Mardi 05 novembre 2024

Société

Bienvenue à la « Morgue »

14/07/2023 4
Bienvenue à la « Morgue »
Entrée de la '' Morgue par la 4e avenue''

Il y a de drôles de buvettes : un bistrot de fortune proposant à ses clients du vin de banane à profusion, 24 h sur 24 h, entre la 3e et la 4e avenue du quartier Mutakura, en zone urbaine de Cibitoke. Il intrigue, par son nom, la ‘’Morgue’’.

Ce mouroir, fréquenté par des hommes et des femmes, de véritables ’’zombies’’, grouille de monde à toute heure, ceux qui rentrent après leur coup de l’étrier renouvelé par tacite reconduction, croisent, aux premiers rayons du soleil, ceux qui viennent chercher un remontant.

A l’intérieur, des bouteilles jonchent le sol dans une pénombre, des silhouettes bougeant à peine, discutent sur un ton monocorde, des voix caverneuses. Ils boivent pour oublier la vie, comme si elle était derrière eux.

Un brouhaha persistant accueille à l’entrée, quelquefois, des appels du serveur, des jurons ou même des injures de tout genre fusent. Une odeur d’urine et celle des résidus de vin de banane frappent les narines.

Des maisons en pisé servent de bar et dans la cour, des tables bancales et des chaises tenant à peine sur leurs pieds sont installées. Des clients aux yeux rougis et aux joues gonflées, rappelant des enfants dénutris, sont attablés devant des bouteilles de vin qu’ils sirotent à la paille.

« C’est la morgue parce qu’à part que les habitués du lieu sont souvent dans un état second permanent, des morts en sursis, les clients y trouvent la mort aussi », raconte une cheffe de cellule du quartier.

Et de raconter : « Il n’y a pas deux semaines, un certain Sylvain a été retrouvé mort. Ses amis le croyaient endormi, mais c’était pour de bon.  Et les gens de la ‘’Morgue ’’ sont exceptionnels, ils ont fait un ‘’fund raising’’ pour son enterrement, mais c’est eux-mêmes qui ont fabriqué un cercueil avec des planches arrachées ici et là. Franchement, l’assemblage s’est fait à la va-vite, ce cercueil fait de planches de récupération laissait voir le cadavre. »

Elle poursuit son triste récit : « Sa mort a été, peut-être, causée par ce manque d’hygiène ou une maladie qui le rongeait au vu de ces breuvages que ces gens passent la journée et la nuit à ingurgiter. »

Il n’y a pas eu de messe de requiem pour Sylvain, il a été enterré en catimini à Musenyi, sur sa tombe, juste une croix de fortune, pas de nom, pas de date de naissance encore moins de date de décès. « Ici gît un buveur anonyme, mort à la ‘’Morgue’’ », aurait-on, au moins écrit, comme épitaphe.

Retour à ce mouroir. Une fumée couvre de temps en temps l’endroit, une fumée de viande rôtie. Un ’’vétérinaire’’, nom donné au rôtisseur, fait des brochettes de boyaux, à 500 francs, elles sont les moins chères de la capitale économique, un luxe que peu de clients de la Morgue peuvent se permettre. Leur priorité n’est d’ailleurs pas de manger, mais de se défoncer.

Une insalubrité et un comportement hygiénique inquiétant

Dans un coin d’une des maisons, un homme est en train de pisser, les murs de ces maisons servent d’urinoir d’où les odeurs lancinantes d’urine. « Dernièrement, on a intimé l’ordre à ces maisons de construire une latrine et faire la propreté, et on a même fermé l’endroit, ils se sont exécutés et on a rouvert. Ce qui est étonnant, c’est le rythme auquel la saleté resurgit », se lamente la cheffe de cellule.

Les maisons avoisinantes craignent des maladies causées par l’insalubrité de la morgue. « Les odeurs venant de la morgue sont insupportables et puis les clients se soulagent partout et ils n’ont aucun respect d’hygiène ou ils se sont mis en tête que leur vin ne sera jamais bon si l’endroit est propre ? » raconte un habitant de la localité.

Des femmes font la cuisine, c’est elles qui gèrent la restauration des clients de la morgue, mais l’eau qu’elles utilisent pour la vaisselle laisse à désirer, elle semble avoir servi pour la lessive de la veille. Aucun robinet à la « morgue », l’eau qui est utilisée provient du robinet public qui est à 500 mètres et un seul bidon suffit pour cuisiner, faire la vaisselle et laver les mains des clients qui voudront manger.

