Samedi 23 novembre 2024

Politique

Bubanza – Assassinats et enlèvements. Des témoignages inquiétants

17/04/2020 Commentaires fermés sur Bubanza – Assassinats et enlèvements. Des témoignages inquiétants
Bubanza – Assassinats et enlèvements. Des témoignages inquiétants

Dans une correspondance adressée au procureur de la République en province de Bubanza, le député Fabien Banciryanino, dresse une liste de 21 personnes tuées ou portées disparues dans la province de Bubanza depuis 2016 jusqu’en février 2020. Le parlementaire demande au procureur d’ouvrir des enquêtes sur ces cas. Iwacu a essayé de faire la lumière sur ces disparitions.

Dossier réalisé par Fabrice Manirakiza et Alphonse Yikeze

Fabien Banciryanino: « Ces personnes ont été enlevées ou assassinées par les agents du Service de renseignement ou par la police. »

« Le but de cette correspondance est de rappeler au procureur et à ses instances leur mission de faire éclore la vérité pour que justice soit faite. Les familles pourraient enfin faire le deuil », indique Fabien Banciryanino.

Ce député élu dans la circonscription de Bubanza évoque des cas d’exécutions extrajudiciaires pour des raisons politiques. « Ces personnes ont été enlevées ou assassinées par les agents du Service de renseignements ou par la police. La plupart étaient des membres du Congrès national pour la liberté (CNL) ».

Les enquêtes du député Banciryanino se sont focalisées sur les communes de Mpanda et Gihanga. « Pour leur faciliter les investigations, j’ai mentionné leurs collines d’origine. Ils peuvent aller vérifier ».
Fabien Banciryanino confie qu’en plus de la correspondance qu’il a envoyée au procureur du parquet de Bubanza, ce 24 mars dernier, il avait déjà envoyé une autre à la ministre de la Justice. « Ce qui est inquiétant est qu’à partir du mois de mai 2019 jusqu’en octobre 2019, il y a eu 8 personnes tuées ou enlevées. C’est impressionnant ».


A Mpanda et à Gihanga, les habitants pleurent encore les leurs

De Kagwema à Nyamabere en passant par Murengeza, des reporters d’Iwacu ont fait des enquêtes sur certains cas :

Jean Marie Ndihokubwayo, l’« informateur »

Ce père de 3 enfants, la trentaine, vivait à la 2e avenue de la colline Kagwema en commune Gihanga. Selon des témoins, il avait passé la journée du 5 mai 2019 avec deux jeunes Imbonerakure, Eric et Emmanuel. « Ils lui avaient dit qu’il y a quelqu’un qui veut discuter avec lui dans l’après-midi », raconte un ami de cette personne qui est aujourd’hui portée disparue. Ces deux jeunes lui ont donné un téléphone portable parce qu’il n’en avait pas. « Ces jeunes se disaient collaborateurs du SNR, mais c’étaient en fait des malfrats », relate ainsi l’ami du disparu.

A 15 heures, ils l’ont appelé. Jean Marie Ndihokubwayo s’est rendu à la 3ème avenue communément appelée Kumugirigiri. « Il y avait une voiture de marque Toyota T.I avec des vitres teintées qui était garée là. Il y avait des gens à l’intérieur. Ils ont discuté avec Jean Marie, Eric et Emmanuel », racontent les témoins oculaires. Ces derniers auraient reconnu un certain Pascal, originaire de Muzinda et un autre homme du nom de Havyarimana de la mairie de Bujumbura.

Iwacu n’a pas pu retracer leur identité. Jean Marie aurait demandé à ces personnes de sortir de la voiture afin de discuter à l’air libre. « Elles sont sorties et elles l’ont jeté sans ménagement dans la voiture et cette dernière a démarré en trombe ».

