Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Saturnin Coyiremye.
Votre qualité principale ?
Difficile de se juger. Je pense que cela revient aux autres. Sinon, je suis un farouche opposant à l’anarchie.
Votre défaut principal ?
J’ai tendance à élever la voix. Je ne sais pas si cela résulte du fait qu’à tout prix, j’aime me faire comprendre. Pour cela, je suis perçu comme une personne autoritaire alors que ce n’est pas le cas.
Un enseignant « grondeur », votre voix ne faisait-elle pas peur aux élèves ?
Au contraire. La qualité d’un enseignant, c’est de parler. D’ailleurs, si c’était possible, il utiliserait un haut-parleur. Aussi, il faut admettre que lorsqu’on enseigne, il faut de temps en temps savoir se montrer ferme voire sévère.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
L’écoute.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
Le mensonge.
La femme que vous admirez le plus ?
Ma femme. Je lui dois beaucoup. En plus du fait qu’elle me supporte encore, malgré mes défauts. C’est une femme digne. Une conseillère sans pareil.
L’homme que vous admirez le plus ?
Tout homme ouvert d’esprit. Une fois en contact avec lui vous vous sentez pousser les ailes. Et dans ma vie, j’ai eu à rencontrer ce genre de personnes. Je citerai Frère Thomas Rureraho, Joseph Sambira, feu président Melchior Ndadaye. Un homme avec un leadership sans nom. Je me souviens de son slogan : « L’unité nationale ça se vit, ça ne se décrète pas !». Son projet de société : les 36 propositions. Un projet unique par sa façon d’aborder la question de l’unité nationale. Aussi feu président Pierre Nkurunziza me fascinait par sa simplicité, sa proximité avec la population.
A bientôt 65 ans, quel est votre plus grand regret ?
Je regrette cette globalisation rampante. Je digère mal quand autrui est accusé de tous les maux parce qu’il est de telle l’ethnie ou appartient à tel parti politique.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Une autre crise qui réveillerait les vieux démons. Pour tout dire, je ne voudrais pas que nos enfants revivent la même situation. En 1972, j’étais en 8ème année, figurez-vous qu’il y a des classes, surtout celles de la 10ème année qui ont fermé parce que les élèves avaient été tués. J’étudiais à Musenyi, en commune Tangara.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
Ils doivent être nombreux. Par le passé, on peut évoquer l’unification du pays par Ntare Rushatsi, la résistance contre les envahisseurs par Mwezi Gisabo. Sinon, durant le 21e siècle, je citerai la réunification des forces de défense de sécurité grâce à l’Accord d’Arusha reste un fait marquant. Pour la toute 1ère fois, chacun allait être représenté dans ce corps.
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
L’indépendance du pays, le 1er juillet 1962. Cependant, tout compte fait, je trouve que la victoire du Frodebu aux présidentielles et aux législatives de juin 1993 a amorcé une nouvelle ère pour le Burundi.
Le métier que vous auriez aimé exercer ?
L’enseignement. Un régal quand on partage son savoir.
Votre passe-temps préféré ?
La lecture, le sport
Votre lieu préféré au Burundi ?
La commune Nyabikere, de la province Karusi. Un endroit exaltant, unique par la convivialité de sa population.
Le pays où vous aimeriez vivre ?
Le Burundi. Même au plus fort de la crise, malgré les sollicitations, je n’ai jamais voulu quitter le pays.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
C’est toujours un plaisir d’explorer de nouvelles cultures. Mais, depuis un bon bout de temps, je pense que le Canada est unique par le mélange de cultures.
Votre rêve de bonheur ?
Terminer ma vie en bon chrétien, vivant en parfaite harmonie avec mes semblables.
Votre plat préféré ?
De la banane cuite à l’eau.
Après 13 ans, vous décidez de quitter le couvent. Que se passe-t-il ?