Les services sanitaires de la zone Cibitoke ont commencé à faire des descentes sur les lieux et affirment qu’ils ont fait un constat, « nous avons donné des consignes comme avertissement aux propriétaires des bars, nous allons y retourner pour voir s’il y’a changement et si ce n’est pas le cas nous allons alerter les autorités zonales qui à leur tour obligeront des amendes  allant jusqu’à 150 mille BIF et une fermeture », explique  Spès Nahimana, la responsable du service d’hygiène dans la localité.

Les bagarres sont toujours permanentes

« C’est tous les jours qu’on observe des scènes de combat, après tout, s’il y’a bagarre c’est que le vin a été bon », confie un serveur de vin dans une des maisons avec un sourire au coin.

A l’instant même, des cris retentissent, une femme se bat avec un homme et quelques clients se bousculent pour les séparer alors que les autres acclament et observent le spectacle. L’homme est prêt à en découdre avec la femme parce que la femme a assené un coup violent à l’homme qui présente un œil gauche gonflé. Le chef de quartier est interpellé. « Je vais finir par fermer cet endroit parce que c’est intolérable, chaque jour c’est comme ça. Toujours des plaintes venant d’ici, le bordel de cet endroit a atteint des limites », s’adresse-t-il aux clients.
Selon lui, la question des endroits comme la morgue est en train d’être étudiée. La cause de la bagarre ? Personne ne le sait, ou plutôt un client qui semble s’amuser : « Certains d’entre nous n’ont pas une tête bien solide qui supporte le vin, ça te monte à la tête et tu as envie de te mesurer aux plus forts, c’est le cas de cette dame. Elle est toujours là et quand elle a trop forcé sur le vin, c’est les mêmes scènes. »

Les bistrots de vin de banane se ressemblent

Des immondices à l’entrée de Ku Ndimu, à la 4e avenue Bwiza

A la 4e avenue de la zone Bwiza « Ku ndimu », ce sont seulement les noms qui différencient les deux endroits. Les clients de la « morgue » sont de la même planète que ceux de cette avenue de Bwiza, certains sont allongés sur les bancs qui servent de chaise, d’autres sont assis avec des bouteilles et discutent.

La saleté est pareille à celle de la « Morgue », un petit caniveau traverse le centre du bar dans lequel coule une eau noirâtre. La puanteur est trop forte, un non-habitué aura des difficultés à s’adapter.

« Je travaille dans un bar non loin d’ici, je passe de temps en temps ici pour me remonter le moral avant de me rendre au boulot. Après cette bouteille de 1200 BIF, l’esprit s’ouvre et j’y vois clair », raconte fièrement un client avec sa bouteille dans la main. « Là-bas aussi on vend du vin, mais celui-là est bien bon », continue-t-il en montrant d’autres coins du même bar qui vendent du vin.

Dans un coin une femme est avec un homme. « Ce sont des prostituées du quartier à moins cher, elles ont des enfants, mais elles sont souvent ici pour avoir un peu de vin et de l’argent, tout le monde les connaît ici », continue le même client.
Selon le barman du bistrot, l’administration connaît l’endroit et selon lui, il n’y a aucun problème. « Nous payons les taxes comme tous les vendeurs et nous donnons aussi quelque chose aux autorités locales pour qu’elles nous laissent en paix, le chef de quartier et le chef de cellule reçoivent quelque chose quand ils viennent ici et cela nous permet de travailler dans la tranquillité », se confie le barman.

Quand la prostitution s’en mêle  

Non loin de la 4e avenue de la zone Bwiza chez Pierre, c’est le même scénario. Mais là il y’a beaucoup de jeunes filles, certaines sont allongées. Elles dorment ou elles prennent leur sieste. Le propriétaire de la parcelle assure que ces filles sont de la rue. Elles passent toute leur journée dans le bistrot et le soir elles font la prostitution. Elles n’ont pas d’endroit pour dormir. « La nuit, elles se prostituent avec ces soulards qui sont là », témoigne le propriétaire de la parcelle.

