Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Pie Ntiyankundiye.
Votre qualité principale ?
Je suis de nature optimiste.
Votre défaut principal ?
Certainement que j’en ai beaucoup. Je laisse le soin aux autres d’en énumérer.
La qualité que vous préférez chez les autres ?
Une écoute attentive. Pour vous dire combien grande est mon admiration pour ces personnes qui écoutent avant de placer un mot.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
J’abhorre l’intolérance sous toutes ses formes.
La femme que vous admirez le plus ?
Cette femme qui se bat jour et nuit pour que les siens aient de quoi mettre sous la dent. Cette femme, quand il le faut, n’hésite pas à pointer du doigt ce qui ne va pas en vue de faire avancer la société.
L’homme que vous admirez le plus ?
Celui qui traite sa progéniture sur le même pied d’égalité, sans distinction aucune lors de l’héritage.
Vous êtes un fervent partisan de la cause féminine, je vois…
Je ne sais pas. Mais, je suis de ceux qui plaident pour que les femmes puissent hériter de la même manière que les hommes.
Votre plus beau souvenir ?
-Ma réussite au concours national. C’était en 1966. Une joie immense parce que cette petite « victoire » m’a permis d’être orienté au collège du Saint-Esprit. Ayant fréquenté les écoles primaires officielles(EPO), j’avais étudié à l’actuelle école primaire de Kabondo, et compte tenu de la concurrence, il était impensable qu’un fils de paysan puisse y être orienté. A l’époque, cette école était réputée pour sa formation.
-L’autre souvenir, c’est mars 1987. Pendant 15 mois, j’ai séjourné au pays de Martin Luther King. Un voyage mémorable. Il m’a permis de m’ouvrir sur le monde extérieur, comprendre les interactions humaines, etc. Aussi, je garde un très bon souvenir d’un voyage en Chine.
Votre plus triste souvenir ?
Le décès de mon père. Un triste souvenir parce qu’il est mort avant que le 1er trimestre ne soit terminé. J’étais en 7ème année.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Perdre un de mes enfants de mon vivant.
Votre plus grand regret ?
Avoir quitté les fonctions de maire de ville Bujumbura avant que les quartiers balkanisés ne se soient entièrement réconciliés entre eux.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
Cette hargne, ce courage des hommes et des femmes qui ont permis à ce que le Burundi recouvre son indépendance.
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
Le 1er juillet 1962, l’accession du Burundi à son indépendance. J’en garde de vagues souvenirs, mais, je me rappelle que c’était de l’euphorie dans tout le pays.
La plus terrible ?
L’assassinat du héros de l’indépendance, le Prince Louis Rwagasore, le 13 octobre 1961. A mon avis, c’est cette date qui marque le début des crises cycliques.
Le métier que vous auriez aimé exercer ?
Magistrat. Hélas, bien que je fusse orienté dans la faculté de droit à la fin de mes études secondaires, ce rêve ne se concrétisera jamais.
Que s’est-il passé. Racontez-nous ?
Un bon matin de septembre 1976, à notre réveil, nous sommes surpris par une liste se trouvant sur le tableau d’affichage. Je me rappelle que nous préparions la session du cours de l’introduction au droit. Sans aucune explication, plus d’une centaine d’étudiants tirés au sort viennent d’être réorientés à l’ENS (Ecole Normale Supérieure). Sur le coup, une incompréhension. Parce que pour plus de 90% des étudiants se trouvant sur cette liste, avaient été auparavant orientés dans des facultés. Il faut savoir qu’à l’époque l’ENS avait pour vocation de former de futurs enseignants.
Une désillusion totale…
En effet ! Solidaires comme l’ont toujours été les
« poillisimes (étudiants de l’Université du Burundi, Ndlr)», ils n’ont pas lâché du lest. Le lendemain, un mouvement de grève a débuté. Parti pour durer, le recteur d’alors, s’empresse de calmer la situation. Au cours d’une réunion, il nous explique les raisons de ce choix.
Quels étaient ces motifs?