D’après les habitants de la colline Kagwema, le disparu serait un informateur du Service national de renseignement (SNR). « Jean Marie travaillait avec le SNR. On l’envoyait souvent chercher des informations en RDC », confie un proche. « Il était aussi connu pour être un militant du Cndd-Fdd. »

D’après la famille, c’est la dernière fois qu’ils l’ont vu. « J’ai porté plainte contre Eric et Emmanuel à l’officier de la police judiciaire à Gihanga. Ce dernier m’a demandé d’aller chercher des témoins. Je suis revenu à 15 heures avec eux. Dans la soirée, il nous a dit de revenir le lendemain sans nous écouter. Après quelques minutes, il a relâché les deux jeunes hommes », raconte Evariste Ntibarizi, le père de Jean Marie. « Je suis allé chez le procureur de Bubanza. Il a émis des mandats d’amener. Les deux hommes ont été encore une fois arrêtés. Ils ont été incarcérés à Mpanda. Après 3 jours, ils ont été relâchés ».

D’après des sources à Mpanda, c’est un commandant d’un camp de Muzinda qui aurait ordonné leur libération.

Le père a fini par jeter l’éponge. « J’ai eu peur d’être le suivant ». Selon les habitants de la localité, les deux jeunes Imbonerakure se la coulent douce à l’endroit appelé Kumugirigiri. La famille demande à la justice de faire son travail afin de connaître les circonstances de la disparition de Jean Marie.

Jean Claude Bucumi alias « Ecomoge », le pêcheur

Le 23 février 2020, plusieurs hommes investissent, vers 19h30 minutes, le domicile de Jean Claude Bucumi alias Ecomoge. « Ils étaient habillés en noir. Ils ont commencé par demander où se trouvait Ecomoge. Il n’était pas à la maison », témoignent les voisins.

Ils affirment avoir reconnu un militaire du nom de Nsabimana de la position de Kagwema et des Imbonerakure à savoir « Maître », Dieudonné et Adrien. Iwacu n’a pas pu joindre ces personnes. « Comme il était pêcheur, ils ont dit à sa femme de l’appeler pour lui dire que des gens cherchaient du poisson. Le téléphone de son mari était éteint. Ils sont partis chez une voisine d’Ecomoge ».

Après une dizaine de minutes, les habitants ont entendu un homme appeler au secours : « Nimuntabare ndi Bucumi Ecomoge ! (Aidez-moi, je suis Bucumi Ecomoge !).

L’épouse de la victime affirme avoir entendu elle aussi les cris de son mari. « J’ai dit à mes enfants que nous devons courir vers leur père pour le sauver. Nous avons commencé à crier en appelant à l’aide. Nous entendions ses cris du côté de la mosquée tout près de la route Bujumbura-Cibitoke (RN5). On continuait à crier en allant vers lui. A un certain moment, sa voix est devenue inaudible. Nous avons entendu une voiture démarrer sans allumer les phares. J’ai continué à crier. Mes voisins m’ont aidé à appeler à l’aide ». Des larmes coulent dans ces yeux.

« Le lendemain, les forces de l’ordre sont venues à la maison et j’ai expliqué ce qui s’est passé. Depuis, rien n’a été fait ». L’épouse d’Ecomoge fait savoir que la famille a mené des recherches dans toutes les prisons, sans succès.

28 ans, ce membre du Congrès national pour la liberté (CNL) avait deux enfants. Sa femme craint pour sa vie et celle de ses enfants. « Je demande qu’on me laisse en paix. Qu’ils arrêtent de me menacer ». D’après des informations recueillies à Kagwema, on avait accusé Jean Claude Bucumi d’avoir aidé des combattants en provenance de la RDC à traverser la Rusizi.