L’administration locale est au courant de cette délinquance. « Le chef de quartier et le chef de cellule sont corrompus et c’est pour ça que rien ne se fait ici », continue le propriétaire de la parcelle. Il affirme que les personnes qui foutent le bordel dans sa parcelle viennent des petites maisons construites en pailles derrière chez lui. « Ils paient au chef de quartier 1000 BIF chacun et c’est pour cela que le bordel règne ici », se lamente-t-il.
Quelques filles sont assises à même le sol et observent les hommes qui sirotent leur breuvage. Attendent-elles un signe de la part des hommes pour boire un coup ? « Nous sommes là comme ça, nous nous détendons tout simplement parce que les hommes peuvent nous inviter à boire, mais les hommes d’aujourd’hui n’ont pas d’argent, c’est dommage », se confie une jeune femme assise à même le sol. Elle ne semble pas être gênée par les odeurs des urines qui proviennent de sa gauche : « Ce sont ces hommes qui pissent là-bas et je suis habituée, ça ne me dit rien, d’ailleurs la saleté ne tue pas les pauvres. »

Forum des lecteurs d'Iwacu

4 réactions
  1. Kibinakanwa

    Témoin,
    Je suis né au Burundi dans cette pauvreté. Mais nous sommes devenus plus pauvres, la saleté est devenue plus crasse.
    Nous reculons globalement
    Est ce une malédiction?
    Si tu vas à la campagne, tu seras horrible de voir combien les gens so t devenus plus pauvres. plus maigres.
    When I was young, in the 50’s. almost everyone had plenty food to eat.
    Et puis, ouvrons les yeux, est ce la même chose en Tanzanie, au Rwanda?

  2. Stan Siyomana

    Quand il y a peu d’annees l’on m’a annonce que mon oncle etait alle voir les travailleurs dans ses champs, puis s’etait rendu au bistrot au haut de la colline ou il etait mort subitement avant meme de finir la boisson (probablement Primus/ikiyeri) et les brochettes qu’il venait d’acheter, je ne savais pas si je devais dire qu’au moins « il etait mort dans l’abondance » ou regretter qu’il avait fait un mauvais choix en combinant l’alcool et le cholesterol (contenu dans la viande de vache) a son age avance de pres de 90 ans. Il etait illetre et quand j’etais encore a l’ecole primaire, une ou quelques fois je lui est redige la liste de ses travailleurs qui installaient des tuyaux d’eau/ibito a travers toute la commune. Au marche, il m’achetait toujours de quoi manger et a boire, d’ailleurs il etait mon parrain de bapteme. Que Dieu garde son ame.

  3. Kibinakanwa

    O my country.
    Things fall apart.
    L’article donne la nausée. Et pourtant les autorités du gouvernement nous chantent : Igihugu ciza cause. Ni ciza hehe?
    Cari ciza, mugabo notre pays s’enfonce.
    Il n’y a pas de honte à être pauvvre. Mais une telle saleté est une conséquence d’un gouvernement à la congolaise ou à la haïtienne.

    • Témoin

      @Kibinakanwa
      Il semble que tu ignores ton pays. Ce qu’on te montre là a toujours existé dans ton pays de lait et de miel. Je parie même qu’on peut trouver pire comme pauvreté.

A nos chers lecteurs

Nous sommes heureux que vous soyez si nombreux à nous suivre sur le web. Nous avons fait le choix de mettre en accès gratuit une grande partie de nos contenus, mais une information rigoureuse, vérifiée et de qualité n'est pas gratuite. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à vous proposer un journalisme ouvert, pluraliste et indépendant.

Chaque contribution, grande ou petite, permet de nous assurer notre avenir à long terme.

Soutenez Iwacu à partir de seulement 1 euro ou 1 dollar, cela ne prend qu'une minute. Vous pouvez aussi devenir membre du Club des amis d'Iwacu, ce qui vous ouvre un accès illimité à toutes nos archives ainsi qu'à notre magazine dès sa parution au Burundi.

Editorial de la semaine

Enrôlement des électeurs. Entre fatalisme et pessimisme

Alea jacta, les dés sont jetés. La période d’enrôlement qui avait officiellement commencé le 22 octobre a pris fin ce 31 octobre. Se faire enrôler est un devoir hautement civique et citoyen en vue de reconduire ou renouveler la classe (…)

Online Users

Total 3 351 users online