En ce qui me concerne, je pense que j’avais accompli la mission que le Tout-Puissant m’avait assignée. Lorsque j’ai senti que j’avais fait mes preuves, j’ai répondu à un autre appel de Dieu, celui de fonder mon foyer.
Votre plus beau souvenir ?
Lorsque le Frodebu a remporté les élections de 1993. Bien qu’au fond de nous-mêmes, nous savions pertinemment que nous n’allions pas gouverner. La joie que j’ai éprouvée ce jour-là, je pense que je ne la revivrai pas. Elu député de Karusi, figurez-vous que je ne comprenais même pas ce qu’être député signifie. L’autre souvenir, c’est la signature de l’Accord d’Arusha, le 28 août 2000.
Votre plus triste souvenir ?
L’assassinat de Ndadaye, l’assassinat de mon père en 1993. Bref l’assassinat de tous ces innocents sacrifiés sur l’autel de l’intolérance politique.
Un natif de Ngozi qui est élu député de Karusi. Sa population se sentait-elle représentée en vous ?
C’est elle qui me l’a proposé. A l’instar de l’actuelle Constitution, vous pouvez être élu partout où bon vous semble. Je pense qu’à cette époque, c’étaient les valeurs que tu inspirais.
En 1993, tout le monde converge à dire qu’il y avait des signes avant-coureurs d’une possible crise?
Oui, les signes annonciateurs étaient là. Les agressions verbales… Lors de la campagne, la tension était déjà perceptible. Des militants du Frodebu ont mis en garde les Upronistes qu’ils ne se laisseront pas faire. Qu’ils ne toléraient plus les injustices. De l’autre côté, l’Uprona. Sans détours, certains de ses députés qui rappellent à la population : « Si vous voulez vivre, voir grandir et éduquer vos enfants, il faut voter Uprona.» Bref, des menaces à peine voilées qui ne présageaient rien de bon.
Dr Minani, avec Nzojibwami qui vous exclue du Frodebu, après la signature de l’Accord d’Arusha. Que vous reproche-t-il ?
Il voulait nous embarquer dans les histoires de G10, G7…Une fausse idée. Parce qu’en ethnicisant le parti, il trahissait tous ses idéaux. Il oubliait que parmi ses fondateurs, il y avait des Tutsi à l’instar de Gilles Bimazubute. Hélas, c’est un piège dont il n’a jamais pu se défaire.
Actuellement, quels sont vos rapports ?
Politiquement, je pense qu’il persiste des divergences de vue. Et si jamais il rentre, je l’accueillerais à bras ouvert.
Karusi est une des provinces ayant le plus été frappée par la crise. Comment avez-vous vécu la situation ?
De Bujumbura, précisément à Kamenge où je vivais, j’étais consterné. Attristé, parce que je ne pouvais rien faire. Entièrement coupées, il était impensable de voyager par les routes. Heureusement, l’ancien chef d’Etat-Major, feu Col Bikomagu, histoire de sauver par la pacification le peu qui restait, a mis un hélicoptère à ma disposition. Une désolation totale lorsque pour la 1ère fois, j’ai visité les provinces de Karusi, Muyinga et Gitega.
Des amis Hutu et Tutsi, surtout de Karusi, avaient été sacrifiés sur l’autel de l’intolérance politique. Dans toutes les communes, des maisons en fumée, des cadavres jonchant le sol.
Au cours de vos tournées, des sources assurent que vous l’avez échappé belle. Est-ce vrai ?
Qui n’a pas failli ? Le colonel Bikomagu à Bugenyuzi, le colonel Nkurikiye à Shombo. C’est par miracle que nous n’avons pas été tués. Dans l’optique de pacifier la population, nous allions dans des sites de déplacés. Je me souviens qu’un jour, un jeune déplacé est passé derrière nous. Ce jour-là, j’étais avec feu Colonel Bikomagu. Une fois à ma hauteur, il a sorti une machette voulant me décapiter. N’eût été Bikomagu qui a pris son bras, le pire serait arrivé.
