Samedi 22 février 2025

Les billets d'Antoine Kaburahe

BILLET – Guinée (Dés)illusion

22/02/2025 3
BILLET – Guinée (Dés)illusion

La Guinée se trouve dans une situation très compliquée, marquée par des disparitions forcées, des enlèvements et des menaces contre les voix dissidentes.

Lorsque, le 5 septembre 2021, Mamadi Doumbouya a pris le pouvoir par un coup d’État, il a été applaudi par de nombreux Guinéens.

Selon nos sources, cette ferveur populaire s’expliquait par le sentiment d’émancipation face à un début de dictature sous Alpha Condé, premier président démocratiquement élu en 2010, après une transition dirigée par le capitaine Moussa Dadis Camara et le général Sékouba Konaté.

Pour rappel, le deuxième mandat d’Alpha Condé a été marqué par une violente répression contre ses opposants, avec plus de 300 morts lors des manifestations politiques. Des leaders politiques, des acteurs de la société civile et des journalistes ont été menacés et emprisonnés.

Dans ce contexte, le coup d’État du 5 septembre 2021 a été perçu comme une libération. Mamadi Doumbouya avait promis de restaurer les libertés, de lutter contre la personnalisation du pouvoir et contre la corruption. Il s’était engagé à ce qu’aucun Guinéen ne meure plus à cause de la politique et à rendre le pouvoir après 24 mois, conformément à l’accord conclu avec la CEDEAO.

Des promesses trahies

Deux ans plus tard, ces engagements n’ont pas été tenus. Pire encore, de nombreuses personnes ont été tuées depuis l’arrivée au pouvoir de Doumbouya, selon des organisations de la société civile. Le retour à l’ordre constitutionnel, pourtant promis, reste une illusion. Aujourd’hui, des manifestations de soutien à sa candidature se multiplient, tandis que la justice, annoncée comme la boussole de la transition, semble avoir perdu sa direction.
La corruption et le détournement de fonds publics se sont installés comme mode de gouvernance, nourrissant une course effrénée à l’enrichissement illicite.

Un climat de terreur

Dernier choc pour les Guinéens : les tortures infligées à Abdoul Sacko. Figure respectée de la société civile guinéenne et cadre de la coalition des Forces vives de Guinée, opposée à la junte au pouvoir, il a été enlevé le mercredi 19 février à l’aube.

L’opposant, « dans un état critique, torturé et abandonné en brousse par ses ravisseurs », a été retrouvé en préfecture de Forécariah, non loin de la base du Groupement des Forces Spéciales (GFS), unité d’élite de l’armée à laquelle appartient le général Doumbouya.

L’un de ses avocats a affirmé qu’Abdoul Sacko a « perdu l’usage de ses deux bras ». Son crime ? Être l’un des responsables d’une coalition de partis, de syndicats et d’ONG réclamant un retour des civils au pouvoir.

Mamadi Doumbouya ne semble pas faire dans la dentelle. Le général Sadiba Koulibaly, son compagnon d’armes et ancien homme fort, numéro deux de la junte jusqu’à sa brouille avec Doumbouya, est mort en détention en juin 2024, officiellement d’un « arrêt cardiaque ».

Interrogé, Facély Konaté, un collègue journaliste, décrit un climat de terreur généralisé :
« En Guinée, les gens ont l’impression de revivre les atrocités de la Première République. Il y a deux choix : se taire ou subir la répression. »

Une histoire qui se répète

Et dire que lorsque Mamadi Doumbouya a pris le pouvoir, une partie du peuple guinéen, y compris des acteurs de la société civile et politique, avait mené une campagne internationale pour éviter que la junte ne soit sanctionnée…

Le cas guinéen n’est malheureusement pas isolé. Combien de fois a-t-on vu des militaires promettre démocratie, justice et liberté, avant de sombrer dans l’autoritarisme et la répression ? L’histoire se répète, les espoirs s’effondrent, et les peuples en paient le prix. La Guinée n’est qu’un exemple parmi d’autres. Suivez mon regard…

Diplômé de l’ ESJ (Ecole Supérieure de Journalisme) de Paris et Lille, Antoine Kaburahe a fondé le Groupe de Presse Iwacu. Il est aussi écrivain et éditeur https://iwacu.online
En 2015, faussement accusé d’être impliqué dans le coup d’Etat au Burundi, comme de nombreux responsables de médias, il est contraint à l’exil.
Analyste reconnu, défenseur de la liberté de la presse (membre de Reporters Sans Frontières) ; il poursuit une carrière internationale.

Contact: [email protected]

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Barekebavuge

    Merçi beaucoup Ncuti yacu Kaburahe
    Cette phrase à l’emporte pièce est supposée venue de Churchill
    « La démocratie est la pire façon de gouverser excepté les autres ».

  2. Jean-Claude NDORERE

    errata…mon androide me decoit

  3. Jean-Claude NDORERE

    Merci encore une fois Antoine pour ce billet. Le pouvoir militaire par essence est un pouvoir de coarcission. C’est rare d’échapper à la muselation des droits fondementales. C’est l’antonyme de la démocratie où les arguments de la force laissent la place à la force des arguments. Certains compatriotes aiment me taquiner en disant que la démocratie est une affaire des « Bazungu » et que l’Afrique n’y est pas prête. J’aime me resumer en leur disant: » Donc en Afrique, sommes nous condamnés à recourir à la violence pour resoudre les problèmes? ou ne sommes pas interessés par la justice independante, la parole libre et l’galité des chances? »
    Pourtant, nous nous plaignons toujours des méthodes dictoriales qui caracterisent nos pouvoirs?. On peut avoir bcp à reprocher aux importateurs de la démocratie mais il sied de reconnaitre que nous n’avons eu jusqu’aujourd’hui un autre modèle de gestion de la site qui puissent mieux fonctionner et moins injuste. La democratie est justement un tresor tres fragile, qu il faut entretenir et proteger pour qu’elle nous protège. Peu importe l’endroit ou on se trouve dans le monde, la démocratie est une valeur universelle compatible avec TOUTES LES CULTURES ET TOUTES LES SOCIETES ! Merci Antoine K.

Charte des utilisateurs des forums d'Iwacu

Merci de prendre connaissances de nos règles d'usage avant de publier un commentaire.

Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes, antisémites, diffamatoires ou injurieux, appelant à des divisions ethniques ou régionalistes, divulguant des informations relatives à la vie privée d’une personne, utilisant des œuvres protégées par les droits d’auteur (textes, photos, vidéos…) sans mentionner la source.

Iwacu se réserve le droit de supprimer tout commentaire susceptible de contrevenir à la présente charte, ainsi que tout commentaire hors-sujet, répété plusieurs fois, promotionnel ou grossier. Par ailleurs, tout commentaire écrit en lettres capitales sera supprimé d’office.

Ajouter un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.

Editorial de la semaine

Une crise de trésorerie à l’EALA qui en dit long

Une crise financière contraint l’Assemblée législative de l’Afrique de l’Est (EALA) à suspendre ses activités pour le premier semestre de 2025. La décision a été prise le 6 février. Hélas, cette suspension législative semble récurrente dans cette institution censée promouvoir (…)

Online Users

Total 3 353 users online