Situation des aires protégées, braconnage au pays, menace d’extinction des certaines richesses végétales endémiques, etc., Berchmans Hatungimana, directeur général de l’Office Burundais pour la protection de l’environnement (OBPE) fait le point.
Le 5 juin, c’est la journée mondiale de l’environnement. Comment se portent nos aires protégées au Burundi ?
Globalement, ces espaces et leur biodiversité se portent bien même si des menaces ne manquent pas.
Lesquelles ?
Les exemples sont nombreux. Il y en a qui dépassent leurs limites et perturbent la biodiversité. Il y a des riverains qui installent des cultures dans les espaces réservés aux forêts. Ils détruisent des arbres sauvages. D’autres s’y introduisent à la recherche des plantes médicinales, etc. Nous essayons de faire comprendre aux riverains qu’en cas de besoin d’un tel ou tel autre forestier, qu’ils se conforment à la loi. Tout cela, dans le souci de sauvegarder nos forêts.
A Bujumbura, il y a des gens qui se lamentent comme quoi les hippopotames envahissent leurs maisons. Mais, si on analyse bien, on constate que les zones tampons de la rivière Rusizi et du lac Tanganyika sont occupés par des constructions et des champs agricoles. Et quand ces animaux sortent, ils se retrouvent dans les champs, les habitations. D’où ces conflits entre ces animaux et les hommes. Au lieu d’être une source de revenus en attirant les touristiques, les gens les considèrent comme une source de conflits.
Que dit la loi sur cette zone tampon du lac Tanganyika ?
Pour le lac Tanganyika, la zone tampon est de 150 mètres. Elle peut même aller au-delà. Aucune activité ne devrait être exercée dans cette zone. Malheureusement, le constat est que cette zone a été partout envahie. Dernièrement, je suis parti à Gisyo. On m’avait dit qu’il y a un hippopotame sorti du lac et qui n’a pas retrouvé son chemin de retour. J’ai constaté que les gens ont construit, cultivé jusqu’aux rives du lac. Ainsi, quand ces hippopotames sortent, personne ne peut les en empêcher. Ce qui crée une situation d’insécurité parce qu’ils n’ont plus d’espaces pour brouter.
Il y en a qui y construisent des hôtels, font des investissements sur les plages, etc. Votre réaction ?
Il y a des lois qui autorisent cela. Et ce n’est pas au Burundi uniquement. Ce genre d’infrastructures s’observent dans d’autres pays. On le fait en se conformant à la loi. Au Burundi, il y a un document mis en place par le ministère ayant l’environnement dans ses attributions. Il s’agit du Plan intégré du littoral du lac Tanganyika. Il est en cours de vulgarisation. Il montre les activités qui peuvent être faites sur le littoral du lac Tanganyika. Sans oublier les zones de pâturages pour les animaux aquatiques. Le problème est qu’il y a des travaux déjà réalisés avant la mise en place de ce document.
Outre des hippos, des gens s’attaquent à des chimpanzés…
C’est déplorable. Cela s’est passé l’année passée, à Kayanza, dans la forêt Kibira. Il y a eu des malfaiteurs qui ont tué un chimpanzé. Or, vous savez que cet animal est parmi les espèces protégées. Car, le chimpanzé est proche de l’espèce humaine.
Les auteurs ont-ils été arrêtés, jugés ?
Ils sont dans les mains de la justice. Nous attendons qu’ils soient punis exemplairement. Aujourd’hui, depuis l’arrestation de ces malfrats, ces animaux ne sont plus persécutés. Même quand ils sortent de la forêt, les riverains les protègent et les reconduisent dans leur habitat naturel.
Pour le moment, nous sommes en train de les adapter à la présence humaine. Une façon de les apprivoiser afin que quand ils voient des gens, des touristes, ils ne se sentent pas menacés. Une technique qui est déjà en vogue pour les chimpanzés de la réserve forestière de Bururi, au sud du pays.
Dans le parc de la Ruvubu, on fait état de la recrudescence du braconnage. Etes-vous au courant ?
Malheureusement oui, le braconnage reste une triste réalité. Les buffles sont les plus visés. Surtout du côté Karusi en commune Mutumba. Et là, on enregistre souvent des blessés. Car, le buffle est un animal violent quand il se défend. Et quand on mène des enquêtes pour identifier les blessés, il se manifeste une certaine solidarité négative. Ils essayent de les cacher.
Pourquoi ?