Bref, une horreur sans nom…
L’autre souvenir, c’est quand nous sommes à Bugenyuzi. Par inadvertance, la veille, je leur ai dit que je viendrai avec le colonel Bikomagu. Le lendemain, nous sommes avec 12 de ses bérets rouges. Chauffés à blanc, la population rentre chez elle pour revenir avec des armes blanches. Elle criait à tout va qu’elle doit le tuer. Un moment de stupeur. Voyant leur ardeur décuplée, j’ai commencé à les raisonner.
Que leur avez-vous dit ?
Avec une voix à peine audible, je leur ai demandé : « Certes, vous allez tuer Bikomagu. Et qu’en sera-t-il pour moi ? Croyez-vous que les 12 bérets rouges vont me laisser ? »Peu à peu, ils sont revenus à la raison.
Parlez-nous de la fatidique date du 21 octobre 1993. Où étiez-vous ?
La veille, nous étions à l’Assemblée nationale en train de débattre sur la loi communale. Une éprouvante séance. Je me souviens que nous étions en train d’élire la loi communale. Très houleux, les débats ont duré jusqu’à 22h.
Quel était le nœud du problème ?
La loi communale stipulait que les administrateurs communaux devaient être élus. Voyant qu’ils allaient être battus à plate couture, les députés de l’Uprona ont tout fait pour saboter cette séance. Et ce jour-là, il s’est dit des choses ! Je me souviens d’ailleurs qu’un des députés de l’Uprona a ouvertement menacé Pontien Karibwami, alors président de l’Assemblée nationale. Dans de termes crus, il lui a dit : « Sois en bien conscient ! Osez toucher à cette loi, la suite, tu verras.» Chose promise, chose due. Le lendemain, il a été tué. Pour vous dire que certains de nos collègues savaient déjà ce qui se tramait.
Vous êtes à Bujumbura, vous ne pouvez même pas lancer un appel au calme à la population de Karusi. Qu’avez-vous fait ?
Le lendemain matin, nous avons organisé une marche-manifestation dans Kamenge pour dire non contre cette usurpation du pouvoir du peuple par des militaires. Juste après avoir dépassés Nyabagere, des soldats ont tiré sur la foule. Sur le coup, je me rappelle bien que 18 personnes ont perdu la vie sur le champ .La situation devenait intenable. Après deux jours, nous avons préféré fuir vers Matyazo, Mubimbi pour débarquer à Nyambuye.
Dans le livre blanc de l’Uprona, on évoque « le Code Juin ». C’est quoi ?
Parfois, les Burundais sont spécialistes du montage. Ils peuvent travestir ou déformer la réalité à leur guise. Lorsque nous sommes arrivés à Nyambuye. Nous avons trouvé d’autres gens qui avaient fui la capitale. Bien organisés, ils avaient mis en place une structure qu’ils avaient appelé Coalition pour la Défense de la Démocratie de Juin (CODD-Juin). En substance, c’était une façon de conscientiser la population pour qu’elle ose dire non face à cette violation de l’ordre établi.
Contrairement à ce que laissent penser des gens malintentionnés, il n’y a jamais eu de code donnant le coup d’envoi aux massacres.
Ancien député, quel souvenir gardez-vous de l’hémicycle de Kigobe ?
Des débats houleux. Deux forces politiques qui se défient en permanence. Compte tenu du contexte (assassinat de Ntaryamira, le retour de Buyoya), les massacres… c’était une situation difficile à vivre.
Justement à l’hémicycle de Kigobe, on vous surnommait « Député amendement ».Pourquoi ?
Suite à ces tensions, je me rappelle bien qu’il n’y aucune loi qui est passée à l’Assemblée nationale, ne fût-ce qu’un projet de loi dans lequel je n’ai pas donné au moins 20 amendements de fond comme de forme. En tant qu’élu du peuple, c’était de mon droit de défendre ses intérêts. Autrement, nous allions tout gober.
Vos observations étaient-elles prises en compte ?