Edmond Ndayishimiye, le démobilisé

Démobilisé du mouvement rebelle FNL avec le grade de Major, Edmond Ndayishimiye a été enlevé le 15 mai 2019. Il est originaire de la colline Murengeza en commune Mpanda. « Il est parti de la maison aux environs de 11 heures. Il se rendait dans les champs de riz dans la vallée de la colline Nyamabere. Aux environs de 14 heures, des gens sont venus nous dire qu’il vient d’être enlevé », confie un proche de la famille.
Selon des habitants de Nyamabere qui étaient dans les champs ce jour-là, Edmond Ndayishimiye a été enlevé par des gens à bord de trois voitures. « Il y avait deux voitures du modèle dit « Probox » ainsi qu’une camionnette de type « Hilux. » Des hommes en civil l’ont menacé avec des pistolets et l’ont fait entrer de force dans l’une de ces voitures ».
Ce père de deux enfants, âgé de 28 ans, est introuvable depuis ce jour-là. « Nous avons cherché dans tous les cachots. Il n’était nulle part. Nous avons fini par abandonner. On aimerait que le parquet fasse des enquêtes afin que la vérité soit connue ». La famille privilégie la piste d’un mobile politique car il était militant du CNL.

André Ngendakumana, le riziculteur

André Ngendakumana était un démobilisé de l’ancien mouvement rebelle FNL. Il habitait le village de Murengeza. Deux semaines avant sa disparition, jusque-là militant du CNL, Ngendakumana « avait fait amende honorable » auprès du Cndd-Fdd et en était devenu membre. « Vu comme un élément mobilisateur au sein de notre parti, il avait été terrorisé et forcé d’intégrer le parti Cndd-Fdd », nous a révélé un de ses anciens camarades de lutte.

Riziculteur, le jeune homme de trente ans avait été contacté, le 15 mai 2019, par une jeune femme qui tenait à lui présenter un terrain à vendre via des courtiers. Arrivé au lieu du rendez-vous fixé avec ceux-ci, André Ngendakumana et la jeune femme voient une voiture blanche de marque Hilux s’arrêter à leur niveau. Des hommes en sortent, pointent leurs armes sur eux et les obligent à monter dans le véhicule. Les courtiers qui, entretemps, venaient d’arriver sur les lieux, voyant la scène, rebroussent chemin en courant. La voiture démarre et se dirige vers la 9ème avenue au lieu communément appelé ‘’chez Sepa’’. Là, la Hilux est rapidement rejointe par « une petite voiture rouge » et une Jeep de type Prado aux vitres teintées. André Ngendakumana est emmené dans ce second véhicule qui a pris la route menant vers Bujumbura. La jeune femme avait, elle, été transportée dans « la petite voiture rouge ». La concernant, le camarade de lutte d’André avance qu’elle jouait en fait le rôle de ‘facilitatrice’ auprès des agresseurs. « Elle avait fini par être interpellée et enfermée au cachot communal de Mpanda. Des gens haut placés se sont par après présentés à la prison et l’ont fait libérer », a précisé le camarade de lutte d’André.

Ce dernier témoigne ensuite que la famille du disparu a dépensé au moins 600.000 mille BIF en vue de retrouver le leur avant d’accuser les autorités locales de n’avoir rien fait pour venir en aide à la famille de M. Ngendakumana. « Aucun discours de réconfort n’a été tenu par nos administratifs pour calmer les inquiétudes de la famille ! »

L’ami et camarade de lutte d’André demande à ce que la vérité se fasse jour dans cette affaire. « Nous aimerions qu’on nous dise si notre bien-aimé est mort ou vivant. S’il est vivant, que son lieu de détention soit indiqué. S’il est décédé, qu’on nous informe pour que nous procédions à la levée de deuil définitive. »

André Ngendakumana était marié et père de trois enfants.

Pascal Sibomana, alias ‘’Gakwavu’’, l’agent de sécurité

Âgé de trente-cinq ans, ‘’Gakwavu’’ habitait le secteur Nyamabere. Selon O.P, un proche joint par Iwacu, il aurait quitté son domicile, le 1 novembre 2018, pour se rendre à son lieu de travail. « Il partait habituellement à trois heures du matin car il travaillait comme agent de sécurité sur une barrière. » Tous les jours, Pascal Sibomana rejoint son domicile à 19 heures après ses heures de service. Ce jour-là, il ne rentrera pas. Rapidement, sa famille engage les recherches pour le retrouver, aidé par le chef de secteur Nyamabere.

