Dimanche 22 décembre 2024

Les billets d'Antoine Kaburahe

BILLET – WhatsAPP fait trois victimes au Burundi

19/04/2024 11
BILLET – WhatsAPP fait trois victimes au Burundi

Aujourd’hui, pour des raisons professionnelles, familiales ou même ludiques, presque tout le monde est membre d’un groupe WhatsApp. Je suis naturellement membre de quelques groupes professionnels, dont « Burundi Press », un groupe de 332 journalistes de différents médias et tendance. Un groupe dont j’apprécie notamment les menus services que les journalistes se rendent entre eux : les adresses, les contacts, etc. C’est vraiment une « sorte de Google burundais », très efficace. Quand tu demandes le nom d’un contact, un numéro de téléphone, une adresse, dans la minute, un collègue, que souvent tu ne connais même pas te le donne. Il y a des commentaires sur l’actualité, des critiques. C’est sérieux, mais drôle aussi, car il y a des blagues parfois.

Lorsque j’ai appris que Sandra Muhoza a été arrêtée suite à des propos qu’elle a tenus dans un autre groupe de journalistes dénommé « Burundi Media », je me suis rappelé que j’ai été membre de ce groupe pendant quelques mois. Mais instruit par l’expérience, j’ai vite compris que c’était un groupe  de journalistes dont certains ne tolèrent aucune divergence de vues, hostiles à tout ce qui ne rentre pas dans la vision du parti au pouvoir.
Je me souviens que, choqué par le militantisme affiché, dans mon message d’adieu aux confrères de ce groupe, j’ai écrit :
« … je m’attendais à un groupe où nous discutons de la profession, de notre manière d’informer, de nos erreurs, un groupe où en tant que journalistes nous pouvons nous remettre en question pour avancer, sans porter des jugements personnels.
Bien sûr, chacun a le droit de militer pour le parti politique de son choix. Il me semblait que ce groupe n’était pas l’espace indiqué pour afficher et défendre son militantisme politique. C’est mon avis.Mais ceux qui ont lancé “Burundi Média” ont naturellement le droit de le gérer comme ils souhaitent. Pour ma part, je me retire. »
Et je me suis désabonné de « Burundi Media », suivi par un autre confrère.

Sandra Muhoza était donc membre de ce groupe. Elle a fait un commentaire qui n’a pas été apprécié. On connaît la suite.

Que dire de cette journaliste ? Je dois avouer qu’avant son arrestation, je n’avais jamais entendu parler d’elle et de son média. Son journal, La Nova, est une jeune publication née avec le développement des réseaux sociaux. N’oublions pas que selon un rapport du CNC, le Burundi compte au moins 60 journaux en ligne et 39 web TV.

J’ai donc cherché sur le web des infos sur ce journal et je n’ai pas trouvé beaucoup de choses, dans tous les cas, rien qui pourrait « cataloguer » La Nova comme un journal « opposé à l’action gouvernementale », comme on dit. Jusqu’à preuve du contraire, ce sont donc ses propos dans le groupe « Burundi Media » qui ont conduit la journaliste en prison.

Une histoire qui n’aurait pas dû sortir du groupe

Pour moi, cette histoire née sur WhatsApp, a fait trois victimes. La première victime c’est bien sûr la journaliste elle-même. Elle va devoir faire face à la terrible machine judiciaire burundaise, cela pourrait être long. Très long. Je sais de quoi je parle. Quatre journalistes du Groupe de Presse Iwacu sont restés plus d’une année et demie en prison. Là encore, n’oublions pas que tout est parti de WhatsAPP : une banale blague envoyée à un collègue par un des quatre reporters en route vers Bubanza où des combats avaient été signalés.

