Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Reynolds Butari.
Votre qualité principale
Je suis quelqu’un de très déterminé.
Votre défaut principal
Je suis un « overthinker ». Je réfléchis trop. Je peux ressasser dans ma tête un sujet pendant cinq jours, l’analyser dans les moindres détails, pour finalement revenir à la même conclusion que j’avais dès le début de la réflexion. Plus embêtant, je sais que cela fatigue mon entourage.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
Sans hésitation, je dirais la loyauté.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
L’hypocrisie. Je pense qu’il n’y a pas pire que d’avoir de faux-amis. Cela peut te coûter cher dans la vie, parfois, te coûter la vie. C’est pourquoi la prudence doit toujours rester de mise.
La femme que vous admirez le plus ?
Franchement, j’hésite entre plusieurs femmes. Pour moi, les femmes burundaises (à commencer par ma maman) sont toutes des « super-women ». J’admire en particulier leur sens du sacrifice et du bien commun. Le Burundi n’aurait pas survécu comme nation sans ces femmes. Pour revenir à la question, mon choix se porterait sur Maggy (Marguerite Barankitse de la Maison Shalom). Selon moi, elle symbolise tout le courage que la femme burundaise a pu démontrer pour maintenir la cohésion sociale. Plus étonnant, c’est son humilité bien qu’elle côtoie des têtes couronnées, des politiciens de haut rang et de grandes fortunes d’Europe. Par exemple, j’ai entendu dire que la reine de Suède est son amie personnelle, et que souvent elle l’invite pour des dîners avec des hôtes de marque. Pourtant, on ne la voit pas parader, inonder les réseaux sociaux de photos avec ces grandes personnalités après chaque dîner. Pour moi, cette discrétion est une marque de noblesse.
L’homme que vous admirez le plus ?
J’hésite entre plusieurs noms, mais s’il faut en choisir un, je dirais Anthony Robbins. Ses livres et ses programmes ont radicalement changé ma façon de percevoir les choses. Il a su résumer et mettre en pratique plusieurs concepts de psychologie, tels que la programmation neurolinguistique, l’hypnose et l’estime de soi, en des actions pratiques qui peuvent aider quiconque à améliorer son bien-être. En peu de mots, il a rendu la psychologie accessible à « tout le monde ».
Votre plus beau souvenir ?
J’en ai beaucoup ! Je vais donner les deux plus récents. Le premier, c’est cet hiver. J’avais emmené mon fils au ski. Il a skié comme un maître, alors que c’était sa première fois. Les gens me demandaient depuis combien de temps il skie. Cela m’a rendu très fier de dire que c’était la première fois. Le deuxième, c’est la naissance de mon second fils en avril, pendant la période de confinement. Je m’attendais à des complications de plusieurs ordres, mais finalement tout s’est bien passé.
Votre plus triste souvenir ?
Le 9 juin 2015, le jour où m’a sœur m’a appelé pour m’annoncer le décès de mon père. Il est parti à un moment où je faisais face à beaucoup de challenges dans ma vie. J’ai mis du temps à m’en remettre.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Mon plus grand malheur serait de perdre mes deux fils. Je crois qu’il n’y a pas pire dans la vie que de perdre ses enfants. La preuve : Il existe des mots pour dire perdre son père/sa mère (orphelin), sa femme/son époux (veuf/veuve), mais il n’y en a pas pour celui qui perd un enfant ou un frère.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
La proclamation de l’indépendance, le 1er juillet 1962. C’est vrai qu’à cette époque beaucoup de pays africains y avaient accédé, mais la hargne, le courage avec lesquels le Prince Rwagasore et ses compagnons de lutte ont mené ce combat était digne d’un thriller hollywoodien. Dommage que le Prince n’ait pas survécu pour continuer son œuvre.
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
La même date, le 1er juillet 1962. Franchement, je trouve qu’un film devrait être produit sur cette épopée. Les générations futures ont le droit de connaître la genèse de la conquête de notre souveraineté.
La plus terrible ?
Le 21 octobre 1993. L’assassinat du président Ndadaye, le 1er président démocratiquement élu. Le Burundi, en tant que nation, continue de payer cher cet acte. Ceux qui ont perpétré ce coup d’État, personnellement, je trouve qu’ils n’avaient pas besoin de l’éliminer. Ils auraient pu le mettre en résidence surveillée ou bien l’exiler, ou alors l’envoyer dans une ambassade pour l’exfiltrer. Hélas, ils ont choisi de commettre l’irréparable vouant aux gémonies toute la postérité.
Le métier que vous auriez aimé faire ?