En vain. « Nous appelons tous les jours son numéro de téléphone. Celui-ci sonne, mais quelqu’un d’autre décroche, mais nous n’entendons jamais sa voix », raconte O.P. Quelques temps auparavant, l’ancien démobilisé « avait fait amende honorable » auprès du Cndd-Fdd. « J’ai la conviction qu’il a été harcelé pour intégrer le parti au pouvoir. Malgré cela, ses co-partisans ne lui ont sans doute jamais fait confiance, finissant par se débarrasser de lui ! ». Pascal Sibomana était marié et père de cinq enfants.

Hyppolite Ndayisenga, le martyr de Busongo

Hyppolite Ndayisenga était originaire du village 2 du secteur Buramata. Le 11 juillet 2019, il est à Bujumbura. Il habite la Zone Kinama dans le quartier Ruyigi. Tôt ce matin-là, il sera appréhendé chez lui par le chef du parti Cndd-Fdd et le leader des Imbonerakure à Buramata. Menotté, il sera ensuite emmailloté dans un gros sac et emmené sur la colline Busongo. Là, en compagnie de Rénovat Bigirimana, il sera battu à mort en présence d’une foule d’habitants des environs. « Ils voulaient les enterrer dans une même fosse, mais l’administrateur communal, Léopold Ndayisaba, contacté par un des agresseurs par téléphone, a ordonné que les deux hommes soient ensevelis séparément », relate un témoin de cette scène macabre. Celui-ci nous révèlera qu’Hippolyte était un militant de longue date du parti CNL. Âgé de trente-quatre ans, le disparu était marié et père d’un enfant de sept ans. Riziculteur, il venait d’acheter un terrain cultivable à l’un de ses frères.

Jean-Baptiste Ndagijimana, alias ‘’Minani’’, le maçon parti trop tôt

‘’Minani’’ était maçon à Nyamabere et militant du Cnl. Selon un de ses proches, la victime a été enlevée à bord d’une voiture au niveau du chantier où il exerçait. C’était le 27 juillet 2019. Jean-Baptiste Ndagijimana avait entre 32 et 35 ans. Il était marié et père d’un enfant.


Réactions

Jean-Claude Nsengiyumva : « Nous sommes au courant ! »

Le procureur de la République dans la province Bubanza, Jean-Claude Nsengiyumva, fait savoir qu’il a reçu la correspondance que lui a adressée le député Fabien Banciryanino. Toutefois, il dit que dès que le magistrat en charge de cette affaire sera disponible, le parquet appellera Fabien Banciryanino pour plus d’éclaircissements.

Floribert Biyereke : « Des calomnies ! »

Le porte-parole de l’armée, Colonel Floribert Biyereke, estime que les accusations portées contre le commandant du Camp Muzinda sont farfelues. « Le commandant d’un camp militaire n’a pas le pouvoir de faire libérer des gens détenus au commissariat provincial. Cette affaire est du ressort unique de la police et non de l’armée ! ». Et de soutenir que les personnes qui avancent de telles accusations « n’ont d’autre but que de salir des membres de l’armée et empêcher par exemple qu’ils bénéficient de missions de l’armée à l’étranger ».

Isaïe Ndayizeye : « Aucun cas de disparition à Gihanga »

Le président du parti Cndd-Fdd dans la commune Gihanga, affirme que les disparitions signalées dans sa commune et imputées pour certaines aux Imbonerakure, sont une invention. « Ici, chez moi, tout va pour le mieux ! Il n’y a jamais eu de cas de disparitions ! »

Léopold Ndayisaba : « Je ne suis pas policier »

Interrogé sur son rôle présumé dans l’assassinat d’Hyppolite Ndayisenga, Léopold Ndayisenga, administrateur communal de Gihanga, s’est exclamé. « Je ne suis pas policier pour ordonner des exécutions ! » Et d’ajouter que s’il pouvait connaître l’identité de « son accusateur », il porterait plainte contre lui.

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