La deuxième victime, c’est la justice burundaise ! Elle se retrouve avec un autre cas, emblématique. Elle va devoir prouver, ses détracteurs diraient « forger », un crime. Et ce n’est pas gagné ! Les propos tenus par la journaliste ne constituent pas un crime. Ils sont tout au plus maladroits. Comme disait quelqu’un, « s’il fallait mettre en prison tous les auteurs  des conneries proférées dans les groupes WhatsApp, il faudrait élargir les prisons burundaises ». Et le service de renseignement du Burundi ne devrait pas s’intéresser à ce type d’histoires. Il y a plus sérieux. Tout le monde le sait, WhatsApp fonctionne souvent comme un défouloir où les gens, selon leur « mood », viennent se décharger, rigoler, pleurer…

Enfin, last not least, la troisième victime c’est la politique d’ouverture prônée par le Président Ndayishimiye. Sandra Muhoza vient rejoindre en prison Floriane Irangabiye, une autre femme journaliste. Avec ce nouvel emprisonnement, le gouvernement sera encore sur la sellette, les algorithmes de Google vont faire le reste. Bref, l’image du Burundi va prendre un coup.

Le gouvernement se tire une balle (inutile) dans le pied. A moins que ce soit une stratégie délibérée de sabotage… Tout est possible.
Sinon, le Burundi vit des problèmes plus sérieux. En fait, cette histoire n’aurait pas dû sortir du cercle où elle a été proférée : une  banale discussion dans un simple groupe WhatsApp.

Diplômé de l’ ESJ (Ecole Supérieure de Journalisme) de Paris et Lille, Antoine Kaburahe a fondé le Groupe de Presse Iwacu. Il est aussi écrivain et éditeur www.iwacu.site.

En 2015, accusé d’être impliqué dans le coup d’Etat au Burundi, comme de nombreux responsables de médias, il est contraint à l’exil. Analyste reconnu, défenseur de la liberté de la presse (membre de Reporters Sans Frontières) ; il poursuit une carrière internationale .

Contact: [email protected]

Forum des lecteurs d'Iwacu

11 réactions
  1. M@tefer

    En Afrique bcp de groupes Whatsapp sont comme des poubelles où l’on décharge tous les déchets. Des annonces et des publications qui sont totalement en dehors de l’objectif du groupe y sont régulièrement publiés.

    Certains y ont développé un nouvelle expertise « Critiquer, critiquer, critiquer ». Les critiques sont naturellement humaines et quand les sont exprimées poliment et avec des propositions des solutions aident les gens à améliorer leurs prestations ou d’améliorer. Malheureusement nos critiques sont souvent motivées par des jalousies ou des rancunes. Certains critiquent juste pour diaboliser quelqu’un ou un groupe cible. Il y a même qui critiquent quelqu’un ou une situation qu’il ne connaissent même pas. Chose encore plus grave certains critiquent les autres alors qu’ils commettent les mêmes bêtises.

  2. Kaziri

    Si vraiement elle est coupable d’avoir lancé le message viral de machetes commandées et distribuées au Nord; c’est vraiement pathétique.
    Mérite t elle la prson?
    Avait Elle l’intention de nuire?
    J’ai lu ce message dans plusieurs groupes.
    Les gens raisonnables disaient que c’est invraissemblable.

  3. hakizimana jean capistran

    Je n’ai pas pu voir le texte du message de cette dame en question mais si j’etais la justice, je chercherais A comprendre dans ce dossier s’il y aurait eu reellement la mauvaise foi de la part de l’auteur de ce message. Sinon, les ecarts de langage sont frequents ici comme ailleur et c’est vraiment humain. Meme pour quelqu’un qui tombe, c’est tres gentil de se poser cette question » y avait-il la mauvaise foi dans tout cela??. En cas de bonne foi, les circonstances attenuantes s’invitent aisement.

