Réuni, le 21 novembre 2023 pour analyser la tendance économique internationale, le comité de politique monétaire de la BRB, a pris la décision de hausser le taux directeur à 10%. En pleine mauvaise conjoncture économique, plus que tout, au vu de ses conséquences sur le financement des projets de la population, « une décision à laquelle la BRB aurait dû surseoir », s’accordent à dire bon nombre d’économistes contactés.
« Bien que nous reconnaissions la nécessité de fournir un stimulus économique, nous pensons que la meilleure façon d’aider l’économie pour le moment est la stabilisation des prix afin de contenir les pressions inflationnistes sur la stabilité de la monnaie burundaise », a concédé Normand Bigendako, actuel gouverneur de la Banque de la République du Burundi (BRB). C’était en marge de l’évaluation du 4e trimestre de la politique monétaire.
Il a toutefois laissé entrevoir une éclaircie à venir. Il faisait référence aux perspectives de l’économie nationale qui restent pour lui optimistes bien que sujettes à des incertitudes, à l’instar de cette tendance à la baisse de la croissance mondiale consécutive aux conflits géopolitiques pouvant être sources de dysfonctionnements des chaînes d’approvisionnement, de la baisse de la demande à l’échelle internationale due en partie aux restrictions des conditions monétaires dans la plupart des pays afin de faire face aux pressions inflationnistes.
Et d’assurer qu’au Burundi, au niveau des finances publiques, le tableau n’est pas si sombre. A titre illustratif, il a indiqué que le total des recettes a augmenté de 14,0% au troisième trimestre 2023 par rapport à celui du même trimestre 2022. Comme explication il évoque notamment la mise en place du système de déclaration et paiement en ligne des impôts et taxes par l’Office burundais des recettes (OBR).
Nonobstant, malgré les bonnes projections, le comité de politique monétaire a reconnu une nécessité cruciale de mettre en œuvre une politique monétaire efficace pour stabiliser l’inflation. « Dans cette optique, la banque centrale s’engage à adopter une approche prudente et adaptative pour assurer la stabilité des prix en priorité malgré le besoin de stimulation de l’activité économique ».
Pour y arriver, le gouverneur de la BRB, a énuméré une série de nouvelles réformes, entre autres le maintien d’une politique monétaire restrictive, tout en continuant à refinancer l’agriculture et l’élevage ; l’adoption du taux directeur qui a été fixé à 10% pour le quatrième trimestre 2023 comme nouvel instrument de politique monétaire.
En grande partie, la décision a été prise dans le cadre des exigences du Fonds monétaire international (FMI) de resserrement budgétaire. Il faut comprendre à ce niveau des contraintes budgétaires visant la limitation des ressources dont disposent les consommateurs (citoyens, entreprises,) pour acheter les biens et services.
Une mesure limitant la production
Plusieurs experts-économistes ne l’entend de cette oreille puisqu’ils décrient plutôt la mesure. D’autant qu’elle va encore mettre en mal la vie du citoyen touché de plein fouet par la récession. Ces experts trouvent aussi que la décision limitera la production, l’épanouissement du secteur privé au détriment du secteur public qui sera en train d’assécher les quelques deniers disponibles.
Faustin Ndikumana, président de Parcem est très catégorique. Il explique que : « Cette mesure ne sera pas sans conséquences, surtout qu’elle n’est pas contrebalancée par l’augmentation de la production ».
Il s’agit pour cet activiste d’un corollaire qui peut contribuer à l’inflation excessive. Il estime également que cette augmentation du taux directeur va inexorablement se répercuter sur les taux d’intérêt pratiqués par les banques commerciales et institutions de microfinances qui vont augmenter, le seul dessein étant de contrer l’augmentation de l’offre de monnaie au sein de la population. Pour cet activiste, la question est aujourd’hui de voir ce qui sera l’attitude de la politique monétaire du trésor.
« Aujourd’hui, la tendance est que la politique budgétaire donne la latitude au gouvernement de continuer à emprunter sur le marché monétaire et bancaire. C’est-à-dire qu’en émettant les obligations et bons de trésor, le gouvernement s’endette. Ainsi les capitaux s’assèchent » Il s’agit donc d’un état de fait aux conséquences incommensurables surtout que cela renforce les effets d’éviction. « Dans pareils cas, vous trouverez que le secteur privé sera financé dans les moindres proportions au détriment du secteur public. Autrement dit, les banques commerciales auront tendance à beaucoup financer l’Etat » fait-il observer.
Au regard de cette kyrielle de conséquences, une telle décision doit être suivie par des mesures d’accompagnement. « Sinon, elle va limiter la production et l’épanouissement du secteur privé, car, c’est le secteur public qui sera en train d’assécher les quelques deniers disponibles », conclut-il.
