Lundi 23 décembre 2024

Les billets d'Antoine Kaburahe

BILLET – Délirium

01/08/2019 Commentaires fermés sur BILLET – Délirium

Quand Aloys Niyoyita m’a demandé d’écrire son témoignage, je savais que son histoire n’allait pas plaire à certains ultras. Mais je n’ai jamais pensé qu’une réaction pouvait être aussi irrationnelle, violente, nauséabonde.

Une déclaration audio sur le livre « Hutsi au nom de tous les sangs » circule sur les réseaux sociaux depuis quelques jours. Ceux qui ont l’estomac solide et peu sensibles au dégoût peuvent l’écouter ici.

Au moins, ce livre aura eu le mérite de faire tomber les masques sur l’intégrité de certaines personnalités. On découvre avec effarement un extrémisme ethnique décomplexé, assumé. Un appel public à la « pureté » ethnique.

Dans cet enregistrement audio écœurant , il explique que des « Hutus se marient à des Tutsies, pour donner naissance à des « Hutsis » et ainsi arriver à l’extinction de l’ethnie tutsie étant donné qu’au Burundi les enfants issus de ces unions sont Hutus» . Epouser pour exterminer ! Un véritable délire.

Ainsi, tous ces Burundais, illustres ou anonymes, les Ngendandumwe et autres, c’est belles histoires d’amour que nous connaissons autour de nous, celle du papa d’Aloys si bien racontée, les Rwagasore… Bref, tous ces hommes qui ont simplement aimé une femme qui n’est pas de leur ethnie avaient un plan … Une insulte à tous ces couples et leurs enfants. Car n’en déplaise au sinistre héraut de la pureté ethnique, l’amour existe.

« Hutsi », serait un « complot » international

A l’écouter, on se demande s’il faut en rire ou en pleurer. Doctement, il explique que ce livre serait le fruit d’une conspiration, un grand complot international avec des « Bazungu » derrière. Un plan secret en cours depuis les années 1987. Au passage, il nous fait même une « révélation » : le Burundi aurait déjà été dirigé par deux présidents « Hutsis » !

Avec des accents catastrophiques et des faux trémolos dans la voix, l’auteur de la déclaration appelle à la « vigilance » car la nation serait en danger. Le Burundi serait donc menacé par un simple livre de témoignage qui parle de… réconciliation. Mais que c’est ridicule ! Kaburahe-Niyoyita, nous avons combien de bataillons ?

Au contraire, le livre d’Aloys Niyoyita encourage à sortir de ces « conditionnements mortifères, les assignations identitaires qui figent et murent de nombreux Burundais dans un passé atrophié ».

Finalement, entre Niyoyita et cet homme, qui serait un danger pour la nation ? Avec de telles pensées, imaginez si cet homme accédait au pouvoir…

Quid de la création d’une autre « ethnie » ?

Apparemment, le monsieur s’est trouvé une nouvelle cause. Il veut se poser en gardien de la pureté. Il sonne donc la « mobilisation » contre le projet de « création » de cette autre ethnie  que véhiculerait ce livre: les fameux « Hutsi ».

Or, il n’en est rien. Dans son livre, Aloys célèbre simplement le métissage. Pour lui , « Hutsi » est un mot symbolique, chargé de sens :

« Sang-mêlé
Je suis Hutu
Je suis Tutsi
Je suis Ganwa et… qui sait, même un brin Twa
Je suis moitié
Je suis complet (…)
Je vais vous raconter mon histoire
Je veux dire mon histoire
Ma douleur
Fils de cette terre nourrie de tant de souffrances
Au nom de tous les sangs qui coulent en moi » dit-il dans son livre.

Personnellement, c’est ce message d’unité qui m’a séduit , cette résilience d’une personne profondément blessée mais qui veut croire dans un avenir apaisé.

Par ailleurs, depuis la nuit des temps, prophètes, penseurs , grands hommes et autres artistes ont célébré avec raison les « mélanges. » Je reste convaincu que le monde de demain appartient à ceux qui construisent des ponts entre les hommes qu’ à ceux qui érigent des murs.

Et puis, aujourd’hui, être Hutu, Tutsi, ou Twa, qu’est-ce que cela représente à l’échelle de l’EAC, de l’Afrique, de la planète ? Au contraire, il faut s’ouvrir, souhaitons que nos enfants puissent se jouer des frontières et se mouvoir à travers le monde. Qu’ils fassent surtout des mariages d’amour entre ethnies et races différentes.

Ce « penseur » se trompe de combat : le problème ce n’est pas l’ethnie. Le problème ce sont ceux qui prennent l’ethnie comme prétexte pour confisquer le pouvoir politique.

Des consciences « cautérisées »

Au moment où on observe dans plusieurs coins du monde la résurgence des vieux démons identitaires, la xénophobie et les replis nationalistes, je maintiens qu’Aloys Niyoyita n’a pas à rougir de son livre .

Son témoignage est beau et puissant et fera date. Ceux qui l’ont lu sans aucune visée de récupérer maladroitement son message reconnaissent la grandeur de son choix de parier sur un pays bâti sur la vérité et le pardon. Apparemment, il paie cher son audace. Je l’avais prévenu. Pour ma part, je ne regrette rien. L’histoire jugera.

J’ai lu sur Facebook un message de mon ami Niyoyita où il tente de raisonner, de réveiller la conscience de cet homme figé dans ses tristes convictions. Je ne pense pas que cela soit possible. Un ami canadien me disait qu’ il y a des consciences « cautérisées. »

Il faut laisser éructer cette pensée au ras du sol, ce délirium. Je préfère pour ma part répéter comme un mantra cette conviction d’Aloys Niyoyita : « Laissons à nos enfants un pays sûr, fraternel, ouvert à tous les sens et à tous les sangs. »

Si vous n’avez pas réservé, vous pouvez commander


    Virement bancairePaypal

    A nos chers lecteurs

    Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

    Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

    Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.