    • Jean Ndereyimana

      Personnellement, je trouve important de mesurer ses mots avant de parler. Il ne faut pas non plus perdre de vue que les temps ont changé.Toutefois, il est de toute évidence qu’aussi longtemps que la liberté d’expression n’aura pas sa place dans notre pays,il sera difficile de dire que nous sommes dans la démocratie. Concernant la journaliste incarcérée, il appartient à la justice de faite ses enquêtes et de regarder l’intention qui était derrière le message qui a été écrit. A mon avis, l’emprisonnement injuste est devenu , à nos jours , monnaies courantes,c’est plus un business que tout autre chose car pour être libéré, il faut payer une amende salée ( quelques millions) et malheureusement cet argent est empochée par un petit groupe de personnes. Franchement, où va notre pays??!!!L’injustice ne date pas d’hier,depuis les Micombero jusqu’à maintenant, les décisions de la justice burundaise étaient dictées par le pouvoir en place qui avait ses propres intérêts. Le pouvoir judiciaire devrait être libre et autonome pour mieux répondre aux besoins de la population.

  4. Nshimirimana

    Monsieur Kaburahe,
    Le propos, la rumeur ou tout ce que vous voulez est à apprécier selon….
    Au vu de la gravité des faits ( importation des machettes et leurs distribution au sein de la population à la veille de la commémoration du 30ème anniversaire du génocide au Rwanda), certains hommes et femmes qui ont compris jusqu’où ce genre de rumeurs peut mener ont réagi. Je pense au MSD et GIRIJAMBO qui ont cherché à démentir les faits. Y compris le premier lanceur d’alerte , Le MANDAT, journal en ligne. Dire que le Burundi a importé 4 conteneurs de machettes – quand l’on sait en quoi renvoie une machette dans notre région- est tout sauf une « banale discussion dans un simple groupe WhatsApp ». Tout homme averti, journaliste en tête, aurait dû tourner son stylo quatre fois dans sa main avant d’affirmer que cette importation, suivi de la distribution des machettes ait bien eu lieu !
    Gira amahoro
    Ma réponse
    Pour ma part, je pense que dans une discussion sur whatsApp, beaucoup de choses peuvent se dire, sans qu’elles constituent une réelle menace.
    Mais vous êtes rassuré, je pense. L’auteur des propos est derrière les barreaux.
    AK

    • Yan

      @AK
      Ce n’est pas tout le temps qu’il n’y a que la menace qui gêne. Le mépris et le dénigrement peuvent devenir à un moment donné insupportables. C’est le cas de ces assimilés imbonerakure qui sont considérés comme des arriérés à la machette, incapables de se servir de fusils comme des gens normalement constitués, qui dérange très fort. La prison est bien excessive dans un cas pareil. Mais il faudrait une façon plus soft de le faire comprendre aux auteurs de tels comportements.

      • jereve

        Des imbonerakure? Parlons en. Il y a eu des rumeurs et histoires – sur WhatsApp et média en ligne – qui faisaient et font encore état des entrainements militaires des imbonerakure.
        Pour quel objectif?
        Dans un pays où parler de machettes vous mène en prison, je ne vois pas pourquoi il n’y a pas eu arrestation de gens qui parlent d’entrainements. Car au final, c’est dans la même logique: entrainer une milice signifie qu’on la prépare pour la manipulation et l’utilisation des armes blanches ou à feu. Pour la préparer à quoi?
        J’ai seulement parlé de rumeurs dangereuses, entendues ou lues sur les réseaux sociaux. Je n’ai aucun élément pour preuve.

  5. Buhonga

    Simplement triste de penser que en 2024, on met des moyens financiers que l’on a pas pour poursuivre de faux ennemis!

  6. Megamind

    J’ai essayé de comprendre, du moins de me convaincre, comment un admin du groupe Whatsapp peut utiliser un message échangé entre membres de ce fameux groupe pour espionnage. J’ai toujours cru que les journalistes (je dis bien les vrais) sont des gens qui ont un esprit ouvert au critique, aux blagues (même de mauvais goût), mais là ça dépasse mon entendement.

    Courage à Sandra

  7. Karake

    Une histoire triste, Les burundais turi kure , gutanu. Les propos peu importes lequels ne devaient conduit quelqu’un en prison peu importe. Je trouve ça bizarre!!!

  8. Kibinakanwa

    Bravo et merçi Cher Kaburahe.
    La prose est excellente.
    On veut faire du Burundi ine république bananière

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