Oh que oui ! A titre d’exemple, je citerai l’amendement concernant la peine de mort, le code de procédure pénale (quand il fallait arrêter les gens). Compte tenu du contexte, que vous soyez malfaiteurs ou pas, il ne fallait que tu sois arrêté après 18h. Tout comme il ne fallait pas que tu le sois avant 6h du matin.
Vous étiez donc parvenu à imposer votre voix…
Je ne dirai pas cela. Je bataillais bec et ongles pour que cela soit possible. Par exemple, à l’époque, il y a certains de mes amendements qui n’ont jamais été pris en compte. Mais au fil des années, ils ont pris forme. Je citerai l’amendement de la loi budgétaire .Un casse-tête parce que l’on te demande où tu vas trouver de l’argent.
Une anecdote : peut-être que la famille de feu président Nkurunziza me le revaudra. C’est moi qui ai proposé que l’on accorde une intendance à Pierre Nkurunziza, alors ministre de la Bonne Gouvernance. Une partie des députés du Frodebu et pratiquement tous les Upronistes m’ont demandé où le gouvernement allait trouver de l’argent ?
Je ne sais comment cette idée m’est passée par la tête. Je leur ai dit qu’il fallait appliquer le principe de la réciprocité sur les coûts de transport Bujumbura-Kigali. A l’époque, quand un Burundais partait au Rwanda, il payait 35000 BIF. Au retour, il déboursait 5000 BIF. Je leur ai suggéré d’appliquer le principe de réciprocité. Heureusement, ce jour-là, les députés de l’Uprona et ceux du Frodebu l’ont compris de la même manière. Et du coup, on a trouvé cet argent.
Autre amendement qui par la suite a fini par voir le jour : Ndadaye, héros, martyr de la démocratie. Lorsque je l’ai proposé, personne ne voulait l’entendre. Mais, aujourd’hui, il y a une journée en sa mémoire, etc
Un bon représentant du peuple, comment doit-il être ?
Il d’abord suivre de près l’action gouvernementale. Aussi, il faut bien que ce denier puisse oser convoquer les membres du gouvernement. C’est son arme absolue.
Le 25 juillet 1996, Buyoya revient aux affaires après un coup d’Etat. Comment avez-vous vécu cela ?
Tout d’abord, je dois rappeler une chose. Les coups d’Etat ne sont que l’arme des faibles. Des gens à court d’arguments qui préfèrent utiliser la force. Pour revenir à votre question, ce fût un coup de poignard.
D’abord, il y a le Frodebu, qui était régi par la Constitution de 1993, et l’Uprona qui était régi par un texte qui s’appelait l’arrangement politique de transition. Vainqueurs des élections de 1993, nous réclamions le retour à la légalité.
Il se dit que vous étiez intransigeant, très dur avec certains ministres…
Très dur, non ! Mais, il fallait bien qu’il sache bien se tenir devant les élus du peuple.
Et cet épisode où vous protestez pour que le président de l’Assemblée nationale chasse de l’hémicycle feu Col Firmin Sinzoyiheba, alors le ministre de la Défense…
Avant tout, je dois rendre hommage à l’homme qu’était M. Sinzoyiheba. Un homme qui ne mâchait pas ses mots. Pour revenir à la question, ce jour-là, après son exposé, la séance des questions commence. Cependant, face à la salve de questions, lorsque vient le moment d’y répondre, il glisse en ces mots : « C’est déplorable parce que je pensais poursuivre les rebelles dans la Kibira alors qu’il y en a dans l’hémicycle.» Piqué au vif, je me suis immédiatement levé, et j’ai demandé à Léonce Ngendakumana, alors président, de le chasser dehors. J’ai insisté pour que cet incident soit mis dans le PV.
Est-il revenu dans l’hémicycle ?
Après quelques minutes, Ngenzebuhoro, alors vice-président, a plaidé auprès de Léonce afin qu’il retourne terminer de répondre aux questions. Après s’être excusé, les travaux se sont poursuivis.
