Lundi 23 décembre 2024

Politique

Bonheur et inquiétude des grâciés de Mpimba

568 détenus dont des membres du MSD et des manifestants contre le 3ème mandat, ont été libérés ce lundi 23 janvier de la prison centrale de Mpimba. La grâce présidentielle annoncée par Nkurunziza, dans son discours de nouvel an concerne 2.500 prisonniers. Certaines voix parlent d’une mesure plus politique que de bonne foi. Iwacu fait le point.

Aimée Laurentine Kanyana, remettant une attestation d’élargissement à une bénéficiaire de la grâce présidentielle
Aimée Laurentine Kanyana, remettant une attestation d’élargissement à une bénéficiaire de la grâce présidentielle

Parmi ces prisonniers, 58 membres du Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD) arrêtés le 8 mars 2014. Sans donner le nombre exact, Aimée Laurentine Kanyana, ministre de la Justice a affirmé que même les manifestants contre le 3ème mandat figurent parmi ces détenus grâciés. « Il s’agit là d’un cadeau du président de la République parce que ces derniers ne s’attendaient pas à une libération à voir les destructions tant humaines que matérielles causées lors de l’insurrection », a-t-elle fait savoir. Des coupables des crimes imprescriptibles aussi libérés : « Si on parle des crimes imprescriptibles, c’est à dire des crimes pour lesquels aucun pardon ne peut être accordé », a-t-elle expliqué. Néanmoins, a-t-elle nuancé, le Président de la République a le droit de prendre une mesure pour cette catégorie de personnes. Et cela en fonction de l’évolution de la situation, du comportement démontré par les concernés, a-t-il défendu.

La ministre de la Justice a précisé que cette libération vise à désengorger les prisons jusqu’à 60% pour l’année 2017. A cette occasion, Gervais Hajayandi, directeur général des affaires pénitentiaires a indiqué que la seule prison centrale de Mpimba abrite 3605 prisonniers alors que sa capacité d’accueil est de 800…

Aux ’’opposants’’ libérés, Mme Kanyana leur a dit que l’’’insurrection’’ a échoué et que la paix règne dans le pays: «Vous avez perdu votre combat, la paix règne pour le moment. Tenez-vous loin de ceux qui peuvent encore une fois vous appeler à l’insurrection.»

Consciente de la cherté de la vie, elle leur conseille d’écrire une lettre au président de la République en cas de difficultés financières au lieu de s’adonner au banditisme.

La joie mais l’inquiétude aussi

La joie se lisait sur la plupart des visages des bénéficiaires de cette grâce présidentielle. Certains même n’y croyaient pas avant la réception d’une attestation d’élargissement. « C’est une grande surprise pour moi. Il faut attendre que je sorte d’ici pour parler aux médias », lâche une femme membre du parti MSD, souriante, qui ne cessait de regarder sur sa montre comme si les heures n’avancent pas. « Une mesure salutaire », confie un autre bénéficiaire : « J’avais été arrêté lors des manifestations contre le 3ème mandat. Et je ne m’attendais pas à une libération.»

Un autre homme libéré se dit également heureux. « Ici la vie était très difficile mais on parvenait quand même à manger au moins une seule fois par jour. Mais, il paraît que la famine fait rage dans le pays. Nous avons besoin donc d’être accompagnés », plaide-t-il, précisant qu’il venait de passer plus de deux ans dans la prison. Et d’exprimer un vœu : «Nous appelons le président de la République à libérer tous les prisonniers politiques pour qu’ensemble avec ceux qui sont poursuivis et ceux qui ont fui le pays, nous puissions reconstruire notre pays».
D’autres personnes libérées se montrent très angoissées. Ils ne veulent même pas qu’on leur prenne en photos. « Il faut nous laisser d’abord arriver dans nos familles pour parler aux médias », lâchent-ils, tout en dissimulant leurs visages. « Nous avons peur pour notre sécurité une fois arrivés dans nos quartiers », se plaint un jeune, membre du parti MSD.

Il se dit très traumatisé par des cas des jeunes libérés et retrouvés après assassinés ou utilisés par les agents du service national de renseignement (SNR).

Mis à part certains ressortissants de la mairie de Bujumbura, toutes les personnes libérées ont été conduites à bord des camions de la police vers les provinces d’origine.


Qui sont les personnes libérées et leurs condamnations ?

TGI, comparution des prévenus du MSD
TGI, comparution des prévenus du MSD

58 membres du MSD ont bénéficié de la grâce présidentielle après plus de deux ans sous les verrous.
Pour rappel, dans la matinée du 8 mars 2014, une centaine de jeunes du parti MSD, foulards aux couleurs du parti autour du cou et autres banderoles, font du sport. Arrivés au centre-ville de Bujumbura vers 10 heures, ils se sont heurtés à un dispositif policier qui les a dispersés.

Une vingtaine d’entre eux sont capturés puis conduits au parquet et à la prison centrale de Mpimba. D’autres jeunes fuient vers la permanence nationale du MSD, située au sud de Bujumbura.

