Des chimpanzés pullulent dans la réserve forestière de Bururi. Huit pisteurs ont la mission de les suivre quotidiennement. Malgré leurs efforts pour les protéger, ces primates ne sont pas à l’abri des menaces. Reportage.
Au chef-lieu de la province Bururi, un centre en pleine extension. A côté des anciennes constructions, de nouvelles maisons rendent le lieu attrayant. En zone montagneuse avec une altitude variant entre 1800 et 2300m, il fait froid. La réserve forestière de Bururi se trouve sur un massif montagneux surplombant le centre.
Un habitat propice pour le chimpanzé commun (pan troglodytes). « Nous y avons déjà répertorié une cinquantaine », affirme Claude Nshimirimana, un des pisteurs des chimpanzés dans cette réserve de 3300 ha. Néanmoins, pour les retrouver, il faut un travail courageux.
Près du pont Siguvyaye, une piste y a été aménagée. Des arbres géants laissent difficilement filtrer les rayons solaires. Des chants d’oiseaux déchirent le ciel. Mouches et autres insectes grouillent.
Un vrai désert humain. Pas de maisons dans le coin. A 2 km, la piste devient glissante et étroite. La voiture commence à chavirer. La marche à pied reste la seule option. A presque 5 km de marche, on est à Rugereka, zone Gasanda, commune Bururi.
C’est là qu’Eloi, un autre pisteur des chimpanzés, nous attend : « Ils sont là. Mais, je ne suis pas sûr que vous allez grimper jusque-là.»
Pour ne pas les effrayer, des règles à suivre sont annoncées : « Ils ne vont pas vous attaquer. Mais, ils détectent facilement les intrus dans leur habitation. Il faut y aller doucement, silencieux. Et s’ils viennent vers vous, ne tentez pas de fuir. Montrez-leur que vous ne présentez aucune menace.» Des flashs sont également interdits en prenant des photos. Il nous propose aussi de mettre leurs tenues : « Ils en sont habitués. Ils ne vont pas facilement réaliser qu’il y a des visiteurs.»
Avec ces mots, ces injonctions, on réalise que la situation n’est pas aussi simple telle qu’on le croyait. Des hésitations. On se regarde. Un de notre équipe décidera d’ailleurs de ne pas s’y aventurer.
Après hésitation, la peur au ventre, on se décide de partir à la rencontre des chimpanzés. Cette fois-ci, on quitte la piste pour escalader la pente. Pas de sentier. On se faufile dans les hautes herbes touffues. On s’y attache pour ne pas se retrouver dans la vallée.
Sans aucun moyen de défense, pas d’armes, les deux pisteurs n’arrêtent pas de nous tranquilliser. « Les chimpanzés ne s’attaquent pas aux visiteurs », glisse M. Nshimirimana, avant que mon coéquipier trébuche sur un tronc d’arbre et se retrouve à terre. Heureusement, il n’est pas blessé. Mais le doute s’installe. On se sent perdu. En danger. On est tenté de rebrousser chemin. Mais l’esprit de découverte nous pousse à progresser.
Des animaux organisés
Après une vingtaine de minutes, on entend des hurlements. « Ils nous ont déjà vus », avertit M. Nshimirimana. Il pointe du doigt un géant chimpanzé à une vingtaine de mètres accroché sur une branche d’arbre. Il bouge d’un arbre à un autre. Toujours les yeux braqués sur nous, il descend. Il remonte. Il arrache quelques branchages. Et le reste du groupe se met à crier, à bouger. Des ‘’mères’’ tiennent des petits dans leurs mains ou les portent sur leur dos. Des jeunes jouent, d’autres cueillent des fruits sauvages. De loin, on entend d’autres chimpanzés hurler.
Un comportement étrange et terrifiant pour les nouveaux venus mais significatif. « Normalement, c’est le chef de famille qui se manifeste le premier. Et c’est avec des cris qu’il avertit sa tribu de la présence d’un intrus, d’un danger dans leur habitat », explique M. Nshimirimana. Un signal pour orienter les autres vers la proie. « Quand le chef de famille tombe sur des bananes mures, il crie pour appeler les autres ». Ce qui débouche sur des conflits avec les riverains.
Des menaces multiformes
Dans cette réserve étendue sur les collines Mubuga, Burunga, Mugozi et Rukanda, les braconniers ne désarment pas. « Ils tendent des pièges aux antilopes et autres petits animaux. Malheureusement, ce sont les chimpanzés qui en font les frais ». Et ce, au moment où les éco-gardes n’ont pas du matériel adapté pour les secourir. « Quand il s’agit d’un petit chimpanzé, on se débrouille pour le sauver ». En cas d’un adulte, ces éco-gardes n’y peuvent rien. « Car, le reste de l’équipe devient très violent ». Ce qui fait que certains chimpanzés se retrouvent amputés d’une partie du bras ou de la jambe.
Pour sa part, Eloi déplore le comportement des riverains de cette réserve : « Ils n’ont pas encore compris l’importance de sa faune et de sa flore. Quand des chimpanzés se retrouvent dans leurs champs, ils n’hésitent pas à sortir des lances, des machettes.» Or, souligne-t-il, de tels animaux attirent les touristes. Bref, ils constituent une source des devises pouvant être utilisées pour la construction des écoles, d’hôpitaux, etc.
En plus des chimpanzés, cette aire protégée abrite également des insectes, les reptiles, les amphibiens, les petits mammifères et les oiseaux. Côté flore, les espèces caractéristiques sont principalement des entandrophragma excelsum (umuyove), un arbre pouvant atteindre 65 m de hauteur et le zanthoxylum gilletti (intareyirungu), une plante médicinale très recherchée par les tradipraticiens.
La réserve de Kigwena n’est pas épargnée
Au sud du pays, on y trouve d’autres réserves forestières dont celle de Kigwena commune et province Rumonge. On y trouve des singes, des babouins, des oiseaux, des hippopotames, etc. Là aussi, le braconnage ne fléchit pas. « Tous les animaux tels que les babouins, les singes, les antilopes… sont visés. Les braconniers utilisent surtout des pièges à l’aide de fils métalliques ».
Selon Pascal Niyokindi, un éco-garde, quand un animal saute dessus, il se blesse ou se casse une jambe. Il dénonce aussi le comportement de certains chauffeurs empruntant la route Rumonge-Nyanza-Lac. Il donne l’exemple d’une voiture, jeudi 16 mai, qui a renversé un babouin et le chauffeur s’est sauvé. Et de demander que des pancartes soient installées à l’entrée et à la sortie des aires protégées. Et ce, pour rappeler les chauffeurs à l’ordre.
Emerance Nirera, porte-parole du ministre en charge de l’environnement, abonde dans le même sens. Elle appelle les chauffeurs à se conformer à la loi : « Nous demandons aux administratifs, aux forces de l’ordre et de sécurité de veiller à ce que les braconniers soient sérieusement punis.» Pour elle, de tels animaux présentent une richesse importante pour le pays.