Evidemment politiques. Quelques années après la crise 1972(Ikiza), il se fait que sur certaines écoles à l’intérieur du pays, suite aux places laissées vacantes par les enseignants décimés par l’Ikiza, il fallait les remplacer. L’autre raison, c’est que le gouvernement avait amorcé une politique de remplacement des enseignants coopérants étrangers. En bons patriotes, finalement, nous avons pris acte de la décision. Néanmoins, nous avons exigé des préalables.
Entre autres ?
Le ministre de l’Enseignement national de l’époque devait adapter notre cursus à celui des licences. Pour dire que la fin de nos études devrait être sanctionnée par un diplôme de licence et non un diplôme A1. Au lieu de trois ans, notre cursus devrait durer 4 ans. Autre mesure, il y a eu renforcement du niveau des professeurs. Une mise à niveau effective.
Votre passe-temps préféré ?
La marche. Si je n’ai pas assez de temps, je fais la natation. Sinon, lorsque je suis à la maison, je lis tout ce qui me tombe sous le nez.
Votre lieu préféré au Burundi ?
Les eaux thermales de Mugara (Rumonge). Une vraie « fontaine de Jouvence ».
Le pays où vous aimeriez vivre ?
L’Afrique du Sud. Non pas à cause de sa dimension touristique, mais historique. Parce que fouler la terre qui a vu naître un combattant de la liberté, tel que Nelson Mandela, serait inédit.
Votre plat préféré ?
Comme tout « Umubo » (les gens en provenance de la région Imbo, NDLR)» qui se respecte : Ubuswage et les Ndagala.
Votre chanson préférée ?
Ewee Dawe Ur’umugabo (Ô mon père que tu es un homme vaillant, ndlr) d’Augustin Ndirabika. Une chanson très riche en enseignement. Chaque fois que je l’écoute, sur le coup, les souvenirs de mon père refont sur surface. Simple paysan, il s’était formé sur le tas jusqu’à devenir un des médecins vétérinaires les plus réputés de la région.
Quelle radio écoutez-vous ?
La RTNB et la radio Isanganiro. Ce qui me plaît le plus chez ces stations-radios, c’est la saveur de leurs émissions en swahili. Une langue, à mon avis que tout jeune burundais devrait apprendre pour une meilleure insertion professionnelle dans la communauté des pays de l’Afrique de l’Est.
Avez-vous une devise ?
-Charité toujours (je suis du mouvement Xavéri)
-Changer soi-même pour que le monde change aussi (étant membre de l’association pour la consolidation de la Paix Tugenderubuntu (ATCP), je suis convaincu que la paix dans le monde passe par le changement des hommes, leur introspection.
Vous êtes un des anciens maires de la ville de Bujumbura à être resté à ce poste (presque 8 ans). Quel est le secret qui vous a permis de durer si longtemps ?
Tout d’abord, je tiens à éclairer l’opinion sur une chose. Beaucoup de gens pensent que c’est feu président Buyoya qui m’a nommé maire de Bujumbura. Plutôt le contraire. J’ai été nommé par le décret du président Ntibantunganya d’octobre 1994. Pour revenir à votre question, vous devez savoir qu’être maire de la ville à cette époque n’était pas un travail de tout repos. Je me rappelle qu’à un certain moment, j’ai demandé à ce que je sois relevé de mes fonctions. Toutefois, mon expérience dans l’administration m’a été d’une grande utilité. Je dois aussi dire que la connaissance de cette ville qui a guidé mes premiers pas en tant que jeune élève, ensuite étudiant et enfin fonctionnaire. Cela m’a permis qu’au plus fort de la crise des années 1995, je garde cette proximité avec ses citadins. Que ça soit à Buyenzi, à Kamenge, à Musaga, etc., je savais le discours à tenir compte tenu des circonstances.
Vous héritez ce poste au moment où certains quartiers sont balkanisés. Qu’avez-vous fait pour garder le peu de cohésion sociale qui restait ?
