Vendredi 22 novembre 2024

Les billets d'Antoine Kaburahe

Billet – Le Prince de la cuisine

03/09/2020 Commentaires fermés sur Billet – Le Prince de la cuisine
Billet – Le Prince de la cuisine

Par Antoine Kaburahe

L’invité « Au Coin du Feu » ce samedi 5 septembre est une de mes plus belles rencontres. Un parcours qui pourrait inspirer bien de jeunes burundais.

Claude Bigayimpunzi. Il m’a ouvert les yeux sur un art que je connais fort peu : l’art culinaire. Lui, le fils de bonne famille, issu d’une grande lignée, un père aristocrate, ministre, est un maître. Un chef cuisinier. « Au Burundi, la cuisine est la voie des ratés, voyez avec quel mépris on traite ceux que l’on appelle les “boys”, dit-il avec un  petit sourire.  Claude, je l’ai connu à l’école primaire Stella Matutina où nous avons tous les deux usés nos culottes. Nous avons en commun le souvenir des coups de chicottes sur nos petites fesses. Merci à la directrice, sœur Fidelis et « Monsieur Louis ». Aïe ! La seule évocation de cet instituteur réveille des souvenirs douloureux sur mes fesses. Ce n’est pas Josbert, Kizito, et autres Todowa qui diront le contraire. Mais peut-être que sans ces coups, à l’heure qu’il est nous serions des petits voyous…

Après l’école primaire, Claude je l’ai perdu de vue. Comme bien d’autres. Claude Bigayimpunzi est un aventurier. Un passionné. Répondant à je ne sais quel appel du large, il est parti vivre le rêve américain. D’abord à New York. Il apprend l’anglais, parle même le « slang ». Il fait mille petits métiers. Se marie. Divorce. « Incompatibilité culturelle », dit-il, philosophe. Il apprend à conduire les longs camions, les « trucks ». Il sillonne l’Amérique profonde, en écoutant de la country surement. Il gagne bien sa vie. Il vit « l’american way of life ». Mais il n’est pas heureux. Quelque chose lui manque. Il découvre qu’il est fait pour la cuisine. Il range les camions. Il plaque tout. L’ancien chauffeur des « trucks » s’inscrit dans une prestigieuse école de chefs cuisiniers à Dallas. Quelques années plus tard, il sort diplômé. Une nouvelle vie commence pour lui.

Depuis une dizaine d’années, il vit de son art. Extraordinaire rencontre. L’inculte que je suis, j’apprends que la « cuisine est un art ». Qu’un chef cuisinier est un « créateur. » J’apprends qu’il a servi des stars des menus à des centaines de dollars l’assiette. Par décence, je ne donne pas le montant. Et crime suprême, ces clients ne terminent pas forcément leurs plats ! « Antoine, ces gens ne viennent pas se remplir le ventre. Ils ne mangent pas, ils goûtent, dégustent, c’est pour le plaisir ». Claude Bigayimpunzi essaie de m’expliquer une histoire de papilles, de goût, de millions de senseurs sur la langue… Bon, je ne suis pas sûr d’avoir tout compris. Mais que c’est passionnant ! Et surtout, quelle belle opportunité pour le Burundi, dit le chef. « Au Burundi, nous avons des produits extraordinaires, des légumes, des fruits frais, nous avons un lac, les montagnes, un cadre unique, nous avons de l’or dans nos mains pour développer le tourisme », explique Claude Bigayimpunzi. J’apprends surtout qu’il ne faut pas être riche pour bien manger. « Il faut être créatif, au Burundi on peut bien manger avec un budget modeste. » Et les restaurants burundais vont en prendre pour leur grade. « Regardez les menus dans les restos de Bujumbura, très peu de créativité. C’est presque partout la même chose, parfois on change juste le nom du plat ». Sévère, le chef cuisinier. Aujourd’hui, il officie à Kigali mais son rêve est de rentrer au pays pour ouvrir une école d’art culinaire.

Mais quel est le plat préféré de cet homme qui connaît les cuisines les plus raffinées ? Figurez-vous que c’est le poulet grillé de Gatumba, avec un filet de citron, servi avec du Buswage ! « C’est un plat qui est chargé de beaucoup de souvenirs pour moi », lâche-t-il, soudain pensif, nostalgique… Un patriote, qu’il faudrait rapatrier illico presto. Que Claude Bigayimpunzi soit au menu de la prochaine réunion des autorités en charge du tourisme au Burundi. Ce samedi nous n’allons pas lire, mais plutôt déguster l’entretien qu’il a accordé à Iwacu . C’est succulent. Merci, grand chef. Chapeau bas !

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