Lorsque j’ai appris l’existence de ce budget ahurissant de la CNIDH pour l’année 2024-2025, j’ai immédiatement pensé aux nombreux cris d’alarme du président Ndayishimiye qui, dans plusieurs de ses discours, dénonce la mauvaise gouvernance et la gabegie de certaines institutions étatiques. Tenez-vous bien : la Commission nationale indépendante des droits de l’homme (CNIDH) avance, pour 2024-2025, un budget vertigineux, au vu du contexte économique.
Des chiffres incroyables. Personnellement, j’ai d’abord cru à une intox, un canular grotesque. Mais après plusieurs recoupements facilités par diverses sources proches du dossier, scandalisées, il s’est avéré qu’effectivement, ce budget, qui entrera certainement dans les annales, est authentique.
Prenons, pour commencer — car ce sera un feuilleton —, cette affaire d’un « salon VIP » prévu dans le budget pour la modique somme de 150 millions de FBU (environ 46 000 dollars, selon le taux officiel). Scandalisé, j’ai publié sur X un post contenant quelques chiffres incroyables de ce budget, dont Iwacu a reçu une copie. Soit dit en passant, dans un souci de transparence, les budgets de certaines institutions devraient être publics, comme c’est le cas dans de nombreux pays.
Les « Misega » d’Iwacu
Après mon post, les réactions ont commencé à pleuvoir, en public comme en privé. Apparemment, le président de la CNIDH a allumé des contrefeux. Une personnalité m’a appelé pour m’informer qu’elle venait d’échanger avec le président de la CNIDH, en mission en Europe.
D’après lui, cette information serait « fausse ». Ce serait un coup monté par « des informateurs malintentionnés ». Cette personnalité, visiblement proche du président de la CNIDH, m’a demandé mes sources ! Elle est même allée jusqu’à me souffler quelques noms de personnes supposées être nos informateurs. Choqué, j’ai répondu, comme tout journaliste digne de ce nom, que la question n’est pas de savoir qui sont nos sources, mais de vérifier si les chiffres avancés dans ce budget sont vrais ou faux. La conversation s’est terminée en queue de poisson.
Puis, sur X, un compte manifestement en service commandé est venu au secours du président de la CNIDH, avançant un autre chiffre, tiré d’un document émis par les marchés publics et disponible en ligne : le montant prévu pour l’achat du fameux salon ne serait “ que de 127,118 644 millions de FBU ” et non 149 544 352 millions de Fbu. Soit 22 425 708 millions de moins, ce qui reste toujours scandaleusement élevé. Les lecteurs apprécieront. Mais, jusqu’à preuve du contraire, Iwacu maintient le chiffre de 149 544 352 millions, qui se trouve dans le budget transmis à la Cour des comptes. Pour rappel, depuis 17 ans, Iwacu n’est pas connu pour diffuser des « fake news ». Ce ne sont pas nos méthodes.
Puis, les messages ont continué d’affluer. Beaucoup nous ont soutenus (merci à eux), d’autres nous ont insultés (nous avons l’habitude). Plusieurs messages ont circulé : une autorité de la CNIDH a qualifié les journalistes d’Iwacu d’« Imisega » — chiens faméliques, en kirundi. Soit. Au nom de la liberté d’aboyer, nous assumons le qualificatif. Iwacu fait son travail.
Un budget scandaleux
Revenons aux questions essentielles : comment le président d’une institution censée défendre les citoyens ose-t-il proposer un tel budget dans un pays où tous les indicateurs économiques sont au rouge ?
Alors que des milliers de justiciables burundais demandent presque chaque jour au président de la République et à la ministre de la Justice un traitement rapide de leurs dossiers, le président de la CNIDH concocte un budget où presque 62,5 % des fonds sont alloués aux voyages à l’étranger !
