Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Patrick Robert Misigaro.
Votre qualité principale?
Je suis très prudent. Je réfléchis plus d’une fois quand je veux prendre une décision importante. Cela m’aide à faire moins d’erreurs dans ma vie.
Votre défaut principal?
Je fais facilement confiance.
La qualité que vous préférez chez les autres?
La franchise. J’aime les gens qui disent les choses telles qu’elles sont.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres?
L’hypocrisie.
La femme que vous admirez le plus?
Ma mère. Une vraie battante! Seule, elle a pu élever ses huit enfants, subvenir à nos besoins. Ce qui nous étonnait, c’était son abnégation. Même dos au mur, elle ne se décourageait pas. Connaissant le salaire des fonctionnaires (elle travaillait à la Police de l’Air et des Frontières (PAFE), ndlr), c’était une situation loin d’être facile. C’est une fierté pour notre famille.
L’homme que vous admirez le plus?
Le physicien Stephen Hawking. Malgré son handicap, il s’est tant démené pour la promotion de l’excellence. Ses travaux en physique ont révolutionné le monde.
Votre plus beau souvenir?
Lorsque je suis devenu papa pour la première fois, c’était en 2010. Honnêtement, je ne peux pas vous décrire la joie que j’ai ressentie.
Votre plus triste souvenir?
La guerre de Kamenge en 1994. J’avais peur, tous les jours. Toute la zone et ses environs, nous entendions le crépitement des armes. Compte tenu du danger, de la mort qui rôdait, nous vivions chaque jour comme le dernier.
Quel serait votre plus grand malheur?
Décevoir ma famille.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise?
L’accession du Burundi à l’Indépendance.
La plus belle date de l’histoire burundaise?
Le 1er juillet 1962 : le jour où le Burundi a recouvré son indépendance.
La plus terrible?
Le 21 octobre : l’assassinat du président Melchior Ndadaye. Les atrocités qui s’en sont suivies m’ont pris tous mes amis du quartier. A commencer par Willy et Musosi. Des voisins dont la disparition m’a pris du temps pour oublier.
Le métier que vous auriez aimé exercer?
Comédien. J’aime rire et faire rire les autres. Outre que je sois fan du Stand-up Comedy, j’ai la ferme conviction que le sourire est un remède à certains maux.
Votre passe-temps préféré?
Jouer de la guitare. Pour être franc, mon aventure avec la musique n’est pas encore terminée. Pour le moment, j’en fais comme un hobby. Le moment venu, je n’exclus pas de me lancer dans la musique. Des ambitions qui ne datent pas d’hier. Jeune, la carrière musicale m’a tenté, mais, compte tenu du contexte, c’était un choix risqué. Orphelin, je n’avais pas droit à l’erreur. Mon autre passe-temps, c’est de regarder un bon film ou un match de football. Manchester United, c’est mon équipe favorite.
Votre lieu préféré au Burundi?
Le Centre Jeune Kamenge. Chaque fois que je parle de ce centre, à mes yeux un « oasis de paix », je suis ému. Vous vous imaginez en pleine crise de 1994-95, et malgré les coups de feu, le danger qui guette, avoir un endroit où jouer au ping-pong, à la guitare, où on peut lire un livre, regarder Robert De Niro et Al Pacino dans le film Heat…Tout simplement, le Centre Jeune Kamenge a sauvé nos vies. Pour votre information, vous saurez que n’eût été le Centre Jeune Kamenge, je n’aurais pas pu payer mes études secondaires, ne serais pas devenu l’homme que je suis aujourd’hui.
Le pays où vous aimeriez vivre?
Burundi.
Le voyage que vous aimeriez faire?
Un jour, j’aimerais voyager dans l’espace …
Votre rêve de bonheur?
Voir ma famille en bonne santé, bien portante.
Votre plat préféré?
Riz avec le pondu (Isombe). J’en raffole !
Votre chanson préférée?
