Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Pascal Niyonizigiye.
Votre qualité principale ?
L’amour de la sagesse
En paraphrasant Dostoïevski, le grand romancier russe du XIX ème siècle qui prête la phrase « La beauté sauvera le monde » à un de ses personnages dans le roman « L’Idiot », je considère que la sagesse constitue le grand rempart qui peut sauver notre monde. En plus de la haute technologie, des grands progrès de la médecine et de toutes les réussites de la société humaine, la sagesse reste le grand logiciel qui pourrait réguler notre marche brutale vers ce que nous appelons « Progrès ».
Votre défaut principal ?
La nostalgie du passé
Quand je tourne mon regard vers l’histoire de ceux qui nous ont précédés en Afrique ou dans le monde en général, j’ai comme l’impression qu’une partie considérable de l’élite contemporaine est constituée par des « nains intellectuels » ou plutôt des intellocrates (primat de l’intérêt privé sur le collectif, chez l’élite actuelle, qui engendre des disparités sociales criminogènes) au lieu d’être de vrais intellectuels ( engagés pour le développement de la société). La réalité m’indique qu’il faut avancer avec le Monde que nous vivons et refuser de désarmer (Ce n’est pas la joie !).
La qualité que vous préférez chez les autres ?
L’assiduité au travail
L’amour du travail me semble être la clé de la réussite de l’Homme sur Terre. J’apprécie énormément les gens qui aiment leur travail, peu importe le rang social.
Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?
La haine
Je considère que c’est une gangrène qui finit par emporter son maître, lequel me fait, quand-même, pitié.
La femme que vous admirez le plus ?
Celle qui m’a mis au monde sans oublier celle qui a mis mes enfants au monde; vous comprenez que je parle de ma femme.
L’homme que vous admirez le plus ?
N’importe quel homme qui se lève très tôt le matin et rentre le soir après un travail méritant pour répondre aux besoins de sa famille et partant de la société.
Votre plus beau souvenir ?
La naissance de mon premier fils : j’ai éprouvé la joie du père qui réalise qu’il vient de perpétuer la descendance familiale.
Votre plus triste souvenir ?
Le décès de mon père :l’illusion qui m’habitait comme quoi je pouvais supporter courageusement son départ s’est effritée quand j’ai vu son corps sans vie ; c’était une perte d’un soutien important dans ma Vie.
Quel serait votre plus grand malheur ?
Ne pas être compris par les personnes les plus chères : je souffrirais énormément du manque d’affection et me sentirais seul.
Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?
La centralisation du pouvoir monarchique par Ntare Rushatsi : c’est la genèse du Burundi actuel en tant qu’unité politique.
La plus belle date de l’histoire burundaise ?
La signature de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation le 28 Août 2000 : Les Burundais se sont accordés sur une société basée sur l’unité du territoire national et le partage du pouvoir entre toutes les composantes.
La plus terrible ?
La mort du prince Louis Rwagasore le 13 octobre 1961: Il me semble que c’était l’origine des « démons de la division » qui hantent toujours notre pays. L’unité et le développement étaient les maîtres mots du prince qui aurait pu, je présume, contribuer à l’édification d’un pays apaisé et prospère.
Le métier que vous auriez aimé faire ?
J’aime beaucoup mon métier d’enseignant (le métier où l’on gagne en donnant !) : la connaissance est la ressource qui se partage et augmente en même temps parce qu’elle s’enrichit de l’interaction. Vive l’économie de la connaissance !
Votre passe-temps préféré ?
La causerie avec les amis : Je considère que c’est la meilleure école qui ne se termine qu’à la mort et qui nous confronte à la réalité de tous les jours.
Votre lieu préféré au Burundi ?
Mon village natal à côté du Majestueux Mont Heha, le sommet du Burundi : j’ai l’impression que c’est le pic de la beauté naturelle !
Le pays où vous aimeriez vivre ?
Mon beau pays, le Burundi, apaisé et prospère.
Le voyage que vous aimeriez faire ?
J’aimerais voyager dans la vallée du Nil pour découvrir le site de la grande civilisation du début de l’Humanité.
Votre rêve de bonheur ?
Voir mes petits-enfants, assis à côté de ma femme, étant dans la satisfaction d’avoir contribué à la formation d’une élite éclairée après ma carrière d’enseignant.
Votre plat préféré ?
Une pâte de maïs bien chaude avec du lait baratté (Gusomera).
Votre chanson préférée ?
J’aime beaucoup la Chanson de Feu Canjo Amissi « Umugabo w’Ukuri »
Quelle radio écoutez-vous ?
J’écoute un peu de tout mais plus souvent la Radio France Internationale.
Avez-vous une devise ?
Oui, ma devise est : Travail, Partage, Courage !
Votre souvenir du 1er juin 1993 ?
Une grande rupture dans l’Histoire politique du Burundi qui a été difficile à gérer ; si elle pouvait nous servir de leçon !
Votre définition de l’indépendance ?
Je considère qu’une vraie indépendance commence par l’appropriation de la gestion responsable de son pays à travers sa culture et l’apport des civilisations extranationales.
Votre définition de la démocratie ?
La démocratie me semble être un combat permanent pour une société diversifiée, tolérante et laborieuse dans le dialogue permanent.
Votre définition de la justice ?
Je considère que la vraie justice doit être basée sur une loi impersonnelle afin que tous les citoyens soient respectés dans leur dignité indépendamment des différences.
Si vous étiez ministre de la Culture, quelles seraient vos deux premières mesures ?
Je m’investirais pour la promotion de notre langue nationale et encouragerais les créateurs de l’Art sous toutes ses formes.
Si vous étiez ministre de l’Environnement, quelles seraient vos deux premières mesures ?
Je ne ménagerais aucun effort pour le reboisement du pays et la protection des cours d’eau.
Croyez-vous à la bonté humaine ?
J’y crois parce que j’en ai bénéficié et j’en bénéficie toujours à travers les membres de ma famille , les voisins et les amis sans oublier ceux que je rencontre un peu partout même sans les connaître. Heureusement qu’il y a la bonté humaine sinon notre vie serait un enfer !
Pensez-vous à la mort ?
J’y pense naturellement mais j’essaie de faire mienne la sagesse du philosophe Epicure qui a dit : « La mort, c’est du néant ; elle n’est rien pour nous puisque lorsque nous existons la mort n’est pas là et lorsque la mort est là nous n’existons pas ». Nous n’avons qu’un rapport indirect à la mort : nous voyons des êtres qui meurent, nous savons que nous avons été précédés par des êtres qui sont morts ; « Ni le soleil, ni la mort ne se peuvent regarder fixement », écrivait La Rochefoucauld .La vie est précieuse parce que la mort existe et rend le temps rare sur terre étant donné que nous ne décidons pas de la date de notre mort. Après tout, comme dirait Hamadou Hampâté Bâ : « La mort ramène l’homme chez ses oncles » et sans elle, la vie éternelle serait visiblement ennuyante et difficile sur terre.
Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?
Je lui dirais : « Père, j’arrive avec mes imperfections, sois miséricordieux ! »
Propos recueillis par Egide Nikiza