Psychologue et investisseur. Il se trouve que la vie m’a ouvert pas mal de portes. J’ai pu devenir psychologue, il me reste maintenant à devenir un véritable investisseur.
Votre passe-temps préféré ?
Assouvir ma curiosité. J’aime beaucoup regarder des documentaires, des reportages ou lire des articles sur des sujets divers. Par exemple, aujourd’hui, je peux lire des articles et faire de petites recherches sur Google à propos de la 5G, histoire de comprendre pourquoi beaucoup de gens sont contre son installation. Et demain, je peux lire la formation des cellules souches et leur application concrète dans la médecine actuelle. Tandis que le soir, je peux « googler » pour comprendre pourquoi les Argentins sont « racistes », comment ils ont fait pour éliminer tous les noirs d’Argentine, etc.
Votre lieu préféré au Burundi ?
J’aimais bien aller danser au Kiss Club (maintenant je crois que cela s’appelle Pacha) et passer un après-midi à Bora-Bora Beach.
Le pays où vous aimeriez vivre ?
C’est très difficile comme question. En ce moment, je me sens un peu comme un citoyen du monde. Disons que je suis prêt à vivre partout où je me sens bien accueilli. Quand je vivais au Burundi, je croyais que c’était le meilleur pays au monde, jusqu’à ce que je sente que ma vie était menacée. Pour revenir à la question, je pense que cela dépend du contexte dans lequel tu te trouves, dans un pays donné.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
Je voudrais visiter la Namibie. J’aime bien leur mélange réussi entre la tradition et la modernité. J’espère pouvoir le faire très prochainement.
Votre rêve de bonheur ?
L’indépendance financière. Des revenus passifs, assurés par des gestionnaires de portfolio, quelquefois, ce n’est pas rassurant.
Votre plat préféré ?
Des crêpes à la sauce béchamel, jambon, champignons et fromage.
Votre chanson préférée ?
Il y a deux chansons que j’écoute beaucoup en ce moment : « Kuliko Jana » de Sauti soul, et « Untahirize Abiwacu » d’Evode Ntahonankwa.
Quelle radio écoutez-vous ?
Aucune. J’écoute plutôt des podcasts ou des chaînes YouTube auxquels je suis abonné. Ils parlent de sujets précis, tels que les stratégies de trading ou les techniques d’approche lors d’une thérapie.
Avez-vous une devise ?
« N’attends pas que les conditions parfaites soient réunies pour passer à l’action. Fais tout ce que tu peux avec le peu que tu as ».
Votre souvenir du 1er juin 1993 (le jour où le président Ndadaye a été élu) ?
J’avais exactement 10 ans 5 mois et 25 jours (rires). Je me rappelle trois choses en particulier.
D’abord, l’innocence qu’on avait à l’époque. On faisait des saluts militaires à chaque fois que l’hymne national passait à la télé ou à la radio. On applaudissait les militaires à leur passage dans le quartier quand ils faisaient leurs entraînements/marathons. On courait derrière les cortèges des présidents pour les saluer à leur passage, car les présidents étaient comme des stars à l’époque.
Ensuite, je me rappelle qu’un des candidats à la présidentielle, le mutama Sendegeya, était un ami de la famille. Il avait une usine de fabrication de chaussures. Un week-end, il nous l’a fait visiter. Ce jour-là, la visite avait réveillé en moi cette envie d’entrepreneur. Je me suis dit que quand je serai grand, à tout prix, je dois en avoir. Enfin, je me rappelle que le fils de Léonard Nyangoma était mon camarade de classe. Il me disait souvent que lorsque le Frodebu gagnera les élections, son père deviendrait ministre ou ambassadeur.
Et lorsque le président Ndadaye a fait son discours à la nation, nous avons couru devant la télé et fait le fameux salut militaire. Nous l’avons écouté debout avec respect comme des petits soldats, et quand il l’a fini, nous sommes sortis dehors continuer à jouer au foot jusqu’à épuisement, comme si de rien n’était. Honnêtement, nous étions trop insouciants pour comprendre que l’histoire du pays était en train de basculer.
Votre définition de l’indépendance ?
L’indépendance rime avec autonomie. Comment voulez-vous qu’on se dise indépendants, si on ne peut pas pourvoir à nos besoins les plus basiques ? C’est une honte qu’après plus de 55 ans, on importe presque tout ce dont on a besoin pour notre survie (les médicaments, les armes, les habits, les peignes, les rasoirs, les briquets, etc.).
