Mardi 05 novembre 2024

Culture

Au coin du feu avec Raphaël Bitariho

10/04/2021 3
Au coin du feu avec Raphaël Bitariho

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Raphaël Bitariho.

Votre qualité principale ?

Rester moi-même. Pour tout dire, je suis un ennemi de l’ostentation. Une personne qui feint d’être celle qu’elle n’est pas, ce n’est pas mon genre.

Votre défaut principal ?

Je manque d’opiniâtreté. Ce caractère des « Bagamba » qui campent sur leurs décisions, faisant ainsi prévaloir leurs intérêts. Souvent, cette « indifférence » fait que je ne sois pas combatif quand vient le moment de défendre mes intérêts.

La qualité que vous préférez chez les autres ?

L’honnêteté, être soi-même.

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres?

L’égoïsme, l’ostentation, l’hypocrisie.

La femme que vous admirez le plus ?

Marthe Simbagoye, ma défunte mère. Une femme d’une bonté et générosité sans pareil. Heureusement, bien qu’elle ne soit plus de ce monde, une autre l’a remplacé .C’est ma femme.

L’homme que vous admirez le plus ?

Cet homme épris de la justice, qui place le bonheur des autres au-dessus de tout. Malheureusement, c’est une race en voie de disparition.

Votre plus beau souvenir ?

La proclamation de la Charte de l’Unité nationale, le 5 février 1991. J’y avais tellement cru, que même mes enfants portent des noms y relatifs. Mais, il faut toujours garder confiance.

En tant qu’ancien membre de la commission qui a élaboré cette charte l’Unité nationale, estimez-vous avoir été à la hauteur de votre mission ?

Le mérite est là : celui d’avoir permis qu’il n’y ait pas cette cassure nette entre les différentes composantes ethniques. La preuve, est qu’après son adoption les langues ont commencé à se délier. Evoquer les questions ethniques n’était plus une hérésie. D’ailleurs, si des gens, au plus fort de la crise ont dépassé les différences, c’est parce qu’il est resté quelque chose de cette charte.

Votre plus triste souvenir ?

Cette déflagration des événements de 1972. A l’époque, j’étais en 10e année. Et de par ce que l’on voyait, ce que l’on attendait. Partout c’était la désolation. Certes, sur mon établissement (Ecole Normale des Garcons) grâce à la vigilance des frères de la Charité, il n’y a pas eu beaucoup dégâts. Mais, dehors, c’était l’horreur.

Actuellement, ma peine, c’est qu’il persiste un esprit revanchard malgré les efforts des uns et des autres pour enterrer la hache de guerre.

Quel serait votre plus grand malheur ?

Mourir sans avoir vu un Burundi réconcilié avec lui-même.

Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?

La Constitution du 13 mars 1992, qui a marqué l’avènement du multipartisme. Un fait qui a permis l’ouverture de l’espace politique, consacré la liberté d’opinion.

Du haut de vos 65 printemps, quel est votre regret ?

Ne pas s’être fixe dès la prime de ma jeunesse cet objectif qu’un jour je travaillerai pour mon compte. Je serai le patron de ma propre boîte. Avec les aspérités de la vie, je pense que tous les jeunes doivent avoir cette clairvoyance de l’esprit. Aux lauréats des universités, ils doivent comprendre que le gouvernement ne va pas tous les embaucher.

Le métier que vous auriez aimé exercer ?

Economiste tourné vers le commerce international.

Votre passe-temps préféré ?

La lecture et la natation.

Votre lieu préféré au Burundi ?

Ça serait mentir, si je disais que j’ai une préférence particulière. Chaque découverte est une expérience unique.

Le pays où vous aimeriez vivre ?

Le Burundi. De par son climat, l’hospitalité de la population. Un paradis sur terre.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

Bien que j’aie déjà visité certains pays, un voyage dans les pays scandinaves (Norvège, Suède, Finlande) me ferait du bien. La façon dont le gâteau national est partagé est unique .Le respect de l’homme dans sa dignité…

Votre rêve de bonheur ?

