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« Aujourd’hui, nous sommes dans un supermarché du religieux ! »

05/05/2013 Commentaires fermés sur « Aujourd’hui, nous sommes dans un supermarché du religieux ! »

A l’origine, toutes les religions considérées aujourd’hui comme dominantes furent combattues. Les premiers chrétiens ou les premiers Mecquois à suivre les enseignements du prophète de l’Islam, étaient incompris et furent marginalisés voire persécutés. Avec le modernisme, c’est l’éclosion du pluralisme dans tous les domaines même religieux. On se retrouve en plein supermarché du religieux, c’est la religion à la carte… Rencontre avec le sociologue Nicodème Bugwabari [[<1>Le Professeur Nicodème Bugwabari est docteur en Histoire, option histoire des relations internationales contemporaines et détenteur d’un DEA (diplôme en études approfondies) en sociologie politique à l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne.]]

<doc7526|right>{Qu’est-ce qui explique le foisonnement religieux actuel ?}

Il fut un moment où on ne pouvait pas parler de foisonnement religieux. Il n’y avait que le Catholicisme, le Luthéranisme, le Calvinisme et l’Anglicanisme. Avec la réforme protestante, il y a eu naissance de religions réformées.
Même si la tendance actuelle est de vouloir expliquer ou lier le foisonnement religieux observable aujourd’hui à des crises sociopolitiques qu’a traversées le Burundi ou la sous-région, moi j’expliquerais les choses autrement en passant par ce que j’appelle « modernité religieuse » qui va avec le pluralisme, la naissance de la démocratie occidentale au 18ème siècle. Et ce fut la naissance de l’homme démocratique. La modernisation s’exprime par la globalisation, inconcevable sans pluralisme dans tous les domaines même au niveau religieux. Ce pluralisme est un des grands traits de la modernité. Nous sommes aussi au temps de l’individualisme où des gens peuvent penser en tant qu’individus. Cette modernité ne peut pas se concevoir sans cet individualisme, à ne pas comprendre dans le sens de l’égoïsme. Il s’agit de la naissance de l’individu dans l’espace public. L’individu s’exprime en tant qu’individu et cette expression va au niveau religieux.

{Mais cela ouvre la porte à l’anarchie !}

Lors de la reforme du 16ème siècle, l’individu avait pris conscience de lui-même. Il peut penser sans passer par aucune autorité religieuse pour pouvoir communier avec le divin. C’est le sens même de la réforme protestante. Cet esprit a continué jusqu’au 20ème siècle. L’individualisme et le pluralisme ont progressé dans un contexte de globalisation. Cet individualisme et ce pluralisme vont avec un autre trait de la modernité appelé « réflexivité systématique », c’est-à-dire que ces individus s’opposent à la suprématie du groupe social sur l’individu qui prend le dessus sur le groupe. La « réflexivité systématique » c’est cet individu qui critique tout, qui réfléchit sur tout, qui met en cause tout : les traditions religieuses, l’ordre politique ou social établi.

{Tel prince, telle religion ou tel individu, telle secte ?}

Il y a foisonnement religieux parce que ce pluralisme, cet individualisme et cette « réflexivité systématique » sont à leur comble. Aujourd’hui, nous sommes dans un supermarché du religieux. Chacun y entre et trouve son article, c’est comme dans un grand restaurant, on vous présente une carte et vous faites votre choix. Nous sommes aujourd’hui dans cet univers de la religion à la carte, dans un supermarché du religieux. Il y a cette liberté qui va avec l’individualisme au point que vous pouvez trouver dans une famille où le papa et la maman sont de fervents catholiques au moment où les enfants sont, les uns au « Bon Berger », les autres au « Zion Temple » ou au « Restoration Church », …

{Vous trouvez normal qu’un individu se lève un bon matin et se déclare pasteur ou même apôtre ?}