Pourtant, dans les années 80, le Burundi avait développé un programme d’autonomie. À l’époque, le pays produisait son propre lait (Nadel), ses propres biscuits (TipTop), ses propres bonbons (Confibu), ses propres verres, ses matelas, sa propre énergie, ses propres couvertures avec la Lovinco, assemblait des vélos et plein d’autres choses. Là, on peut dire que le Burundi était sur la voie de l’autonomie.
Maintenant, après presque deux décennies, regardez où nous en sommes. On ne fait que régresser.
Votre définition de la démocratie ?
C’est envisager un destin commun à travers une meilleure gestion et redistribution de la chose publique, sans privilégier qui que ce soit, et cela sous aucun prétexte.
Votre définition de la justice ?
La justice est synonyme de la réparation des torts pour éviter l’anarchie, sinon chacun se ferait justice. Quand on est parent, on punit les comportements qu’on ne veut pas que l’enfant reproduise et on récompense les actions qu’on veut qu’il reproduise. La justice est donc la branche « punition » de la société. On établit des lois que tout le monde doit suivre et on punit ceux qui les transgressent.
Conseiller conjugal/thérapeute de couples, comment l’êtes-vous devenu ?
À l’université, j’ai suivi l’option traitement psycho-social dans le département de service social et mon travail de mémoire portait sur l’apport du sentiment amoureux au sein d’un couple. Le déclic, c’est quand Gilbert Niyonkuru (journaliste à la RPA) m’a contacté pour divers éclairages dans son émission « Nomukurahe? »
Quand l’émission a connu un succès considérable, nous avons créé le « Burundi Counseling Center ». C’est cette structure qui nous a permis de mettre en place un cabinet d’écoute pour les couples en difficulté, ainsi que l’organisation de différentes sortes d’activités à l’intention du public.
Quand faut-il consulter un conseiller conjugal ?
Je dirais qu’il y a deux formes d’intervention. La première, qui est la plus facile et la plus durable, c’est la prévention. Vous pouvez participer à un évènement où on enseigne les différentes techniques pour rendre son/sa compagne heureux/se afin de vivre mieux sa vie de couple.
La seconde, la plus compliquée, où il s’agit de résoudre et/ou réparer une relation en voie de destruction. C’est le moment le plus dur, à la fois pour le patient et pour le thérapeute.
Quelles sont les causes des consultations ? Existe-t-il une solution pour chaque cas?
Les causes sont très nombreuses, mais la cause la plus fréquente et la plus urgente est l’infidélité du partenaire, que celui-ci soit légitime ou pas. C’est-à-dire qu’en consultation, tu peux voir la maîtresse d’un homme marié qui lui reproche d’avoir trouvé une nouvelle maîtresse. Évidemment, il n’y a pas de remède miracle, il faut écouter le/la patient(e). Souvent, un minimum de 4 sessions est requis pour trouver une issue appropriée à son problème.
Un mari/femme idéal(e) comment doit-il/elle être ?
Je dirais plutôt comment ne doit-il pas être. Pour ce, je vous invite à lire le concept des 4 cavaliers de l’apocalypse du couple. C’est une théorie développée par John Gottman, un des plus grands chercheurs et thérapeutes spécialisés dans la vie du couple. Ces 4 cavaliers sont :
-les critiques.
-Le mépris (l’ironie, le sarcasme, les yeux qui regardent en l’air quand l’autre parle, etc.). Le mépris fait que l’autre se sent inférieur. Personnellement, je pense qu’il est le pire des quatre.
-La contre-attaque. Elle vient souvent en réponse aux critiques, comme une envie de se faire justice.
-L’évitement. « Kwikahusha » comme on dit chez nous. Quand un des deux se met en retrait à travers la fuite et se justifiant qu’il est trop occupé pour éviter la confrontation.
Si tu arrives à éviter ces 4 cavaliers de l’Apocalypse du couple, les chances de bâtir un couple solide sont de mise.
Comment construire une bonne relation de couple ?
Deux mots clés sont à pratiquer : communication et tolérance. Il faut aussi et surtout apprendre à gérer les distances. C’est comprendre que chaque personne dans le couple n’a pas le même besoin de présence physique que l’autre. La vie d’un couple est comme la respiration : tu dois inspirer et expirer. Quand tu respires, tu ne peux inspirer uniquement ou te limiter seulement à expirer. Tu dois combiner les deux successivement. C’est pareil pour une vie de couple saine, il faut que les deux partenaires apprennent à respirer. Dans ce cas, inspirer fait référence au temps que vous passez ensemble, et expirer fait référence au temps que chacun passe loin de l’autre. Soit seul ou avec ses amis. Il doit y avoir un équilibre entre les deux pour éviter que l’un ne se sente pas étouffé et l’autre délaissé.