Parce qu’ils savent que le braconnage est un délit punissable par la loi. Dans ce parc, des problèmes sont aussi signalés du côté de Kigamba. Et pour fuir les braconniers, les buffles se dispersent et se retrouvent dans les champs agricoles. Ce qui crée des conflits entre la population d’un côté et l’administration et les éco-gardes de l’autre côté.
Il faut noter que le braconnage est aussi interdit dans les espaces qui ne relèvent pas des aires protégées. Il est interdit par le Code de l’environnement et le code forestier. Idem pour les gens qui font paître leurs troupeaux dans les aires protégées. Des amendes sont prévues pour le gros, ou petit bétail. Ces places sont exclusivement réservées à ces animaux sauvages. Quand un braconnier est attrapé, les OPJ se référent au Code pénal.
Quelles sont les actions en cours pour stopper ce phénomène ?
Nous sommes en train de sensibiliser la population pour élever le petit bétail, les volailles. Cela leur permettra d’avoir de la viande sans toutefois faire recours à la chasse de ces animaux sauvages. Il faut qu’ils sachent que ces animaux ont une grande importance économique pour les familles et le pays. Quand les touristes viennent, ils achètent des objets d’arts, d’autres produits locaux. Ces populations, les riverains de ce parc, gagnent donc de l’argent. Mais, si ces animaux s’effacent, ils ne viendront pas. Ce qui sera une grande perte pour eux et le pays.
Quid des autres aires protégés du sud ?
A Rutana, il y a un espace qui comprend les chutes de Karera. Il n’y a pas beaucoup de grands mammifères. Juste quelques reptiles et des animaux. On y trouve des arbres sauvages. Mais c’est un endroit très visité. Vous constatez que même pendant la saison sèche, ces chutes sont toujours là. Ce site attire beaucoup de monde et nous devons le protéger.
Il faut aussi évoquer les aires protégées de Vyanda, Bururi, Rukambasi,
Kigwena. Elles sont riches en biodiversité, les chimpanzés, les babouins, les singes, etc. Des espèces végétales aussi très variées.
Sont-elles bien protégées ?
Même s’il y a encore des menaces, on peut dire qu’il y a un léger mieux dans leur préservation par rapport aux années précédentes. Nous avons augmenté le nombre d’éco-gardes. Même s’ils ne sont pas encore suffisants, c’est une avancée.
Néanmoins, il y a des gens qui continuent à réclamer des hectares des aires protégées de Vyanda ou Kigwena. Votre commentaire ?
C’est peut-être lié à l’ignorance des lois. Quand l’Etat veut instituer une aire protégée dans telle ou telle autre localité, il peut même délocaliser les populations. Parmi ces gens qui disent que ces espaces leur appartiennent, beaucoup ont reçu des indemnisations et des terres ailleurs.
Au Burundi, nous avons une espèce endémique, les faux palmiers, menacés d’extinction. Pensez-vous déjà à sauver cette espèce végétale ?
Ces plantes se trouvent dans la partie dite palmeraie du parc de la Rusizi. Il est connu sous le nom d’Urukoko. Les gens utilisent leurs branchages pour fabriquer certains objets. Il y en a même qui utilisent leurs graines pour avoir du charbon. C’est une espèce difficile à multiplier. Dans le passé, ce parc était peuplé d’éléphants. Ce sont ces derniers qui facilitaient la multiplication de ces arbres endémiques. Malheureusement, ces animaux n’existent plus, ce qui fait que ces faux palmiers sont aussi en train de disparaitre. Mais, nous sommes à l’œuvre pour trouver une technique de multiplication.
Ne faudrait-il pas repeupler cette partie d’éléphants ?
On y pense. Car, il y a un projet qui sera appuyé par l’Union européenne. Seulement, on va commencer par des études pour voir ce qui a conduit à leur extinction. Pour importer un animal, il faut voir si toutes les conditions sont réunies pour son épanouissement.
La pollution du lac Tanganyika se poursuit, malgré son importance. Votre message ?
Au Burundi, nous avons besoin d’une éducation environnementale. Dans d’autres pays, quand tu finis de boire de l’eau, il est strictement interdit de jeter la bouteille plastique dans la rue. Mais, ici, on boit de l’eau, du jus, et la bouteille est jetée dans la rue. Et tout cela finit dans le lac. Les Burundais devraient en être conscients et considérer ce geste comme une infraction.
Les administratifs avaient même essayé de mettre des poubelles dans les rues, mais le constat est qu’il y a des gens qui préfèrent jeter les déchets par terre. Le lac Tanganyika est une richesse. Il faut que les autorités urbaines punissent ces pollueurs, surtout ceux qui jettent n’importe où les bouteilles en plastique.
Propos recueillis par Rénovat Ndabashinze