Un sacré monsieur …
Et comment ! Un autre jour, en plein exposé, il lâche : « Honorables députés, si l’on faisait un coup d’Etat non sanglant, n’allez-vous pas nous soutenir ? » Ne pouvant pas me retenir, je me suis d’un coup levé pour demander que l’on le chasse de l’hémicycle. Imaginez-vous, un ministre qui vient de demander la bénédiction du Parlement pour faire un coup d’Etat. Etait-ce un clin d’œil prémonitoire ? Toujours, est-il qu’un mois après, le président Ntibantunganya sera chassé du pouvoir.
Le Frodebu qui ne cesse s’émietter. Pensez-vous qu’un jour, toutes les ailes pourraient s’unir ?
Certains membres ont pensé que l’ethnie pouvait avoir une place, oubliant que parmi les membres fondateurs du Frodebu, il y avait des Tutsi. Je pense que tant qu’il y aura des affaires de « coup d’état » à l’intérieur des partis politiques, les partis continueront à se disloquer. L’appât du gain doit cesser.
Votre définition de l’indépendance ?
C’est lorsque tout le monde a les mêmes droits et les mêmes chances. Au Burundi, tel qu’aime le dire le président Ndayishimiye, c’est quand tous les Burundais auront à manger, à mettre sous la dent et dans la poche.
Votre définition de la démocratie ?
Le respect des droits de l’homme, la redevabilité des représentants du peuple devant la population qui l’a élue, la liberté d’expression, etc.
Votre définition de la justice ?
Egalité de tous devant la loi.
Si vous étiez ministre de l’Education nationale, quelles seraient vos deux premières mesures ?
C’est le projet de société du parti Sangwe Pader :
– Se donner des voies et moyens pour que l’éducation soit accessible à tout le monde. Ce, du primaire à l’université.
-Mettre à l’honneur l’enseignant (une rémunération confortable).
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Les gens sont bons. Autrement, on vivrait un vrai enfer.
Pensez-vous à la mort ?
Tout ce qui a un début a une fin pour paraphraser St François d’Assise.
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
Un passage obligé. Je me prépare en conséquence pour que ce jour arrive étant prêt.
Propos recueillis par Hervé Mugisha
Iwacu, dans l’entrevue qu’il accorde à certaines personnes dans la rubrique Culture, Au coin du feu avec…, a l’habitude de poser une question qui a retenu mon attention: Pensez-vous à la mort? Les personnes interviewées répondent chacune à sa façon. Je voudrais livrer ci-apès un extrait d’une publication d’une religieuse et mystique française, la Vénérable Marie Lataste (1822-1847), à qui Notre Seigneur Jésus-Christ a expliqué les raisons pour lesquelles nous devrions penser très souvent à la mort. Si mes compatriotes le faisaient souvent, ils y gagneraient énormément et probablement que nous mettrions fin à nos divisions stériles dans notre pays. Cet extrait est tiré du chapître 4 du livre 12 intitulé: Les fins dernières (mort, jugement, purgatoire, paraids, enfer).
J’avais assisté un jour à l’enterrement d’une femme. Pendant que je priais pour elle et que je demandais à Dieu de lui faire miséricorde, j’entendis le Sauveur Jésus qui me parla ainsi :
« Ma fille, il y a trois sortes de mort : la mort naturelle, la mort spirituelle et la mort éternelle. La mort naturelle est la séparation de l’âme et du corps; la mort spirituelle est la séparation de l’âme et de la grâce par le péché; la mort éternelle est la séparation de l’âme et de Dieu par la punition éternelle du péché.
« La mort naturelle, ma fille, est la séparation de l’âme et du corps; cette mort est la première punition portée contre le péché. Le péché a été la cause de la mort. l’homme n’était point destiné à mourir, mais, parce qu’il s’est révolté contre Dieu, il a été condamné à la mort.
