En 1992, Prosper Burikukiye, alias Bahaga, sort un album avec des chansons métaphoriques très engagées, très critiques envers les régimes qui se sont succédés au Burundi : Ikinjana ca 20 (le 20ème siècle), Naraduze umudugo (J’ai escaladé une montagne), Serejiyo (Serge), Yasa n’irirenga (Elle était une perle), etc. Il devra s’en expliquer dans un commissariat, à Bujumbura où il entend des gens torturés à mort. Traumatisé, il prend le chemin de l’exil, en Europe. Il y restera 20 ans durant ! Il vient de livrer (juin 2012) aux mélomanes burundais une plaquette d’une dizaine de titres. Une véritable récidive. Rencontre avec le chanteur.
De quoi parles-tu dans cet album ?
Il s’intitule « Imyaka 20 y’agacerere », ce qui veut dire 20 ans de silence. L’album touche à tous les sujets. Les 10 morceaux parlent de l’histoire du Burundi. 9 Sont inédites et un est une reprise.
20 années de silence, qu’est-ce que cela signifie ?
En fait mon dernier album date de 1992. Les problèmes que le Burundi a connus m’ont tellement choqué que je n’avais plus rien à dire. Je n’ai plus chanté. Mais j’ai gardé beaucoup de choses en mon fort intérieur que j’ai décidé de les exprimer à travers des chansons. D’où la réalisation de ce nouvel album.
Seulement en 10 morceaux ?
C’est vrai, ce n’est pas suffisant. On ne saurait pas dire tout ce qui s’est passé pendant 20 ans en 10 chansons seulement. A un certain moment, il faut savoir résumer.
Qu’est-ce qui s’est réellement passé pour que vous partiez ?
Je quitte le Burundi avec l’idée que je vais mourir. Il se passe tellement de choses qu’en moi je ressens que j’avais raison de prendre le chemin de l’exil. Quand vous devez répondre du contenu de vos chansons au commissariat et que vous entendez des gens qui agonisent dans la chambre d’à côté, vous comprenez que vous pouvez être de ce côté-là !
Quel est donc le message que vous lancez en brisant ce silence ?
Le message est qu’il faut parler. Il faut dire ce qu’il faut dire. Si je le fais, c’est parce qu’il y a maintenant la liberté d’expression et il faut mettre les points sur les « i ». Par exemple, je constate qu’il existe plusieurs médias. Vous diffusez une information sans qu’on vous censure. Ce qui n’était pas le cas avant. J’essaie de dire ce que j’ai longtemps pensé tout bas. A un certain moment il faut le dire à haute voix. Les médias parlent, pourquoi pas les musiciens ?
Mais sur la scène internationale, vous n’avez pas été aussi si silencieux…
Effectivement, je n’ai pas arrêté de chanter une seule seconde. Mais la scène nationale était mon fief. Il faut avoir une base pour faire quoi que ce soit. J’ai essayé de me produire sur la scène internationale, j’ai joué des concerts par-ci, par-là, mais je suis rendu compte que cela ne servait à rien tant que je n’avais pas une base, un endroit pour me recueillir.
« Ivyahishuwe n’umuganwa Ludoviko Kiraranganya » (Les révélations du prince Louis Kiraranganya), « Yaga Mukama » (Parles Seigneur !), « Vyose vyarahinyutse » (Tout à été mis à nue), « Ndakumbuye » (J’ai de la nostalgie) etc. sont autant de titres qui figurent dans le nouvel album de Bahaga. L’artiste chante l’histoire trouble de son pays depuis l’assassinat du premier président démocratiquement élu, jusqu’à nos jours, en passant par les accords d’Arusha pour la paix au Burundi.
Ne lui demandez ni maison d’édition ni point de vente de son album. « C’est un cadeau que j’offre à mon pays », lance-t-il en précisant, quand même, que les différentes radios de la place peuvent le lui demander pour leurs tranches d’animation. Comme si la piraterie ne lui disait rien : « Ceux qui copient ma musique contribuent à en faire une publicité », indique-t-il sans aucune gêne.