Des policiers les pourchassent en leur lançant des gaz lacrymogènes, les jeunes répliquent avec des jets de pierres.
A la permanence, une dizaine de jeunes sont arrêtés après un assaut mené par la police. Le lendemain, d’autres personnes sont arrêtées. Au total plus de 70 personnes seront écrouées à la prison centrale de Mpimba depuis ce 8 mars.

Un verdict sévère ?

La première comparution des membres du MSD devant le Tribunal de grande instance (TGI) de la mairie de Bujumbura siégeant en chambre criminelle a eu lieu le samedi 15 mars. Seuls 24 sur 71 prévenus ont répondu à l’audience. Ce fut le début d’un interminable procès.

Tous les prévenus sont dès lors accusés de trois infractions : participation à un mouvement insurrectionnel, outrage et violence envers les dépositaires de l’autorité ou de la force publique.

Ils encourent 10 ans de prison. Toutefois au cours du procès, le ministère public a ajouté l’article 599 pour justifier la perpétuité requise contre les prévenus. Au total, 22 membres vont être condamnés à perpétuité, dix membres pour dix ans et 14 membres cinq ans.

Effectifs des condamnés à la servitude pénale

Dossier détenus MSD : perpétuité : 22 ; dix ans : 10 ; cinq ans : 14.
Dossier manifestants : 6 mois : 1 ; 2 ans avec une année de sursis : 22 ; 2 ans : 102 ; 3 ans : 13 ; 5 ans : 3.

Dossiers similaires, verdicts différents

Difficile de connaître le nombre exacts des contestataires du 3ème mandat arrêtés et emprisonnés. Ils ont été appréhendés dans différents endroits et à des moments différents. Lundi 19 octobre 2015, une centaine de manifestants ont comparu devant le Tribunal de Grande Instance (TGI) de Bujumbura.

Mardi 24 novembre 2015, alors que les faits sont quasi identiques, le Tribunal de Grande Instance de la mairie a rendu des verdicts distincts pour ces derniers et les jeunes du parti MSD.

Quatre infractions sont alors formulées contre les membres du parti d’Alexis Sinduhije : rébellion, coups et blessures volontaires, outrages publics envers les policiers et participation à un mouvement insurrectionnel. Selon le code pénal, elles sont punissables d’une servitude pénale respectivement de 10, 2, 3 ans et la perpétuité.
On retiendra que le verdict du juge a été de loin moins sévère que le réquisitoire de perpétuité du ministère public.
24 novembre 2015 sera condamné à la servitude pénale de 6 mois, un manifestant, à 2 ans avec une année de sursis 22 manifestants, 102 condamnés à 2 ans de prison, 13 à 3 ans et trois autres condamnés à 5 ans de servitude pénale.


>>Réactions

didier-rayndersLa Belgique satisfaite

Didier Reynders, Chef de la diplomatie belge trouve que c’est un pas dans la bonne direction et un geste d’ouverture des autorités burundaises. Il espère que d’autres prisonniers d’opinion pourront bénéficier d’une telle mesure.


ida-sawyer« C’est un bon signe »

« Human Rights Watch salue la grâce présidentielle accordée à 2.500 prisonniers, parmi lesquels il y a des prisonniers politiques », a déclaré Ida Sawyer, au nom de HRW. « C’est un bon signe. Le système judiciaire devrait libérer ceux qui ont été arrêtés arbitrairement ». Selon elle, le pouvoir devrait faire en sorte que la sécurité de tous les citoyens et celle des personnes libérées soit garantie.


jacques-nshimirimana« Une surprise »

Sur la libération des prisonniers politiques, Jacques Nshimirimana, président de la Fédération des associations engagées dans le domaine de l’Enfance au Burundi dit que c’est du nouveau : « Personnellement, ça a été une surprise de voir les prisonniers politiques, des gens accusés d’avoir participé pleinement dans les manifestations libérés ». Selon lui, c’est peut-être lié aux raisons politiques mais c’est un acte louable.


jeremie-minani-copie« Une tactique d’amadouer les bailleurs »

S’exprimant au nom du Cnared, Jérémie Minani, dit que c’est une bonne chose. Ce qui ne signifie pas pourtant que le régime change de couleur : « C’est une tactique d’amadouer les bailleurs afin de bénéficier d’un assouplissement des sanctions ». Face à l’asphyxie économique, analyse-t-il, le seul moyen de se rapprocher des bailleurs est de mentir qu’il est en train de libérer des opposants.


leonce-ngendakumana« Une action de bonne foi ou de propagande ? »

« La question est de savoir s’il s’agit d’une œuvre de bonne foi ou de la propagande ? », s’interroge Léonce Ngendakumana, vice-président du Frodebu. Vu l’organisation de cette journée, il ne doute pas que le régime vise à abuser la Communauté Internationale et à se montrer plus libéral. Car, la libération des prisonniers politiques fait partie des conditionnalités pour la reprise de la coopération.


baribonekeza« Ce n’est pas suffisant»

« Notre souhait est de voir un grand nombre des prisonniers bénéficier de la liberté et que les prisons soient désengorgées », réagit Jean Baptiste Baribonekeza, président de la Commission nationale indépendante des droits de l’Homme (CNIDH). Selon lui, d’autres mesures devraient être prises pour que ce soient les vrais condamnés qu’on trouve dans les prisons.


pierre-claver-mbonimpa« Une grande avancée »

Pierre Claver Mbonimpa, un activiste de la société civile trouve que cette action est louable : « C’est une grande avancée.» Mais, c’est une goutte d’eau dans un océan. En vue de désengorger les prisons, il propose la libération de tous les prisonniers politiques et les auteurs des infractions mineures.