(Question très difficile)… Disons Three Little Birds de Bob Marley. C’est une chanson qui donne de l’espoir.
Quelle radio écoutez-vous?
La BBC World Service et Isanganiro.
Avez-vous une devise?
Ne te fie jamais à ce qui n’a pas marché, hier. Demain, c’est un autre jour.
Votre souvenir du 1er juin 1993 (le jour où le président Ndadaye a été élu)?
Une liesse populaire, des gens dansant, chantant dans les rues… A l’époque, j’avais 13 ans. Certes trop jeune pour tout comprendre, mais je sentais que quelque chose d’unique venait de se produire.
Comment avez-vous vécu vos débuts à la BBC ?
Un rêve devenu réalité. Certes, j’avais parfait mes études de journalisme en Angleterre, mais je n’aurais jamais pensé qu’un jour je travaillerais pour la BBC. Cela reste une utopie même pour les nationaux. Pour tout dire, cela reste l’un des plus beaux jours de ma vie. Ce qui est encore plus mémorable, c’est le New Broadcasting House, le building en verre qui abrite le Quartier Général de la BBC. C’est beau ! Le lieu est devenu touristique en fait.
Pour quelqu’un qui s’est retrouvé seul en Angleterre, m’imaginer là-bas, c’était un rêve. Mais comme disait Nelson Mandela : « Tout paraît impossible jusqu’à ce que ça se réalise ». Disons que j’ai eu beaucoup de chance. Travailler à la BBC, pour un journaliste, c’est comme pour un footballeur de jouer en Premier League(en 1ère division anglaise), hormis l’aspect financier bien sûr (rires).
Aujourd’hui, la BBC n’émet plus sur FM au Burundi, qu’est-ce que cela vous fait ?
C’est très pénible. Heureusement qu’avec l’Internet, les gens parviennent toujours à nous écouter. Ceci dit, je garde espoir que les choses changeront. Parce qu’au fond de moi-même, je reste convaincu que ce qui fait défaut, c’est le manque de dialogue. Mis de côté les velléités politiciennes, je pense que la BBC a encore à apporter à l’audience burundaise.
Comment analysez-vous la liberté de la presse au Burundi?
C’est un principe fondamental d’un Etat de droit. Une presse libre est un baromètre pour chaque pays. Hélas, il est déplorable que dans notre pays, des cas d’abus sur les journalistes existent encore. Les vrais professionnels des médias sont des victimes de certains pseudos journalistes avec des agendas autres qu’informer sans parti pris le peuple.
Votre définition de l’indépendance?
Ne pas vivre sous le diktat d’un autre pays ou d’une personne.
Votre définition de la démocratie?
Un total respect du choix de la majorité tout en restant à l’écoute des soucis des minorités.
Votre définition de la justice?
La justice doit être réparatrice, au service de tous et punir en cas de besoin toute personne qui a commis un délit sans distinction aucune.
Si vous deveniez ministre de la Communication, quelles seraient vos premières mesures?
La première mesure serait de professionnaliser la chaîne publique. Je redonnerais à la RTNB ses lettre de noblesse, ferais d’elle un média de référence dans le pays. Pour ce, je ferais feu de tout bois pour que soient formés des hommes qu’il faut à la place qu’il faut.
Croyez-vous à la bonté humaine?
Oui, j’y crois. Toute personne est capable d’être un exemple à imiter. Ne pas l’être est un choix.
Pensez-vous à la mort?
Oui j’y pense. J’apprécie les petites choses en sachant qu’un jour, je laisserai tout pour faire un voyage sans bagage.
Si vous comparaissiez devant Dieu, que lui diriez-vous?
Rien. Le fait même de comparaître devant Dieu serait à mes yeux moi la plus merveilleuse des choses et un très grand honneur. Je serais trop ému pour parler de sa bonté. Après tout, je pense que je n’aurais aucune chose à lui dire qu’il ne connaisse déjà.
Propos recueillis par Alain Majesté Barenga