C’est tout à fait normal. Au niveau sociologique, ce sont des faits sociaux. Même pour les religions les mieux établies aujourd’hui comme le catholicisme, il fut un temps où c’était une secte du judaïsme. Les Juifs ne le considéraient pas comme normal. C’est certainement la même chose pour Muhammad Ibn Abdallah et son groupe à la Mecque. Ils n’étaient pas considérés comme normaux à son époque.
Cette forme de religion devient « normale » quand elle acquiert un pouvoir de domination au niveau social et au niveau politique. Ce foisonnement des religions est tout à fait normal. Pour moi je ne dirai pas {amadini y’ivy’aduka} (des religions improvisées), mais modernité religieuse pour mettre un accent sur ce pluralisme.
A l’intérieur de chaque pays, avec la perspective sociologique du fonctionnalisme, la religion peut avoir plusieurs rôles : c’est notamment le fait que les individus en situation de détresse, de famine, d’angoisse se sentent mieux, rassérénés, réconfortés. Ceci est une des explications que l’on peut donner mais elle ne suffit pas.
Avec la mondialisation certaines religions sont devenues de véritables « multinationales de biens du salut ». Ces biens du salut traversent les frontières, ils peuvent nous venir du Congo, du Rwanda de la Tanzanie ou  made in USA. Nous vivons dans ce contexte de « multinationales de biens du salut ». Toute religion devient alors une entreprise de biens du salut.

{C’est du business ?}

Ce n’est pas exactement cela. Dire que c’est du business, cela devient du réductionnisme de ce fait religieux. Mais chez certains, oui ! En passant par le « dixième » ou la dîme. Mais il ne faut pas que l’explication soit unidimensionnelle.
Concernant ce foisonnement religieux, il y a multi-causalité. Il est vrai que certains en font du business mais cela n’explique pas tout parce que le phénomène religieux est un aspect de notre conscience. Nous ne pouvons pas l’évacuer ou le balayer d’un revers de la main. La science n’évacuera jamais le fait religieux. Il y a une fonctionnalité de la religion que la science ne pourra jamais occuper.

{Mais il y a aussi des imposteurs, presque …}
Avant de parler d’imposteurs, je parlerai de ce foisonnement qui vient de cet individualisme et de ce pluralisme caractéristiques de la modernité. Quand on parle d’imposteur, il y a un site ou un contexte social à partir duquel nous parlons. C’est celui des religions dominantes. Quelqu’un de ’’Zion Temple’’ », de l’ ’’Eglise Vivante’’ ou du ’’Bon Berger’’ ne peut pas facilement parler d’imposteur mais un musulman, un catholique, un méthodiste, un anglican, un méthodiste, un pentecôtiste peut le dire parce qu’il appartient à une religion dominante.
Chez ces gens, il y a une sorte de pouvoir religieux, la dimension hiérocratique de la religion, un pouvoir de domination charismatique. Ils sont sensés au niveau de leur groupe avoir des qualités que ce dernier juge extraordinaires et le groupe est envoûté, hypnotisé.

{Là vous comprenez alors le phénomène « Zebiya » ?}

Oui, bien sûr que je le comprends ! Pourtant je suis un catholique pratiquant. Du point de vue sociologique, ces phénomènes ont toujours existé dans les sociétés. Lorsque Luther a surgi, tout le monde était en émoi. Eusébie n’a jamais dit qu’elle quittait l’Eglise catholique. Elle dit avoir des visions de la Vierge Marie. Il ne s’agit pas d’une nouvelle religion mais d’un phénomène religieux qui met en exergue la Vierge Marie de façon qui n’est pas acceptée par l’Eglise catholique.

{Est-ce juste d’interdire ou de réprimer ces confessions ?}

Même si on interdisait ces mouvements religieux, ils réapparaîtraient sous une autre forme. C’est cela la modernité religieuse, il y des recompositions du religieux. C’est le règne du "Do it yourself". Il y a de véritables fabriques. Dans un pays comme le Brésil, il y a des milliers et des milliers de confessions religieuses, rien à voir avec ce que nous voyons ici !

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