Eclairage


Lundi 23 janvier, à la prison centrale de Mpimba, Aimée-Laurentine Kanyana, ministre de la Justice a dit que des auteurs des crimes imprescriptibles ont bénéficié de la grâce présidentielle. Iwacu a approché Maître Dieudonné Bashirahishize.

Me Dieudonné Bashirahishize
Me Dieudonné Bashirahishize

« Au Burundi, l’article 146 de la loi N°1 /05 de la 22/4/2009 portant révision du code pénal stipule que l’action publique est prescrite, après une période variant entre une année et 30 ans sans qu’il n’y ait début des poursuites », éclaire-t-il, ajoutant que ces délais varient selon la gravité de l’infraction. Et l’article 150 de la même loi indique que l’action publique relative aux crimes de génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité est imprescriptible.

Me Bashirahishize précise que le facteur temps ne joue aucun rôle : « C’est ainsi que plus de 50 ans après le génocide des juifs, les nazis étaient et restent traqués, que les génocidaires du Cambodge sont jugés plus de 40 ans après, etc »

Selon lui, excepté les crimes imprescriptibles, tous les autres crimes peuvent être grâciés. En effet, explique-t-il, ces premiers dépassent la souveraineté des États car commis contre l’humanité toute entière. Une fois qu’ils sont avérés, l’ONU peut enjoindre à la CPI de poursuivre les auteurs même si les autorités grâcient ou soutiennent ces crimes. «Même lorsqu’ un État n’a pas ratifié le Statut de Rome, les poursuites se font sans l’aval de l’État concerné ».

Ainsi, analyse Me Bashirahishize, les peines issues de condamnations pour crimes imprescriptibles ne peuvent pas être éteintes par la grâce présidentielle. Par conséquent, se résume-t-il, la déclaration de la ministre est erronée sauf si pour Madame la ministre, avoir une opinion contraire au régime est devenu un crime imprescriptible. Il est convaincu par ailleurs que personne de ces ‘’libérés’’ n’était poursuivi pour un crime imprescriptible. « Ils étaient poursuivis pour atteinte à la sécurité intérieure ou extérieure de l’État qui est une infraction qu’on colle souvent aux prisonniers politiques ou d’opinions ».

Relativement à la prescription de la peine, il signale que c’est une durée au-delà de laquelle une condamnation pénale devenue définitive à une peine mais dont l’exécution n’a pas commencé s’éteint.

L’autre mode d’extinction de la peine est la grâce qui consiste dans la remise totale ou partielle par le pouvoir exécutif des peines prononcées dans leur commutation en d’autres peines moins graves déterminées par la loi.
Cependant, nuance-t-il, l’article 170 précise néanmoins que la grâce n’éteint pas les peines prononcées contre le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.

Selon lui, il existe deux autres mécanismes juridiques qui emportent la disparition de la possibilité de mettre en exécution la peine : « Il s’agit de l’amnistie et de la réhabilitation qui font disparaitre non seulement l’exécution mais aussi la condamnation dans son ensemble. » L’amnistie étant l’acte par lequel le pouvoir législatif interdit d’exercer ou de continuer des poursuites pénales et efface des condamnations prononcées.
Le génocide, le crime contre l’humanité et le crime de guerre ne peuvent faire objet d’aucune loi d’amnistie selon l’article 171 du code pénal.

Quant à la grâce amnistiante, l’article 177 précise que c’est la combinaison de la grâce et de l’amnistie à laquelle le législateur recourt pour introduire
plus de justice dans l’application de l’amnistie.

Et en vertu de l’article 179, Me Bashirahishize indique que la grâce amnistiante efface ou réduit les condamnations pénales et laisse subsister les autres effets de l’action publique ou de la condamnation. Bref, conclut-il, la grâce amnistiante est donc, une amnistie accordée à une catégorie de condamnés réservée par le législateur aux seuls individus qui auront obtenu un décret de grâce pris par le pouvoir exécutif.

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Matayo

    None le président mumushirahe muri abo bose vu qu’il s’est gracié lui-même et qu’il portait et porte encore une amnistie.

  2. Alain Kamwenubusa

    Ces detenus n’auraient meme pas dus etre en prison puisqu’ils n’ont fait qu’exprimer leur opinion politique, droit que leur accorde la Constitution. C’est plutot ceux qui ont viole cette Constitution qui devraient les remplacer en prison.

  3. Kabingo Dora

    De quoi peut on se réjouir lorsqu’on est libéré après avoir été emprisonné injustement ? On devrait être indemnisé au contraire et condamner la clique au pouvoir à Bujumbura

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