Sur l’échelle de Richter des médias, la secousse est d’une rare intensité. Samedi 15 mars à 9 h 43, la sentence est tombée brutalement : un courriel expédié aux employés de Voice of America (VOA) les informait qu’ils étaient placés en congé administratif. Conséquence immédiate : l’arrêt total de la production d’informations.
Fondée en 1942, VOA était l’un des plus grands diffuseurs internationaux financés par le gouvernement américain. Elle produisait du contenu numérique, télévisé et radiophonique dans une quarantaine de langues, s’adressant à des millions d’auditeurs à travers le monde.
Dans les Grands Lacs, elle n’était pas une radio comme les autres. En plus du français et de l’anglais, elle émettait en kirundi, kinyarwanda et swahili, offrant aux habitants un accès direct à une information diversifiée. Son audience quotidienne se comptait en millions. Aujourd’hui, cette voix est réduite au silence.
Un recul majeur pour la liberté de la presse
Certes, comme toute radio financée par un État, VOA portait une certaine vision du monde. Ses détracteurs lui reprochaient une proximité idéologique avec Washington. Mais elle ne s’en cachait pas. Mieux encore, elle indiquait clairement quand un éditorial reflétait le point de vue du gouvernement américain.
Mais réduire VOA à un simple outil d’influence serait une erreur. Dans une région où les médias locaux naviguent entre censure et autocensure, elle représentait une alternative précieuse.
Au Burundi, des radios ont été incendiées, plus de 100 journalistes ont fui leur pays. Moi-même, ainsi que plusieurs responsables de médias, vivons en exil, sous le poids d’un mandat d’arrêt ou condamnés à de lourdes peines.
Informer ici est un exercice périlleux.
Bien sûr, des médias locaux existent encore. Mais dans un climat de peur, où chaque mot peut coûter la liberté, la prudence est devenue une seconde nature. Trop souvent, les choix éditoriaux sont dictés par la survie plus que par la vérité.
Quelques médias, comme Iwacu, le groupe de presse que j’ai fondé, tentent de tenir bon. Mais nous luttons avec des moyens dérisoires. La disparition de VOA est une régression supplémentaire.
Un signal alarmant au-delà des Grands Lacs
L’arrêt de VOA constitue une véritable aubaine pour tous les prédateurs de la liberté d’expression : une voix indépendante en moins, un obstacle de moins à la censure. Cette fermeture envoie un message dangereux bien au-delà de notre région.
C’est un jour noir pour tous ceux qui, du Soudan à Haïti, de la Birmanie à l’Éthiopie, comptaient sur VOA pour une information autre que celle diffusée par les médias d’État.
Le célèbre texte du pasteur allemand Martin Niemöller, que je me permets de paraphraser, pourrait être réécrit ainsi aujourd’hui :
« Quand ils ont fermé les médias, je n’ai rien dit,
je n’étais pas journaliste.
Quand ils sont venus m’arrêter,
il ne restait plus aucun journaliste pour protester. »
Ce n’est pas un combat corporatiste. Tout le monde doit se sentir concerné. Aujourd’hui, c’est VOA. Demain, qui sera réduit au silence ?
Diplômé de l’ ESJ (Ecole Supérieure de Journalisme) de Paris et Lille, Antoine Kaburahe a fondé le Groupe de Presse Iwacu. Il est aussi écrivain et éditeur https://iwacu.online
En 2015, faussement accusé d’être impliqué dans le coup d’Etat au Burundi, comme de nombreux responsables de médias, il est contraint à l’exil.
Analyste reconnu, défenseur de la liberté de la presse (membre de Reporters Sans Frontières) ; il poursuit une carrière internationale.
Contact: [email protected]
Mr Kaburahe,
Je pense que aussi dure soit elle, la réalité est que le « Trumpism » va rester même au delà du mandat du president courent. Apres tout, les USA sont une démocratie.
Peut être il est temps que les hommes et femmes de bonne foie viennent occuper cette espace énorme laissées par VOA!