la forêt de la Kibira. « Aujourd’hui, nous les avons plantés dans nos propriétés parce que c’est interdit de couper les arbres de la Kibira».
Une gamme d’autres objets
Mise à part la cithare, cette localité est un lieu des sculpteurs par excellence. Des lamellophones, des ustensiles de cuisine en bois, des boucliers, … y sont produits. «Notre principal métier. Pour le moment, j’ai d’ailleurs une commande de 65 lamellophones », révèle Rémy Nduwayo. Le coût unitaire est de 3.500BIF.
Pour sa part, Emmanuel Ruryaruryamye, 73 ans, s’exerce aujourd’hui aux ‘’ivyakunze’’ (ustensiles en bois utilisés pour traire) : « Je n’ai plus la force pour gravir des montagnes. Je travaille assis. » Entouré par ses petits-fils, il en a déjà fabriqué une dizaine. Chacun avec son couvercle en bois est vendu à 4.000BIF. Un métier hérité de son père et qu’il a enseigné à ses enfants. « C’est notre clan ‘’Abahinda’’ qui fournissait différents matériels en bois à la cour royale et aux princes de sang royal (Abaganwa).»
Un témoignage confirmé par Nduwayo, un conseiller de la colline qui précise que plus de 90% des habitants de Cunzwe appartiennent à ce clan.
De nombreux défis
L’éloignement freine leur développement, selon M. Nduwayo. « Peu de gens connaissent nos produits ». Leur localité est en outre difficilement accessible. Ce qui diminue les clients. Ces sculpteurs n’ont pas d’atelier : « Un grand nombre de sculpteurs travaillent chez eux par manque d’un endroit bien aménagé.» Or, un atelier commun leur servirait « d’école. » Le manque du matériel moderne et l’électricité ne favorise pas l’amélioration du travail et retarde les commandes. « Si on avait une machine, nous pourrions augmenter notre production en quantité et en qualité», confie M. Kubwamungu.
De plus, ils ne sont pas informés quand il y a des expositions des produits artisanaux. « Ce sont pourtant de bonnes occasions pour vendre ».
Une demande est adressée à l’administration pour leur trouver un espace plus visible près du chef-lieu de la commune. « Cela nous permettrait d’exposer nos produits, et de travailler en groupes et avoir ainsi beaucoup de clients ».
La requête a été bien accueillie par l’administration. Contactée, Mme Sylvie Nizigama, administrateur de Rugazi promet de soumettre bientôt cette question au conseil communal. Pour elle, ces sculpteurs font honneur à sa commune.