La présence sur le terrain. Certes, il n’était pas toujours facile de se rendre dans certains quartiers. Mais, chaque fois, je me devais d’y être. En tant qu’interlocuteur direct de la population au sein du gouvernement, je me devais de les rassurer. Aussi, j’ajouterai la communication permanente avec les administratifs de la population. Ceci a permis que l’on soit informé de tout ce qui se passe en temps réel. Plus que tout ça a permis de développer une certaine proximité avec la population, un discours conciliateur. De la sorte, éviter que le moral de la population ne baisse pas. Une approche qui a fonctionné. Cela a contribué à la prévention des fuites en masse de la population vers les pays voisins.
En 1996, malgré l’embargo, les embuscades ici et là des groupes armés. Bujumbura célèbre en grande pompe son 1er centenaire. De telles festivités vraiment étaient-elles opportunes ?
Bien sûr ! Il fallait montrer au monde entier que le pays reste debout malgré tout. Je me souviens que le thème choisi était : « Construisons ensemble une ville d’avenir pour tous ». Un thème qui cadrait bien avec la dure période que Bujumbura, plus que n’importe quelle autre province du pays traversait : des assauts à la grenade, des mines qui explosent ici et là, cette balkanisation des quartiers, etc.
Heureusement, un pari réussi. Preuve que de l’importance que l’on avait accordée à ces festivités, nous avions invité d’illustres chanteurs, tel la Sud- Africaine Yvonne Tchaka Tchaka. Une date à marquer d’une pierre blanche. Avec tout ce que le pays traversait, en voyant chanter, danser mains dans les mains gens de Kamenge, Musaga, cela donnait des frissons, de la chair de poule. A partir de là, je pense que les citadins ont compris que « le vivre ensemble » est possible.
Votre slogan devenu légendaire « Uwezo wa Ndani ». Quelle est son origine ?
Durant l’embargo, sur invitation des autorités burundaises, l’équipe tanzanienne de football (Taifa Stars) est venue croiser le fer avec la sélection nationale (Intamba mu Rugamba) à Bujumbura. Une visite, je crois d’ailleurs, qui s’inscrivait dans le cadre des réchauffements des relations avec le voisin tanzanien. Pour tout dire, les signes précurseurs de la levée des sanctions étaient déjà tangibles. Après ce match, une personnalité de la délégation tanzanienne a demandé qu’on lui fasse visiter Bujumbura.
Bien sûr, il fallait choisir des endroits stratégiques. Parmi les endroits qu’il a visités, il y avait l’ancien marché central de Bujumbura qui venait d’être inauguré, l’actuel Boulevard Mwezi Gisabo (ex-boulevard du 28 novembre), tout fraîchement rénové.
Une vraie visite guidée…
Et comment ! Vous voyez le tronçon partant du monument du soldat inconnu débouchant sur l’hôpital Roi Khaled tout repeint. C’était beau à voir. Je me rappelle qu’en cours de route, il m’a dit en swahili : « Mayor, ata kama muko kwenye vikwazo munaonyesha kama muko na uwezo wa ndani (« Monsieur le maire, même si les temps sont quelque peu difficiles pour vous (allusion faite à l’embargo, Ndlr), je vois que vous êtes capable d’accomplir beaucoup de choses. » De là, les cadres et les employés de la mairie en ont fait un slogan. Je me rappelle qu’ils ont commandé une chanson qui s’intitule « Bujumbura Uwezo wa Ndani ». Dans la foulée, une équipe de volleyball portant ce même nom a été créée.
En 1992, vous êtes nommé gouverneur de la province Ruyigi. Comment a été votre acclimatation d’autant que vous étiez en pleins préparatifs des élections de 1993 ?
Un sacré challenge. Frontalière avec la Tanzanie, il fallait avant tout assurer la sécurité, contrôler les incursions d’éventuels pouvant perturber la tenue en toute quiétude de ce rendez-vous électoral.