Quant à Dr Diomède Ninteretse, enseignant d’universités estime que cette mesure est loin d’apporter une solution. « Au contraire, elle risque d’envenimer la situation surtout le pays fait face aux problèmes de croissance économique. »
De quoi laisser entendre que cette mesure devrait être réanalysée en profondeur. « Pour le cas de notre pays, je pense que l’idéal aurait de baisser le taux directeur, ainsi permettre les agents économiques de financer leurs projets. » Aussitôt de lâcher : « Si le taux directeur est actuellement de 10% qu’en sera-t-il des taux d’intérêts ? Forcément, ils vont frôler les 22-23%. »
Et dans pareils cas de figure, il voit mal comment le pays sera de s’approvisionner normalement en certains intrants sans possibilité d’accéder aux crédits. « Un vrai casse-tête d’autant que nous importons à 80% et qu’il y a pénurie des devises ». Si rien n’est fait dans l’immédiat, cet expert prédit déjà la faillite des entreprises, éventuellement la déconfiture des ménages et des individus.
Eclairage
Jean Prosper Niyoboke : « Attendez-vous à des faillites en cascade des entreprises »
Pour un pays comme le Burundi qui fait face à une crise économique sans précédent, cet enseignant d’universités explique que l’ensemble de mesures prises doivent avant tout aller dans le sens d’inciter la population à soutenir l’économie du pays à travers notamment des prêts à des taux préférentiels pour initier des projets d’élevage, d’agricultures, à l’instar des projets de cuniculture dont pas mal de coopératives sont en train de développer. « Or, cette hausse du taux directeur entraîne l’augmentation du taux d’intérêt des banques commerciales et institutions de microfinance. Vous comprenez que cela va étouffer cette dynamique entrepreneuriale qui commence à se remarquer dans plusieurs localités du pays »
Avec la vision de faire du « Burundi, un pays émergent en 2040 et un pays développé en 2060 », cet expert rappelle que nombreux sont les acteurs qui avaient contracté des crédits auprès des différentes banques commerciales pour soutenir cette politique. Avec cette hausse du taux directeur de la BRB, M. Niyoboke se demande si les banques commerciales ne voudront pas à leur tour hausser les taux d’intérêts. « Si cela venait à être le cas, ce serait un vrai casse-tête surtout qu’en contractant ces dettes les acteurs économiques avaient donné des garanties, des hypothèques proportionnelles au crédit contracté ».
Il n’a alors aucun doute qu’il y aura des projets mort-nés suite à cette mesure. Ou simplement, les gens ne voudront plus investir, tranche-t-il.
Partant du fait que l’activité des banques est axée sur l’argent qu’elles mobilisent de par leurs activités de ces acteurs (dépôts), cet enseignant s’interroge sur comment « ces banques commerciales continueront à fonctionner si ces acteurs décident de ne plus s’approvisionner via leurs banques ».
Et de lâcher : « Cette mesure ne vient que pour freiner une économie à l’agonie ». Car, ajoute-il, quand bien même théoriquement cette mesure peut être efficace, préalablement, la BRB devrait avoir pris en compte la réalité du terrain. Allusion faite aux nombreux biens importés et aux chantiers en construction qui nécessitent des financements.
De quoi se demander s’il n’y a pas d’autres instruments pouvant contenir cette inflation que la BRB aurait pu utiliser. « Si la conséquence majeure attendue de cette hausse affecte rationnement le crédit envers les particuliers, attendez-vous bientôt à des entreprises qui mettront la clé sous la porte surtout qu’aucun investisseur ne voudra travailler à perte, sans possibilité de financer d’autres activités cause du poids du crédit hyper cher qu’il sera en train de rembourser ». Il fallait donc explorer d’autres scénarios possibles.
« Sachant que certains pays de la sous-région comme la Tanzanie et le Rwanda offrent des taux d’intérêt relativement préférentiels les investisseurs au Burundi risque de migrer vers ces pays », prévient l’expert.
La mesure de hausser le taux directeur à 10% avait été énoncée dans la « Déclaration de politique monétaire pour la quatrième trimestre 2023 » signée le 1er décembre 2023.
Il est aussi intéressant de noter que dans cette même déclaration, il était décidé que la « Banque centrale va transférer les comptes en devises des ONG et autres entités privées aux banques commerciales à partir du 1er janvier 2024 ». Il n’y a pas eu beaucoup de publicités sur cette question.
Vous vous rappelez sans doute les mesures prises il y a quelques années contre les ONG d’abord pour les obliger à engager leur personnel selon les critères ethniques, et ensuite l’obligation d’ouvrir leurs comptes en devises uniquement à la BRB. Ces mesures ont fait fuir bon nombre d’ONGs et par conséquent ont diminué le volume de devises qui provenaient de cette source. Certaines personnes y trouvent l’une des raisons qui expliquent la diminution progressive et la rareté des devises sur le marché burundais. La BRB a donc rétropédalé, du moins en ce qui concerne les ONG. Reste à savoir si cela va ramener quelques devises de plus sur le marché.