De plus en plus de divorces chez les jeunes citadins, selon vous, qu’elle en est la cause ?
Par les temps qui courent, beaucoup de jeunes se marient dans la précipitation sans avoir pris en compte l’aspect logistique de la vie en ménage. L’argent, ou plus précisément le manque d’argent, c’est la principale raison de ce taux élevé de divorces. La vie du ménage exige bien plus que le sentiment amoureux. Les gens doivent se nourrir, se loger, se déplacer et se vêtir décemment. Toutefois, la crise économique qui frappe notre pays ne facilite pas les choses. C’est difficile de rester amoureux quand on a le ventre vide, on est soumis à trop de tentations. Comme le résume si bien le proverbe : « Urarana inzara ukavyukana inzigo (« Ventre affamé n’a point d’oreilles.).
Écrivain, quels sont les thèmes principaux de vos romans ? L’inspiration où la puisez-vous ?
Je me considère plus comme un auteur que comme un écrivain. J’ai écrit un livre sur les relations de couples autant qu’un biologiste peut écrire un livre sur la vie des oiseaux. Quant à mon inspiration, en grande partie, ce sont des questions que mes clients me posaient au cours de différentes thérapies, des questions du genre : peut-on aimer deux personnes à la fois ? Pourquoi suis-je toujours attiré par des personnes qui ne m’aiment pas ?
Quel souvenir gardez-vous de l’émission Nomukurahe ?
J’ose bien penser que cette émission à poussé les gens à prendre leur vie de couple au sérieux. Au-delà des conseils pour une vie de couple, c’était aussi une manière de connecter les Barundi autour d’un sujet aussi central que la vie du couple. Cela a permis que les langues se délient.
Que faut-il faire pour promouvoir l’entrepreneuriat au Burundi?
Comme tout entrepreneur, je dirais que la mesure de base devrait être la réduction des taxes à l’import et à l’export, au moins pour une courte période, disons 3 ans par exemple. Cela pourrait donner un coup de boost à l’économie.
Ensuite, il faudrait trouver un système « sérieux » d’accompagnement des entrepreneurs dans l’octroi de crédits à des taux d’intérêt réduits, disons 3 à 5 % par exemple, quitte à travailler avec des banques de pays étrangers, à l’instar de Singapour ou du Japon. Cette pratique se fait dans les pays voisins. Les entrepreneurs sont choyés par les banques, et ce sans pour autant exiger les fameux titres de propriété, etc. Il faut repenser le système d’accès au capital, si on ne veut pas rester un des pays les plus pauvres de la planète.
Des envies de retour au bercail ? A quelles conditions ?
Oui bien sûr, comme chaque exilé, je voudrais être capable de rentrer quand je veux, que ce soit pour assister au mariage d’un ami, pour y faire des affaires, ou tout simplement pour y vivre. Mais pour l’instant, les conditions minimales de sécurité ne sont pas garanties.
Néanmoins, j’ai de forts espoirs que la situation s’améliorera avec le président nouvellement élu.
Si vous étiez ministre de la Jeunesse et de la Culture, quelles seraient vos deux premières mesures ?
-La première serait de construire trois salles de spectacles et un studio de production audiovisuelle digne de ce nom.
-La deuxième serait de mettre en place un mécanisme de détection des talents, afin de leur donner des chances de s’épanouir pleinement. Ce serait cool de voir de jeunes Burundais à la NBA, ou au Real Madrid, ou exposer leurs tableaux dans des galeries à New York. Bref, détecter très tôt leur talent et leur offrir une visibilité internationale. Le Burundi gagnerait doublement.
Croyez-vous-en la bonté humaine ?
Absolument. Je crois que l’être humain est capable d’actes de bonté, aussi bien que de cruauté. Tout dépend de son vécu depuis le bas âge. La tête d’un enfant est comme un champ vide, prêt pour le labour. Tu y plantes « les graines de la violence », à la longue, tu récoltes un sociopathe.
Pensez-vous à la mort ?
Oui, j’y pense souvent. Je pense à l’éventualité de la mort de mes proches autant que de la mienne. Je pense au vide que laisse quelqu’un lorsqu’il tire sa révérence, je pense à l’Au-delà, au Jugement dernier, etc. Penser à la mort me pousse à donner le meilleur tant que je suis toujours en vie.
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
Je lui dirai : « Merci d’être resté à mes côtés durant toute ma vie sur la terre, sans toi, je ne m’en serai pas sorti. »
Propos recueillis par Hervé Mugisha