Sinon administrativement, juste après mon entrée en fonction, j’ai mis tout le monde devant un fait accompli. Au cours d’une réunion avec tous les natifs de la province, sans détour, je leur ai signifié qu’il me sera impossible de gouverner seul. Partant, que l’implication de tout le monde était plus que nécessaire. Une stratégie payante. Malgré quelques couacs, les élections se sont bien déroulées.
Votre souvenir du 1er juin 1993(le jour où le président Ndadaye a été élu) ?
Pour être honnête, je m’étais préparé à toute éventualité : la défaite comme la victoire. Mais plus que tout, j’estimais que si jamais l’on perd, que l’on perde dans un environnement serein plutôt que dans l’insécurité. Aussi, dois-je dire que bien que mon parti ait perdu, quelque part, j’ai vécu cette journée un peu comme une victoire. Voir aboutir le processus qui avait pu commencer deux ans auparavant, malgré les réticences d’une certaine partie de la classe politique, était en soi une réussite.
Uproniste un jour, uproniste toujours. L’êtes-vous encore ?
Non seulement, je le suis. Plus, je le resterai.
Votre parti politique qui ne cesse de s’émietter. Un conseil à ses responsables…
La honte serait de ne pas avoir la force de se relever. A l’heure actuelle, je pense que le plus important c’est que les responsables du parti ont compris que la réunification n’est plus une option, plutôt une obligation.
Pour avoir été maire de la ville, vous êtes témoin de l’extension de la ville de Bujumbura. Quelle est votre observation par rapport aux constructions anarchiques ?
-La mairie comme entité territoriale mérite que l’on revisite ses limites. Si le périmètre urbain est connu, je pense bien que cela permettrait qu’il n’y ait plus d’équivoques. Cerise sur le gâteau, les textes portant délimitation de ce périmètre urbain, hormis l’ordonnance ministérielle de 1997 qui rattachaient les zones de Ruziba, la commune de Kabezi à la ville de Bujumbura, ils n’ont pas encore été retouchés. Ceci pour vous dire combien sa réorganisation ne devrait pas causer problème.
-Mon autre souci, c’est le respect des normes urbanistiques. A mon humble avis, urgence. Si Bujumbura est devenue une capitale économique, autant qu’elle remplisse tous les critères d’une ville économique moderne, tournée vers l’avenir.
La décentralisation effective de la ville qui peine à prendre forme. Votre réaction ?
A une époque, Bujumbura comportait 13 zones urbaines. Je reconnais qu’il y avait des communes de trop, parce que les disparités au niveau des recettes étaient sans appel. En témoigne, la zone Rohero générant plus de 70% du budget de la mairie. Par après, nous avons jugé bon qu’il convienne que la ville comporte 3 communes urbaines en fonction de la délimitation (Nord-Sud-centre). Ma question est celle-ci : si il ya une décentralisation physique, pourquoi la décentralisation financière tarde-t-elle ? A ce niveau, je pense qu’il doit y avoir une harmonie dans l’investissement. Si Rohero concentre la majeure partie de l’activité économique de la ville. Est-il le cas pour Muha ? Il faut une harmonie de textes.
Votre définition de l’indépendance ?
Lorsque le destin du pays est pris en main par son peuple, sans contrainte ni exigences aucunes.
Votre définition de la démocratie ?
C’est lorsque les dirigeants reconnaissent que c’est par la force des urnes qu’ils ont été élus. Plus que tout qu’ils doivent obéissance et redevabilité envers le peuple qui les a élus.
Votre définition de la justice ?
L’égalité de tout un chacun, quel que petit soit-il devant la loi.
Croyez-vous à la bonté humaine ?
Absolument. Comme le dit Jacques Rousseau : « Tout homme naît bon, c’est la société qui le corrompt ».
Pensez-vous à la mort ?
Pour paraphraser un philosophe dont le mon m’échappe : le sens de la vie, c’est la mort. Je pense que tout être humain devrait laisser de son vivant, sur terre une trace mémorable.
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
Ne regardez mes péchés, mais la foi de ton fidèle serviteur.
Propos recueillis par Hervé Mugisha