Un Burundi prospère, réconcilié avec son passé. A l’instar des dragons d’Asie, le voir devenir « un dragon d’Afrique ».

Votre plat préféré ?

A mon âge, les fruits et les légumes doivent avoir une place de choix. Sinon, si j’ai envie de me faire plaisir, je commande le poisson.

Votre chanson préférée ?

« Je lui dirais » de Céline Dion. Ses paroles sont édifiantes.

Quelle radio écoutez-vous ?

RFI, la BBC et VOA ( ces deux dernières sur internet.)

Un natif de Mwaro qui devient gouverneur de Bubanza. Comment étiez-vous perçu ?

Cette vision dichotomique des choses n’a pas d’importance. En principe, tout citoyen doit se sentir libre et servir partout où le devoir l’appelle. Toutefois, si je me plonge dans le contexte de l’époque, où prévalait le régionalisme dans la gestion de l’Etat, j’ai eu la chance de ne pas rencontrer des réticences particulières.

Votre souvenir du 1er juin 1993(le jour où le président Ndadaye a été élu) ?

En tant qu’Uproniste, la défaite m’a laissé de marbre. Cependant, compte tenu de la contingence historique de ce moment, des intérêts, des enjeux, du comportement des uns et des autres, j’avais ce pressentiment comme quoi l’avenir n’était plus tout tracé. Je me souviens que le lendemain, j’ai fait un tour dans la province. Le constat était-il que sur tous les visages se lisaient une peur indescriptible.

La quasi-totalité des responsables politiques de l’époque convergent à dire qu’un gouvernement de transition aurait permis d’éviter les massacres de 1993.

Effectivement, il fallait une approche plus réaliste. Une transition aurait permis aux cadres du Frodebu de s’imprégner des méandres de l’administration, ainsi, accepter des projets communs pour l’avenir du pays. Le peuple doit savoir une chose : les élections, ce ne sont pas la panacée d’une démocratie. Ce n’est qu’un instrument.

Au regard de votre expérience dans la diplomatie, quelles sont les qualités d’un bon ambassadeur?

Il doit être un homme de contacts, un homme tourné vers l’écoute d’autrui. Pour le pays en développement, un diplomate doit être quelqu’un qui s’intéresse aux projets de développement. Certes, il ne doit pas perdre de vue les relations bilatérales entre son pays et celui dans lequel il est affecté. Mais, les projets de coopération doivent primer.

Gitega et Kigali ne cessent de se faire des concessions. Les voyez-vous normaliser leurs relations ?

Ce n’est pas comme des individus qui peuvent se vouer une haine viscérale éternellement. Entre les Etats, il n’y a que des intérêts qui comptent. Du point de vue de la géopolitique (leur sécurité, le commerce, etc).Si je reviens à votre question, et le Rwanda et le Burundi, ils ont intérêt à normaliser leurs relations.

Votre définition de l’indépendance ?

C’est lorsque vous êtes maître de votre patrimoine (économique, culturel, politique, etc). Si un pays a du pétrole sur son sol, qu’il soit en mesure de l’exploiter sans contrainte aucune. Selon sa guise.

Votre définition de la démocratie ?

C’est quand le peuple délègue ses pouvoirs à des représentants qu’il s’est lui-même choisi.

Votre définition de la justice ?

Lorsque les tribunaux (toutes les juridictions compétentes) appliquent la loi comme il se doit, et qu’autrui y a accès toutes les fois où ses droits sont bafoués. L’autre justice est sociale. C’est quand la distribution des revenus est le moins inégale possible.

Si vous étiez nommé ministre de l’Education nationale, quelles seraient vos premières mesures ?

-Créer un environnement favorable pour les études, c’est-à-dire mettre à disposition des apprenants des salles de classe adéquates, du matériel didactique bien adapté, etc).