« Tous les hommes sont condamnés à la mort naturelle parce qu’ils ont tous péché en Adam. Les grands et les petits, les savants et les ignorants, les riches et les pauvres, les potentats et leurs sujets, tous sont marqués du signe de la mort et pas un ne lui échappe. Chacun disparaît tour à tour, et chaque jour est un pas de plus vers la mort.
« Tous les hommes sont condamnés à la mort naturelle, l’arrêt est porté contre tous; mais nul ne connaît, à moins d’une révélation spéciale, ni le jour, ni l’heure, ni la manière, ni le lieu de sa mort. la mort arrive comme un voleur; elle surprend, quand on y pense le moins, le plus souvent alors qu’on se promet quelquefois encore une longue existence. La mort arrive et ruine tous les plaisirs de la vie, les richesses de la vie, les honneurs de la vie, la force et la vigueur de la vie; elle ne laisse rien de l’homme qu’un cadavre; elle ne laisse qu’une vile pâture pour les vers du tombeau.
« La mort spirituelle est la séparation de l’âme et de la grâce de Dieu. votre âme, ma fille, est immortelle; elle n’a pas besoin comme votre corps d’être vivifiée par un principe supérieur à elle-même; elle ne se crée pas elle-même, elle vient de Dieu; mais Dieu crée l’âme pleine de vie, et la vie que Dieu donne à l’âme est une vie immortelle. Cette vie de l’âme n’est pas pourtant sa vie véritable; il y a une vie préférable à cette vie, une vie plus élevée, plus précieuse, qui lui est communiquée et qui devient sa propre vie, que l’âme peut posséder et perdre une fois qu’elle l’a reçue. Cette vie lui est donnée par la grâce sanctifiante dont je vous ai déjà entretenue.
« La grâce sanctifiante est la vie spirituelle et surnaturelle de l’âme. Elle lui est donnée par le baptême et les autres sacrements; elle lui est enlevée par le péché mortel. Toute âme qui est en état de péché mortel a perdu la vie de la grâce. Il y a incompatibilité radicale entre la vie de la grâce et le péché mortel. Aussi toute âme qui est en état de péché mortel est morte à la vie de la grâce, bien qu’elle conserve sa vie naturelle, qui lui a été donnée au moment de sa création.
« Cette mort est terrible et souverainement déplorable, parce qu’elle peut fixer l’âme dans la mort éternelle.
« La mort éternelle, ma fille, est la séparation éternelle de l’âme d’avec Dieu par la punition que Dieu inflige à l’âme en état de péché.
« Quand une âme est séparée du corps qu’elle vivifiait et qu’elle apparaît devant Dieu, son sort est immédiatement fixé et pour l’éternité. Si elle est unie à Dieu par la grâce sanctifiante, elle sera éternellement heureuse et jouira éternellement de la vue de Dieu; si elle est séparée de Dieu, non par le péché mortel, mais par la peine due à ce péché qu’elle n’a point expié ou par le péché véniel, cette séparation ne sera que temporaire, elle est unie à Dieu par la grâce sanctifiante; Dieu, après lui avoir fait expier ce qu’elle doit à la justice divine, l’appellera dans ses tabernacles éternels; si cette âme, au contraire, est séparée de Dieu par le péché mortel et qu’elle soit trouvée dans cet état au moment où il lui demandera compte de sa vie dans le temps, elle sera éternellement damnée. La vie de la grâce a fui de cette âme, la mort du péché l’a pénétrée tout entière; elle restera éternellement dans cette mort, et cette mort éternelle sera punie par une peine qui n’aura jamais de fin.
« Tous doivent mourir, mais seulement de la mort naturelle. Nul n’y peut échapper, mais tous doivent fuir les deux autres. Or, pour cela, le meilleur moyen, c’est de penser souvent à la première, à la séparation de l’âme et du corps. La pensée de la mort détache en effet du monde, de ses pompes, de ses plaisirs et de ses joies, qui sont causes de péché, de mort spirituelle et éternelle.