Le travail du président de la commission des droits de l’homme au Burundi se fait-il à Genève, Paris ou New York ? Oui, certainement, le président de la commission peut voyager et assister à quelques conférences internationales importantes. Mais est-ce normal que le budget « voyages » soit doté de près d’un demi-milliard de FBU (476 000 000 de FBU), alors que le budget pour la promotion des droits de l’homme — un travail essentiel de la commission — ne dispose que de 90 000 000 de FBU, soit 11,8 % du budget ? Le travail de la commission se fait-il en avion ou sur le terrain, au plus près des Burundais qui ont besoin d’aide et dont les dossiers sont en souffrance ?
Visiblement, les comptes de la CNIDH posent problème. Il y aurait déjà eu un rapport d’audit de la Cour des comptes très alarmant. Ce rapport aurait créé des tensions terribles entre la présidente de la Cour des comptes et son adjoint, tensions à l’origine du limogeage de ces deux autorités à la tête de la Cour des comptes.
Il semblerait que depuis la présentation du rapport annuel de la CNIDH en février dernier, l’affaire fait scandale à l’Assemblée nationale. Nous osons espérer que, cette fois-ci, les Burundais auront droit à toute la vérité. De son côté, Iwacu continue à enquêter.
Un salon pour l’Histoire
Face à ce budget qui fait la part belle au luxe et aux voyages, que doivent penser les juges et magistrats de nos provinces, ceux-là mêmes à qui la ministre de la Justice demande — à raison — d’accélérer le traitement des dossiers pour désengorger les prisons notamment ? Tout le monde sait que le personnel judiciaire travaille avec des moyens modestes.
Que vont penser les donateurs internationaux qui financent la CNIDH d’un tel budget ? Pour rappel, cette commission a déjà perdu son statut A, un indicateur fort du respect des standards internationaux en matière de promotion et de protection des droits humains. Ce n’est pas avec de tels engagements budgétaires, qui prévoient, entre autres, un salon VIP et des voyages représentant 62 % du budget, qu’elle le retrouvera… Après, bien sûr, on accusera « les colons qui ne veulent pas soutenir le travail de la commission ».
Quant à ce salaud… pardon, ce salon (je me perds parfois dans les subtilités de la langue française), je suggère qu’il trouve une place de choix au Musée national de Gitega. Il pourrait ainsi remplir une fonction pédagogique en illustrant, pour les générations futures, les dérives de la gestion fantaisiste des deniers publics.
Après tout, l’histoire retient aussi bien les exploits que les extravagances…
Diplômé de l’ ESJ (Ecole Supérieure de Journalisme) de Paris et Lille, Antoine Kaburahe a fondé le Groupe de Presse Iwacu. Il est aussi écrivain et éditeur https://iwacu.online
En 2015, faussement accusé d’être impliqué dans le coup d’Etat au Burundi, comme de nombreux responsables de médias, il est contraint à l’exil.
Analyste reconnu, défenseur de la liberté de la presse (membre de Reporters Sans Frontières) ; il poursuit une carrière internationale.
Contact: [email protected]
Tout de même, n’a t on pas honte?
Un pays qui n’est plus capable d’importer du carburant peut il se permettre une telle gabegie?
Pathétique
Merçi beaucoup cher Kaburahe.
Sans commentaires.
Dans les républiques bananières, il ne faut pas trop gloser.
La CNIDH, dans les rapports des années antérieures, elle ne rapportait aucun cas de disparitions forcées. Dans son rapport 2024, elle rapporte au moins 18 cas de disparitions, mais évite soigneusement de les qualifier de « disparitions forcées » en disant que les auteurs ne sont pas connus.
Des milliers de Burundais lui soumettent les dossiers des leurs, mais ne communique jamais le résultat de ses enquêtes. Les citoyens maintenus illégalement en détention après avoir purgé leur peine, ne cessent de demander à la CNIDH d’intervenir, mais cette dernière brille par un silence assourdissant et complice.
Je pense qu’en contrepartie, le président de la commission obtient le feu vert de gérer le budget de la commission comme son propre argent de poche.