-Faire feu de tout bois pour que les programmes scolaires /académiques soient adaptés. De la sorte, permettre que même à l’international, nos élèves, nos étudiants continuent à s’exporter.
-Aussi, faut-il que les TIC soient développés dans les écoles.

-Un rappel à l’ordre de certains enseignants peu enclins au respect de la déontologie professionnelle importe. Cela réduirait les égarements.

Si vous étiez ministre des Affaires Etrangères, quelles seraient vos priorités ?

S’il y a des pays ou des organisations non gouvernementales avec lesquels les relations ne sont pas au beau fixe, je suggérerais à mon gouvernement une approche beaucoup plus conciliante. Sinon, toutes les orientations que prend ce ministère découlent des autres ministères. Si au niveau des ministères l’Economie, de la Défense, etc. Tout marche pour le meilleur des mondes, il en est de même pour la diplomatie.

Croyez-vous à la bonté humaine ?

Oui bien sûr. Malheureusement, ces jours-ci, j’ai l’impression que les mauvais sont plus puissants que les bons. Autrement, la terre serait un petit paradis.

Pensez-vous à la mort ?

Très rarement. Puisque c’est un passage obligé, j’évite de perdre mon temps.

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?

Honnêtement, je ne sais pas.

Propos recueillis par Hervé Mugisha

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Niyungeko

    Un homme foncièrement sincère et honnête. J’ai eu la joie de le connaître et à collaborer avec Bitariho à la primature du PM Ndimira Firmin. Que de bons souvenirs.

  2. Salvator Kaburundi

    Un autre rare homme intègre qui mérite d’être imité par la génération actuelle et future.

  3. Alexis

    Un vrai Mushingantahe de ma colline d’origine et qui a donné sa contribution pour le développement de Bisoro et de Mwaro , bien respecté par tous ceux qui le connaissent .

    Ambassadeur Bitariho , Very happy retirement

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Bio-express

Né en 1956 sur la colline Gitaramuka de la commune Bisoro, en province Mwaro, Raphaël Bitariho a occupé plusieurs fonctions. Ancien enseignant, il voit sa carrière décoller lorsqu’il est propulsé secrétaire national de l’Uprona. C’est en 1987.A ce moment, il est chargé des questions socio-culturelles du parti. En homme de confiance, en 1989, il est nommé gouverneur de Bubanza. A cette époque, feu président Buyoya jette les premiers jalons de l’Unité nationale. Lors des élections de 1993, l’Uprona est défait. M. Bitariho décide de retourner à ses premières amours : l’enseignement. Il enseigne au lycée du Lac Tanganyika. Un ricochet de courte durée. Parce qu’en 1994, il est appelé par le 1er Pascal Ndimira pour être son conseiller principal. La suite de sa carrière est une route toute tracée. Tour à tour, il sera cadre d’appui au sein du nouveau ministère en charge du processus de Paix, sénateur, ambassadeur du Burundi à Tripoli avant de revenir à la 1ère vice-présidence (2009) en tant que conseiller en charge des questions politiques et diplomatiques. Retraité depuis le 31 décembre 2020, il était conseiller au ministère de l’Education nationale. Marié, l’ambassadeur Bitariho est père de deux enfants et grand-père de deux petits enfants.

Forum des lecteurs d'Iwacu

3 réactions
  1. Niyungeko

    Un homme foncièrement sincère et honnête. J’ai eu la joie de le connaître et à collaborer avec Bitariho à la primature du PM Ndimira Firmin. Que de bons souvenirs.

  2. Salvator Kaburundi

    Un autre rare homme intègre qui mérite d’être imité par la génération actuelle et future.

  3. Alexis

    Un vrai Mushingantahe de ma colline d’origine et qui a donné sa contribution pour le développement de Bisoro et de Mwaro , bien respecté par tous ceux qui le connaissent .

    Ambassadeur Bitariho , Very happy retirement

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